Le
cinéma du réel contre la télé réalité. C'est à cette croisade que se consacrait
l'une des principales programmations des 14e États généraux du
film documentaire qui se sont achevés ce week-end à Lussas. Fidèle à sa
vocation de lieu de réflexion collective, le petit village ardéchois a
accueilli plus de six mille spectateurs autour d'autres thèmes ambitieux
comme «l'expérience des limites» ou un panorama japonais, de petits
verres du rosé local mais aussi de plus d'une centaine de films, dont
vingt documentaires français récents.
Nouvelle
génération. Longtemps fréquenté par des aficionados d'un genre
«pauvre» échappant aux grosses machines commerciales, Lussas a vu débarquer
cette année une nouvelle génération, vierge des vieux débats idéologiques,
avide de politique et de cinéma. En duo avec Frédéric Sabouraud, le cinéaste
Jean-Louis Comolli leur offrait une réflexion, appuyée sur six films récents,
dont la Chambre de Vanda, de Pedro Costa et Close up, d'Abbas
Kiarostami. Des oeuvres qui, selon eux, témoignent d'une évolution du
documentaire dont la matière est, comme pour la télévision, le réel.
«Depuis
dix ans, observe Jean-Louis Comolli, sont apparus des films radicalement
nouveaux confrontant le spectateur à l'impossible, à l'insupportable.
Sauf que, contrairement à ce que voudrait nous faire croire Loft Story,
ils reposent sur la notion de perte de la maîtrise.»
La
sélection des jeunes films français attestait de cet épanouissement actuel
de certains cinéastes entre politique et poétique. Mais si de nombreux
documentaires continuent de fouiller l'intime, la famille, de même que
les guerres, les drames et les bouleversements sociaux, ils s'attachent
de plus en plus à la forme pour donner du sens. Pour preuve, Laurent Hasse,
avec Sur les cendres du vieux monde. A priori, un sujet mille fois
traité : la fermeture des mines en Lorraine. Mais, pour avoir grandi dans
le coin, Laurent Hasse connaît bien ces fils de mineurs qui galèrent aujourd'hui
entre le chômage et l'endettement, aux marges du Luxembourg. Le cinéaste
interroge intimement cette souffrance sans pathos. Et quand le copain
Didier se fait virer de son dernier boulot, «qu'est-ce qu'on fait pour
lui ?», demande une amie, Rachel, à Laurent Hasse. C'est elle
qui répond : «Moi, je le plains et toi tu le filmes.» On revient
à la place du spectateur.
Journal
intime. Dans Exil à Sedan, c'est encore une fois Michael Gaumnitz
qui s'engage dans son propre film, ici comme dans une analyse personnelle.
Là encore, on retrouve une forme connue, celle du journal intime, mais
où le réalisateur utilise toutes les ressources de l'image pour figurer
ses fantasmes et ses peurs. Le film est une enquête familiale sur son
père, Allemand exilé à Sedan à la fin de la Seconde Guerre mondiale et
dont le destin a manifestement traumatisé toute la famille. Un film-analyse,
un film-acte aussi où se lit la nécessité de cinéma, ici comme ersatz
à la peinture, pratique que le père interdit à son fils.
Zorro
de l'audiovisuel. Cette
tendance à donner de soi dans le documentaire est allée jusqu'à contaminer
Pierre Carles. Après les journalistes télé, c'est à ceux qui critiquent
la télévision que s'en prend ce Zorro de l'audiovisuel, avec une fixation
sur Daniel Schneidermann, animateur de l'émission Arrêt sur Images
et ancien ami. Le dispositif d'Enfin pris ? est le même que
dans Pas vu pas pris, où Pierre Carles dénonçait les connivences
entre hommes politiques et journalistes. Le trublion fait feu de tout
bois pour démonter les ressorts du pouvoir médiatique, avec le secours
des réflexions de Pierre Bourdieu.
Mais,
dans ce film, après avoir épinglé Schneidermann sans relâche, c'est bien
son grand corps de justicier à lui, Pierre Carles, qu'il allonge sur un
divan. Une longue séquence hilarante où le petit donneur de leçon se prête
au jeu de l'analyse. Carles fait enfin son cinéma et le brûlot vire à
la comédie. Tel est pris qui croyait prendre ?