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"Enfin
pris ?" :
tel est pris qui croyait prendre ?.
Isabelle Regnier, Le Monde, 02/10/02.
Enfin
pris ? est le nouvel épisode de la croisade du trublion Pierre
Carles contre la télévision. Homme de convictions, Pierre Carles
défend depuis des années, avec un acharnement jamais démenti,
l'idée selon laquelle le petit écran est la vitrine du pouvoir
politique, donc réfractaire par définition à toute forme
de subversion. Soit. Après s'en être pris aux journalistes
de télévision dans Pas vu à la télé (1994)
et Pas vu pas pris (1998), il s'attaque aujourd'hui aux
émissions de critique du petit écran.
Fidèle
à une méthode dont il assume la malhonnêteté (seule
stratégie possible face aux représentants d'un organe ontologiquement
corrompu, soutenait-il dans Pas vu pas pris), il s'arroge la
parole d'autrui par l'enregistrement de conversations téléphoniques
et autres messages sur répondeur, auxquels il adjoint ses commentaires.
Sans avoir le moindre droit de réponse, ses interlocuteurs font les
frais de ce dispositif non démonstratif, exclusivement destiné
à servir son opinion. Dans Enfin pris ?, Daniel Schneidermann,
présentateur de l'émission "Arrêt sur images", chroniqueur
au Monde et ancien collaborateur de Pierre Carles (ils ont coréalisé
un documentaire sur la vie des élites en 1992), est pris pour cible.
BOUFFONNERIE
D'abord
un bref retour sur le numéro d'"Arrêt sur images" consacré
à Pierre Bourdieu, à la suite duquel le sociologue s'était
estimé piégé par le dispositif, typiquement télévisuel,
destiné à filtrer toute parole contrevenant au discours dominant.
Après cette introduction efficace, on retrouve l'homme qui filmait
les répondeurs dans son meilleur rôle, seul dans son bureau,
au téléphone. Après une tentative avortée pour organiser
un match retour entre Bourdieu et Schneidermann, quelques images tournées
dans les locaux de France 5 montrent le présentateur en flagrant
délit de non-contradiction vis-à-vis de Jean-Marie Messier.
Dans la scène suivante, Carles, de retour dans son bureau, invite
son ancien collaborateur à une séance de psychanalyse. Bien
sûr, celui-ci refuse, et le film bascule alors dans une bouffonnerie
aux relents de confessionnal loftien.
Muni d'une
caméra DV dans laquelle défilent des images d'archives de
Schneidermann à différents moments de sa carrière, Carles
s'installe dans le divan à sa place et commente son montage sous
l'œil amusé d'un psychanalyste semblant tout droit sorti
d'un dessin animé Disney. Contrairement à ce qu'obtient
Michael Moore, autre documentariste-justicier auto-mis en scène,
l'effet comique recherché disparaît ici, étouffé
par la sinistrose du propos. Carles admettra finalement que c'est
probablement par jalousie qu'il a fait ce film, mais suggère,
pour s'en dédouaner, que les pires intentions produisent parfois
les meilleurs résultats. Pas cette fois-ci en tout cas.
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