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Lussas, en croisade pour le réel.
CINÉMA. Cette année, le festival du docu a accueilli un public avide de politique et de cinéma.
Par Annick PEIGNE-GIULY, Libération, mardi 27 août 2002.

Le cinéma du réel contre la télé réalité. C'est à cette croisade que se consacrait l'une des principales programmations des 14e États généraux du film documentaire qui se sont achevés ce week-end à Lussas. Fidèle à sa vocation de lieu de réflexion collective, le petit village ardéchois a accueilli plus de six mille spectateurs autour d'autres thèmes ambitieux comme «l'expérience des limites» ou un panorama japonais, de petits verres du rosé local mais aussi de plus d'une centaine de films, dont vingt documentaires français récents.

Nouvelle génération. Longtemps fréquenté par des aficionados d'un genre «pauvre» échappant aux grosses machines commerciales, Lussas a vu débarquer cette année une nouvelle génération, vierge des vieux débats idéologiques, avide de politique et de cinéma. En duo avec Frédéric Sabouraud, le cinéaste Jean-Louis Comolli leur offrait une réflexion, appuyée sur six films récents, dont la Chambre de Vanda, de Pedro Costa et Close up, d'Abbas Kiarostami. Des oeuvres qui, selon eux, témoignent d'une évolution du documentaire dont la matière est, comme pour la télévision, le réel.

«Depuis dix ans, observe Jean-Louis Comolli, sont apparus des films radicalement nouveaux confrontant le spectateur à l'impossible, à l'insupportable. Sauf que, contrairement à ce que voudrait nous faire croire Loft Story, ils reposent sur la notion de perte de la maîtrise.»

La sélection des jeunes films français attestait de cet épanouissement actuel de certains cinéastes entre politique et poétique. Mais si de nombreux documentaires continuent de fouiller l'intime, la famille, de même que les guerres, les drames et les bouleversements sociaux, ils s'attachent de plus en plus à la forme pour donner du sens. Pour preuve, Laurent Hasse, avec Sur les cendres du vieux monde. A priori, un sujet mille fois traité : la fermeture des mines en Lorraine. Mais, pour avoir grandi dans le coin, Laurent Hasse connaît bien ces fils de mineurs qui galèrent aujourd'hui entre le chômage et l'endettement, aux marges du Luxembourg. Le cinéaste interroge intimement cette souffrance sans pathos. Et quand le copain Didier se fait virer de son dernier boulot, «qu'est-ce qu'on fait pour lui ?», demande une amie, Rachel, à Laurent Hasse. C'est elle qui répond : «Moi, je le plains et toi tu le filmes.» On revient à la place du spectateur.

Journal intime. Dans Exil à Sedan, c'est encore une fois Michael Gaumnitz qui s'engage dans son propre film, ici comme dans une analyse personnelle. Là encore, on retrouve une forme connue, celle du journal intime, mais où le réalisateur utilise toutes les ressources de l'image pour figurer ses fantasmes et ses peurs. Le film est une enquête familiale sur son père, Allemand exilé à Sedan à la fin de la Seconde Guerre mondiale et dont le destin a manifestement traumatisé toute la famille. Un film-analyse, un film-acte aussi où se lit la nécessité de cinéma, ici comme ersatz à la peinture, pratique que le père interdit à son fils.

Zorro de l'audiovisuel. Cette tendance à donner de soi dans le documentaire est allée jusqu'à contaminer Pierre Carles. Après les journalistes télé, c'est à ceux qui critiquent la télévision que s'en prend ce Zorro de l'audiovisuel, avec une fixation sur Daniel Schneidermann, animateur de l'émission Arrêt sur Images et ancien ami. Le dispositif d'Enfin pris ? est le même que dans Pas vu pas pris, où Pierre Carles dénonçait les connivences entre hommes politiques et journalistes. Le trublion fait feu de tout bois pour démonter les ressorts du pouvoir médiatique, avec le secours des réflexions de Pierre Bourdieu.

Mais, dans ce film, après avoir épinglé Schneidermann sans relâche, c'est bien son grand corps de justicier à lui, Pierre Carles, qu'il allonge sur un divan. Une longue séquence hilarante où le petit donneur de leçon se prête au jeu de l'analyse. Carles fait enfin son cinéma et le brûlot vire à la comédie. Tel est pris qui croyait prendre ?

 

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