F.J. Ossang a publié son premier livre de poésie en 1976 – l’année de ses 20 ans – et dans la foulée sa revue CEE, dans laquelle on découvrait avec bonheur des écrits explosifs de William Burroughs, « immense poète de la fin des temps », de Stanislas Rodanski, le poète surréaliste qui s’était fait interner dans un hôpital psychiatrique, et de Claude Pélieu, le poète traducteur de la Beat Generation,
« exilé au pays des flippers, des junkies et des clignotements transcontinentaux ».
Ossang est d’abord un poète – et quel poète ! – qui s’empare très vite du rock punk puis de la musique industrielle avec ses acolytes de MKB, Messageros Killers Boys, un sommet de la contre-culture hexagonale. Et il n’arrête pas d’innover : le voilà cinéaste, rebelle comme il se doit, audacieux, inventif, brillant. Son parcours prend une nouvelle dimension, le ton est unique : Docteur Chance, Dharma Guns, 9 Doigts : son œuvre cinématographique fascine.
Été 1920. Le baron Ungern, devenu chef de guerre indépendant, entre en territoire mongol à la tête de sa Division de cavalerie asiatique (surnommée la « Division sauvage »). Printemps 2020. La France entre en territoire de pandémie et de confinement.
Ce curieux atour des ténèbres plonge certaines de ses racines dans de multiples lectures autour de la guerre civile russe 1905-1945. F.J. Ossang cite alors Ungern en vue d’un possible film, entendu comme « retour aux sources de la jeunesse ». Un film impossible, en raison de l’ampleur du propos et des moyens nécessaires, mais aussi de la personnalité même d’Ungern, cet « être de fureur froide », « être d’une nuit noire – et de sa révélation ».
Face à ce mur matériel, et devant l’entreprise du présent livre, l’auteur interroge sa propre fonction, celle de rassembler les innombrables fragments de doute qui dépassent le doute de soi afin d’embrasser « la dispersion volatile, apparemment illogique de notre monde ». D’autant qu’un abîme sépare ceux qui écrivent « leur » Ungern en brodant « autour d’un nombre raréfié de faits », et un narrateur qui, à trop vouloir engager un monde dispersé (« Ai-je trop lu, c’est probable »), percute l’interdiction de raconter l’histoire d’Ungern, histoire qui multiplie ses échos de violence jusqu’à aujourd’hui.
SUZANNE DOPPELT ET F.J. OSSANG lectures Mercredi 31 mai à 19h30, Le lieu unique Quai Ferdinand Favre, Nantes. Entrée libre. En coproduction avec le Marché de la Poésie (Paris)
S’inscrivant dans la périphérie du Marché de la Poésie, la soirée de clôture de saison de Poèmes en cavale sera dédiée à la poésie et ses liens avec l’image photographique et cinématographique avec les auteurs Suzanne Doppelt et F.J. Ossang.
Suzanne Doppelt est écrivaine, éditrice et photographe. Impliquée dans plusieurs projets éditoriaux, elle dirige notamment la revue Détail et la collection « Le rayon des curiosités » chez Bayard. Photographie et littérature sont indissociables dans son écriture. Le regard initie le texte, à partir d’un objet ou d’une photographie comme continuité de l’instant suspendu, exploré de sa prose poétique qui multiplie les points de vue et perceptions. Son dernier ouvrage, Et tout soudain en rien (P.O.L, 2022), s’inspire du film Blow up de Michelangelo Antonioni (1966) : un photographe se perd dans l’image d’un couple photographié à son insu dans un parc, persuadé d’être le témoin d’un meurtre, doutant de ce qu’il voit, croit voir, ne voit pas.
Frédéric Jacques Ossang est poète, écrivain, musicien et cinéaste. Ses textes poétiques intimes puisent tout autant leur inspiration dans la littérature beat de William S. Burroughs que dans Céline ou Antonin Artaud, Jacques Vaché ou Rimbaud. En septembre 2022, la collection Al Dante des Presses du réel réédite Génération néant, livre punk écrit en 1980 alternant textes poétiques et roman noir sur cette génération néant qui défoule une violence extrême dans la poésie et la musique, comme celle d’avant le faisait par les armes. Il a réalisé une dizaine de films, témoins d’un monde malade et chaotique, revisitant le polar et le récit d’anticipation en s’inspirant notamment du cinéma allemand et russe des années 1930. Il est également le chanteur de MKB Fraction Provisoire, qui débute avec le punk en 1981 pour se diriger ensuite vers la musique industrielle, et forme le groupe Baader Meinhof Wagen avec Mr. Nasti en 2007.
Réédition du livre punk culte de l’artiste (transgenre : cinéaste, musicien, poète, écrivain…) Ossang, aujourd’hui introuvable.
Écrit en 1980, publié en 1993 par Warvillers et Via Valeriano, ce récit de colère froide et totale décrit une génération néant qui utilise, dans une logique radicalement punk, la musique et la poésie avec une violence extrême, comme leurs aîné.e.s ont utilisé les armes sans que rien n’empêche la logique suicidante de notre civilisation.
« Les plaintes et les regrets ne servent plus à rien : il n’y aura ni pardon, ni salut. Les dieux sont morts et leurs fantômes sont des radiations mortelles. Les armes, la terre, le sang perdu. La continuité des lignées semble s’être rompue, pour toujours. Il reste des emblèmes funéraires, et le trouble que procurent les dessous féminins. La lignée, l’énigme de la terre et du sang. Nous sommes les vampires de l’Antécristal. Absents, nous sommes absents du monde. Oculatus Abis. Apatrides transeuropéens. Revenants. Revenants néants. Nous sommes les revenants de la Génération Néant. »
Nouvelle édition de l’ouvrage publié par Blockhaus & Warvilliers + Via Valeriano en 1993.
(Note de lecture), F.J. Ossang, Génération Néant, par Vincent Degrez
Introuvable depuis sa publication en 1993, Génération Néant a été réédité en septembre dernier aux Presses du réel/Al Dante. Et à relire ce texte exceptionnel, dans la littérature française comme dans le parcours de F.J. Ossang, on mesure à quel point il fait dans celui-ci fonction de creuset alchimique.
Ce livre-somme de plus de 400 pages se déploie comme une Divine Comédie à rebours, s’inscrivant au début du parcours de son auteur plutôt qu’à son accomplissement. Dans Génération Néant, F.J. Ossang tisse déjà mille motifs qui lui sont propres, inventorie formules-chocs, personnages-clés (et, pour certains, avatars peut-être de l’auteur), indices autobiographiques. Sa prose fragmentée reprend, amplifie et annonce nombre de livres passés et à venir. Plus encore, Génération Néant résonne des premiers cris de ses futurs films, le politico-punk L’Affaire des Divisions Morituri (1985) et l’apocalyptique Le Trésor des îles Chiennes (1990) en tête, et des incantations de DDP (De la Destruction Pure) puis MKB (Messageros Killers Boys), ses groupes de punk et noise’n’roll respectivement.
Chez F.J. Ossang, tout est chaos déchaîné et structure fractale. Micro et macrocosme s’entrelacent, le tout est dans la partie et le morceau préfigure l’ensemble – même si rien n’est tout à fait intervertible, car « l’envers de l’envers n’est pas l’endroit », entend-on dans son troisième long-métrage, Docteur Chance.