FJ Ossang dans la Furia Umana 7

Texte de Fj Ossang sur « Un film en mots-flammes : Macbeth de Orson Welles »

publié dans le numéro 7 de la revue Furia Umana

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F.J. Ossang (1979) by Gérard Courant – Cinématon #52

Le « Cinématon » n°52 de F.J. Ossang réalisé par Gérard Courant le 10 avril 1979 à Perpignan (France) (Silencieux).
F.J. Ossang’s portrait by Gérard Courant (1979 – silent).

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BOOKHOUSE BOY#37 | F.J. OSSANG | CINÉASTE & POÈTE chez Le feu sacré éditions

Si F.J. Ossang est le premier auteur a avoir été publié au Feu Sacré, nous aurons étrangement attendu deux ans et laissé défiler quelque trente six personnes avant de l’inviter enfin à répondre au Questionnaire des Bookhouse Boys. A notre décharge, il nous avait manqué une occasion. Et elle s’est présentée il y a quelques semaines : la sortie de son dernier recueil de poésie (dix longs poèmes échelonnés sur les 20 dernières années du XXème siècle) ’Venezia Central‘ à paraître le 8 janvier au Castor Astral et qui sera verni à la boutique Potemkine (Paris Xe) le lundi 15 décembre à 18h30 (plus d’informations ici et ici).

Lire la suite chez nos amis du Feu Sacré Editions

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Rencontre-dédicace avec F.J. OSSANG pour l’avant-première de son dernier ouvrage Venezia Central

Potemkine, 30 Rue Beaurepaire, 75010 Paris

 

LA BOUTIQUE POTEMKINE VOUS INVITE LUNDI 15/12 à 18h30
Rencontre-dédicace avec F.J. OSSANG pour l’avant-première de son dernier ouvrage Venezia Central.
10 longs poèmes échelonnés sur les 20 dernières années du XXème siècle.
152 pages, grand format 14,4 x 22

Artiste protéiforme (écrivain, chanteur et cinéaste), F.J. Ossang viendra dédicacer en avant-première son dernier recueil de poèmes VENEZIA CENTRAL (sortie prévue le 8 janvier 2015 au Castor Astral). Il lira des fragments de son livre, et présentera les 3 premiers albums vinyles de son groupe MKB Fraction Provisoire (récemment réédités). Retour aux livres, à la musique. Et puis évidemment des images des films du cinéaste (2 coffrets) édités par Potemkine. Une soirée 100% F.J. Ossang autour d’un verre convivial.

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L’intégrale Ossang ou presque à Toulouse en décembre 2014

En lien avec la semaine des Jeunes gens modernes, la cinémathèque de Toulouse présente :

le 03 décembre 2014 à 19 h

– Zona Inquinata

-Silencio

-Ciel Eteint!

-Vladivostok

et à 21h

– la dernière énigme

– l’affaire des divisions morituri

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Dr Chance – Paris – 02 décémbre 2014

Copie neuve 35mmm

Cinéma Grand Action

5 Rue des Ecoles – 75005 Paris

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Jérôme Provençal – Quoi ? L’éternité

Ce texte est, semble-t-il, extrait d’une plaquette éditée par la Cinémathèque de Toulouse.

« Je ne crois guère aux beautés qui se révèlent lentement pour peu qu’on les invente : seules m’emportent les apparitions »
Pierre Michon

Vif comme l’éclair de génie et scintillant comme une lueur de désespoir dans l’iris électrique d’une femme fatale, Docteur Chance est l’un de ces films compulsifs, jusqu’au-boutistes et surexcitants comme le cinéma français n’en connaît guère et qu’un autre de ses sauvages enfants, Leos Carax, ne semble d’ailleurs déjà plus capable de faire, l’un de ces films d’un charisme peu commun que chaque nouvelle vision retransmet en l’exacerbant. Incroyablement happant et totalement débarrassé des scories entachant les deux premiers longs métrages de François-Jacques Ossang, Docteur Chance permet au spectateur — si, du moins, celui-ci sait agripper la beauté quand elle traverse, fût-ce en quatrième vitesse, son champ de vision — de vivre une expérience marquante dont les traces s’impriment en lui, indélébiles. Tandis que le film se trouvait encore à l’état de projet, son concepteur ne faisait pas mystère, non sans une nuance amusée, de son ambition de réaliser « un film punk de l’âge classique ». Si, sur le papier, une déclaration d’intention de ce type peut prêter à sourire sous cape, elle se pare, dès que transfigurée sur celluloïd, de toute la cristalline brillance de la pure évidence.

Avec sa sensible perspicacité coutumière, Serge Daney formula un jour ceci : « Il y a quelque chose d’extraordinaire pour moi dans un film qui commence. En général, je compte les plans, je les compte dans ma tête, dix, vingt plans, je prends le pouls du film, je sais tout de suite s’il y a quelque chose dans le rythme, dans la musique, qui sonne juste ou qui ne sonne pas, qui me dit que c’est « pour moi » ou non. Il y a des images avant qu’il y ait de l’histoire et elles sont déjà tout le film. » Dans Docteur Chance, ces images-là sonnent avec une véhémence farouche. D’une intense puissance évocatrice, les premiers plans, composant un flash-forward stratégiquement situé avant même le générique de début, propulsent d’emblée le couple de héros dans la tourmente de son fatum tragique et dévoilent les batteries stylistiques d’Ossang — où l’on découvre, stupéfait, que la magnitude des drames antiques fusionne ô combien harmonieusement avec l’épidermique sens du combat punk, incarné ici par l’iconique Joe Strummer en (tré)passeur décadent et gardien des tables de la foi sans loi rock’n’roll. Pour retracer la bringuebale effrénée de Tristan Vicious et Nancyseut, alias Angstel — dont le nom, imbrication de l’allemand Angst (peur) et de l’anglais Angel (ange) trahit la conflictuelle et peu saisissable identité — et Ancetta — différemment semblable à la femme qu’identifia Jean-Jacques Schuhl dans son fascinant Télex n°1 (Gallimard, 1976), dont « les formes mettent merveilleusement en valeur les vêtements » —, FJ Ossang trouve les accents pénétrants, parfois jusqu’au lyrisme, d’une fébrile authenticité, à l’expression de laquelle participent au diapason une science intuitive du montage, une captation suraigue de l’instant présent et une aperception crispée de la mort, qui menace à chaque virage de fondre sur ses proies. Tenaillé par la même soif d’absolu que ses personnages, maudits amants de la nuit coursés à travers les décors surnaturels du Chili par les hommes de main d’un réseau arachnéen de trafiquants d’art, il a su passer la surmultipliée et conférer à cette cahoteuse cavale aux confins de l’aurore l’éclat obsessif des rêveries incendiaires. En lançant ce diabolique Docteur Chance à la recherche du secret perdu du cinéma muet — les ouvertures/fermetures à l’iris et les cartons d’intertitres sont les indices les plus flagrants d’une filiation profonde —, son créateur le prédestine à cheminer en compagnie des spectres ensorceleurs des grands cinémanitous de l’enfance du septième art, dont Friedrich Wilhem Murnau n’est pas le moins invoqué. Une si glorieuse escorte pourrait être inhibante ou dépréciative mais elle ne l’est pas pour l’indiscutable raison que FJ Ossang filme plus vite que ces ombres et ne (se) tourne vers le passé que pour mieux regarder l’avenir — quant au présent, respirons-le. A quels yeux cela peut-il ne pas sauter ? Notre homme connaît ses classiques, donc ses modernes, et sait plus que bien qu’un certain Jean-Luc Godard donna, entre 1959 et 1968, ses syllabes d’invulnérable noblesse au cinéma. Une fois acquise cette intime conviction, comment perdre de vue qu’« il faut brûler les films mais attention avec le feu intérieur » ? Comment ne pas garder constamment à l’esprit l’assertion fondamentale selon laquelle si « mettre en scène est un regard, monter est un battement de coeur » ? Et comment, mille milliards de mille sagouins, ne pas remarquer que, d’une extrémité de Docteur Chance à l’autre, ce feu se propage partout, ce regard transperce et ce coeur cogne à tout rompre ? S’il pratique le fétichisme de la citation avec gourmandise, Ossang ne verse jamais dans la préciosité salonnarde : les références — nombreuses et souvent littéralement affichées (photos, tableaux, posters, …) — ne valent pas en tant que simple et stérile accumulation de signes mais en tant que signes d’une accumulation, d’un lent et fécond processus de sédimentation artistico-artistique dans lequel le film s’inscrit, à son heure, tout naturellement. C’est sa pertinence contemporaine, son aspect documentaire ou, pour le dire mieux, documenté, renseigné, sur l’état actuel du monde qui garantit à Docteur Chance une persistance durable, au mépris des fabricants de modes et de leurs incessantes palinodies. En marge de son développement narratif, ce conte de la très ordinaire folie d’aimer se donne aussi, et peut-être surtout, à voir comme une illustration obscurément lumineuse de l’immémorial corps-à-corps entre la clarté et les ténèbres, corps-à-corps qui est le substrat même du cinématographe. 

Oscillant sans trève entre nuit et jour, comme entre début et fin, Docteur Chance proscrit rigoureusement toute aire de détente à l’intérieur de son (très mouvant) espace territorial et ne ménage pas davantage son public que ses personnages. Ainsi, à ces damnés de la terre que sont Angstel, rebelle sans cause ni maître, étranger partout — « No place for me » fulmine-t-il à tout bout de champ magnétique —, crachant son rejet viscéral à la (sale) gueule d’une société dominée et garrottée par les puissances du faux, et Ancetta, wasted girl in a wasted world, n’est promis ni havre de paix ni repos éternel, pas plus ici-bas que par-delà la mort. Leur unique chance d’être, en échappant à l’ère du simulacre généralisé, résidera dans l’épreuve de vérité suprême consistant à « disparaître en plein vol pour prouver que le ciel existe ». Mais rien ne sera terminé pour autant puisque, n’est-ce-pas, il faut savoir recommencer ce que l’on a fini et que, de surcroît, comme nul fan de Bob Dylan n’est censé l’ignorer, death is not the end. Adoncques, quand c’est fini n-i-ni-ni, ça recommence. (this is the beginning). Et c’est reparti pour un tour de piste aux étoiles filantes, la fièvre dans le sang et tous les voyants dans le rouge, un rouge éclatant, furieux, vif comme l’éclair de génie

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Vincent Deville : Le cinéma vu depuis le désert d’Atacama – Dr Chance de F.J. Ossang, dans Jeune, pure et dure, une histoire du cinéma expérimental et d’avant garde en France, Cinémathèque 2001.

« Le cinématographe trouvera-t-il, lui aussi, des inventeurs courageux, qui lui assureront la pleine réalisation de son originalité comme moyen de traduire une forme primordiale de pensée par un juste procédé d’expression ? Cette conquête, comme celle d’une autre toison d’or, vaut bien que de nouveaux argonautes affrontent la rage d’un dragon imaginaire. »
(Jean Epstein, le Cinéma du diable)

Peu de temps avant le bombardement et la destruction de la Pologne en 1939, l’écrivain polonais Witold Grombowicz quitte son pays et prend la fuite pour l’Argentine. Il retrace cette aventure dans le roman Trans-Atlantique et le journal Pérégrinations argentines. Il exprime là toute sa rancoeur contre le vieux continent, son conservatisme borné et sa cruauté vulgaire et crasse. No place for me : sur les traces du vieux Gombro, Ossang met le cap vers le sud et se détache du continent, « tout perd son lieu » (F.J. Ossang, lettre du 26 novembre 1999, Kyushu (Japon). Il évoque d’abord son expédition dans un livre, entre roman et journal, les 59 jours. Le thème des origines (la famille mais aussi le pays et le continent) y est développé comme une angoisse récurrente. On assiste chez Grombrowicz et Ossang à deux situations similaires d’exil qui débouchent sur une critique politique dans le premier cas, sur une critique du cinéma dans le second. Dressant un parallèle entre économie, peinture, littérature et cinéma, Ossang s’en prend aux circuits financiers des marchés de l’art, sclérosés et vérolés par des marchandages frauduleux. Pour subsister, il ne reste plus qu’à l’artiste qu’à adopter une attitude de faussaire. Mais une fois découvert, il est pourchassé et doit à nouveau sauver sa peau. Comment survivre dans le règne des images fausses ? Avec intégrité, Dr Chance décrit la question et livre quelques réponses.

Trois films en quinze ans : Ossang a développé son cinéma sous le coup de contraintes économiques (budgets serrés, durées de tournage rétrécies…). Les plans de Dr Chance sont traversés par l’argent, pièces et billets tombent du haut vers le bas de l’écran ; les figures de décideurs financiers, de mères couveuses et trompeuses renvoient directement au monde des commissions de subvention et des producteurs de cinéma : les personnes qui un jour vous soutiennent tôt ou tard se retournent contre vous, au gré de leurs propres intérêts. Ossang présente les milieux de l’art comme une société de lutte perpétuelle. Un jour, il faut à son tour trahir. Ultime pied de nez : faire du faux et le vendre au prix du vrai… C’est la formule quand la fausse peinture répond à l’argent sale montée en intertitre dans le film.

Le faux a ceci de particulier qu’il se pose toujours en référence au vrai et, pour reprendre une idée de Merleau-Ponty, la connaissance du faux suppose une conscience du vrai. Le faussaire, en imitant l’oeuvre originale, est donc un personnage qui se rapproche plus que tout autre d’une notion de vérité ; il navigue dans un monde de références, entouré de modèles. Dans Dr Chance la question du faux se pose en termes de narration et de genres cinématographiques. Bien trop sollicitée, la narration s’épuise d’elle-même – puissance du faux par excellence, elle ne devient plus que falsification.  Sous couvert de film de genre, Ossang multiplie les influences pour mieux les déplacer. Tour à tour, le film apparaît comme un road-movie, un film noir, un mélodrame amoureux ou encore une histoire d’aventures. De là découlent les figures corrélatives à ces différents genres (femmes fatales, traîtres et escrocs, héros solitaire pourchassé…) ainsi que l’imagerie qui s’y rapporte. En prenant la fuite, les héros de Dr Chance cherchent avant tout à échapper à l’histoire qu’on veut leur imposer. Le vrai danger, c’est pour eux autant les systèmes narratifs que les complots internationaux, les trafics d’art et d’armes et les mères abusives.

De la critique économique découle une critique esthétique du cinéma, toutes deux suivies de propositions et de reformulations. Ossang revisite le cinéma à la lumière de Nietzsche (la Naissance de la tragédie) ou W.S. Burroughs (dont l’oeuvre traduirait pour sa part l’accomplissement et l’anéantissement du tragique). Citant Tristan et Iseut, et à travers eux la métaphore nuptiale – ou comment échouer à deux plutôt que de s’en sortir seul -, Ossang mêle des élans d’amour et de mort que l’on peut directement rapporter au tragique : une passion débordante pour la narration qui amène à la destruction de toutes les histoires. Si bien que des codes primitifs, on garde les archétypes pour enfin faire sortir le cinéma de son interminable dette envers la tragédie et son corollaire cinématographique : le scénario dramaturgique.

Du roman picaresque à l’expressionnisme allemand selon Georg Trakl, les images sont cependant portées par une culture littéraire riche et vraie. Le verbe, très présent, contamine la trajectoire des personnages (dans une fiction sur-écrite) ainsi que leurs dialogues (affirmatifs et lapidaires, ils n’admettent pas de réponse : plutôt monologues mis bout à bout que véritables échanges de propos, ils sont la langue du rêveur éveillé). Dans une large proportion, le montage aussi est mis à l’épreuve : Burroughs succède directement à Eisenstein en théoricien du montage. Dr Chance repose sur le principe d’un film-anagramme (Vince Taylor, c’est l’anagramme de Victory Lane, annonce à deux reprises le personnage de Joe Strummer), toujours recomposable autrement – l’histoire est envisagée comme un tout illimité : « il n’y a que des situations, sans queue ni tête ; sans commencement, sans milieu et sans fin ; sans endroit et sans envers ; (…) sans limite de passé ou d’avenir », écrivait déjà Jean Epstein. Les images qui réapparaissent identiques de façon cyclique (la fuite dans le désert, correspondant au dernier tiers du film), la fragmentation d’histoires reliées à un destin unique et la succession répétitive de situations similaires, présentées dans un ordre pourtant chronologique, déstructurent le temps et approfondissent les formes possibles de la rupture.

Les personnages et les films d’Ossang rappellent les somnambules-funambules qui traversent le cinéma expressionniste allemand : mis en mouvement par des phénomènes externes, ils sont pourtant livrés à eux-mêmes, cherchant l’élévation et en cela toujours prêts à chuter. Les personnages semblent des pantins manipulés cherchant désespérément à prendre prise sur leurs actes ; les situations sont redevables aux différents genres du cinéma classique mais cherchent à s’en éloigner pour leur redonner vie. Les personnages agissent selon une dynamique d’angoisse qui les pousse à se débarrasser des figures paternelles et des mères, avec pour danger de leur faire toujours frôler la mort et finalement de les y conduire : le héros meurt, le film se termine mais, comme pour le Héliogabale d’Artaud, il s’agit d’une mort en état de rébellion ouverte. Les plans trouvent une dynamique interne qui les délivre des clichés et des matrices, avec pour horizon d’accéder à la vera icona, aux vraies images, celles qui donneraient un accès direct à nos songes, donc à nos affects. Ce que nous voyons avec Dr Chance, c’est un film qui prend vie, se libérant des faux créateurs, à la recherche d’une conscience et d’une intégrité. De la même manière qu’Angstel le héros se libère des griffes de ses supérieurs, que Cesare se soustrait au pouvoir de Caligari, le film se désolidarise et s’affranchit des règles du cinéma. Et cela devant nos yeux, alors que la pellicule avance dans le projecteur. Ossang avance sur les traces de W.S. Burroughs, il emprunte les mêmes chemins d’une narration qui se disperse à force d’être omniprésente et surexploitée. Il agence son développement à la fois sous le signe d’une écriture automatique – l’imagerie développée apparaît comme un imaginaire collectif qui toujours revient à la charge – et de techniques de montage expérimentales. Ossang s’efforce d’isoler chaque plan des autres, à l’aide d’intertitres et de fondus à l’iris qui ont pour effet de toujours décontextualiser objets et personnages en les coupant de leur milieu d’existence. Par coupes, collages et répétitions dans son matériau, il insuffle au film un sentiment d’éternité et d’absolu, selon le procédé décrit par Jacques de la Villeglé : la déchirure détache du contexte et transpose l’évènement dans le domaine de l’absolu.

Bolide qui fonce dans le désert, voiture ouverte aux quatre vents dans un espace multidimensionnel et désertique, c’est la fuite en avant, éperdue, vers les possibles du cinéma, là où soufflent les libertés, les audaces, les plans aérés, animés d’une respiration légère et puissante à la fois. Nouvel argonaute post-punk, F.J. Ossang délivre un cinéma profondément critique et poursuit d’un air détaché, un combat politique. Du Chili, il nous envoie un message sur le cinéma à la fois grave et plein d’espoir.

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L’art accélère le film

Jeune, pure et dure, une histoire du cinéma expérimental et d’avant garde en France, Cinémathèque 2001.

Texte de FJ Ossang

Ce film doit avoir la pureté coupante et confusément colorée d’un poème de Georg Trakl – non au cinéma plus misérable que la misère, plus sexuel que le sexe, plus lourd que le plomb tant il se paraphrase.

(acte 1). Électricité, trame de menace coupe-circuit, hydrocution. Chercher des équivalences de son aux couleurs – rythmes d’agression psychique. Sonder le matériau, la densité chimique des émotions – et plus seulement la physique narrative.

Des questions simples : foncer un rose par le son revient-il à rougir ? Qu’est-ce qu’un bleu électrique de mort (en son) ?

Peut-on coder la transcription, ou juste munir de contrepoints… le cristal – ou la ténèbre bouchée ?

Comment justement contaminer, corriger, contraindre et soumettre l’image et sa machine coloriante (la gestique enfonce la séduction des images-morts) ? « Celui qui préfère la couleur à la forme est un lâche » (William Blake).

Les gestes, les mots, les sons ont la force des caractères.

L’image est la seule puissance de la fascination (danger).

Le son peut servir de contrechamp à une autre image…

DOUBLER l’interprétation : trame-son d’une image (réelle ou non), de façon à pouvoir décliner des récurrences, pas seulement par surimpression et contrepoint d’images-mémoire, mais au son, au bruit, aux mots.

2 axes : chaos-géhenne et didactique bressonnienne – bruitisme bressonnien et revisitation d’Eisenstein par le Third Mind.

Les questions du cinéma 25-35 ou 55-75 sont aujourd’hui déplacées mais demeurent les mêmes. En revenir au questionnement d’Eisenstein, Bresson, Murnau, décanté-accéléré par la relecture de Nietzsche (naissance de la tragédie) ou W.S. Burroughs.
Activer (utiliser activement) la mobilisation technologique du cinéma actuel (recentrage de la vision pensée des « fondateurs » et du caractère réalisable de ces intuitions – montage dialectique – démusication et modèles – coloration et mise en timbres) hors d’une prévarication académique (intertitres contre samples, son direct, off, synchro, récitants…). Il existe des armes que les « pères » n’avaient pas, mais qui leur reviennent.

Remonter radicalement le courant « coma technologique » turbinant les crânes secs et l’académisme des réalisateurs actuels.

« Je suis un réacteur – je me propulse en créant un vide qui m’active en avant, toujours en avant… »

Vider, démembrer, dénombrer, et ré-activer les éléments du Kino, retour au poème et à la partition bruitiste, flammer de couleurs primantes, et découper au ciseau à feu-froid des blocs de nature et de mots – après on VERRA…

Église / Clinique / Vaisseau Fantôme – allées transformées par la lumière en coursives et soutes de la Maria Celeste, Vaisseau Fantome. Dans le choeur, un tableau comme on en trouve dans les églises des XVIème/XVIIème siècles – marine des ténèbres, lueur christique et réverbération démonique – où l’ambiguïté des charges de répulsion et de fascination luttent chez l’observateur qu’elles « captivent ». De la même façon qu’un défilé par les coursives, puis le sous-sol de la clinique, ou telle révélation d’icône, corroborent l’intime communication entre ciel et enfer – le très-haut, le très-bas (manie religieuse hétérogène ou tentation manichéenne, qu’atteste la prière d’Angstel – confuse, contradictoire, presque dialectique (l’ombre d’Isis) – entre le goût de perdition, et la nécessaire résolution).

Religiosité passée vite, jamais soulignée, mais déclinée tout le film – tout l’art est omniprésent, dans la manière ou l’essence, tant il est « revisité » par la vitesse et la distraction, jamais objectivement imité, mais ACTIVÉ par la nécessité (comme Artaud dit : « l’art, c’est ce qui accélère la vie » – du Moyen Âge au XXème siècle, early sixties ou structures portantes d’Asger Jorn) – c’est-à-dire qu’il ne se donne jamais à voir, filmé statiquement comme une évidence : il est part intégrante, caution comme prétexte au chaos qui régit la problématique d’Angstel (hétérogénéité du réel et du sacré)… Littérature !

Intégré, suscité, jamais imité : l’art en vient comme les personnages (Angstel, Vince, Satarenko) – il accélère le « film » – comme le cinéma ne doit jamais le signer (idem % à la limite du symbolisme des couleurs picturales appliqué au ciné – ça ne marche jamais : c’est pas une couleur juste, – juste une couleur – mais C’EST elle…)

Contamination entre la gestion de l’art du film et celle des mots d’Angstel : dire vrai, voir juste, même « si c’est un artifice pour aller vite, encore plus vite ». Je rassemble les membres épars d’Osiris – ou : l’envers de l’envers n’est pas l’endroit.

DÉCOUPAGE (à armer la couleur, la contrer ou démesurer les émanations – fluide ou ruptif). Détail : un close-up n&b ne produit pas l’effet d’un close-up couleurs (pourquoi). Pourquoi le découpage des films actuels semble « comatisé » par de l’émanation.

Profaner la coloration par les structures.

DÉTERRITORIALISER.

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Archive – Voyage jusqu’Ossang

Fluctuat.net écrit sur la rétro Ossang au Jeu de Paume en 2006

VOYAGE JUSQU’OSSANG
FJ OSSANG
RÉTROSPECTIVE AU JEU DE PAUME DU 13 AU 18 JUIN 2006
Une rétrospective au Jeu de Paume rendait hommage à l’un de nos cinéastes les plus méconnus, malgré sa créativité foudroyante : FJ Ossang. Poète, musicien, punk, et surtout grand pourvoyeur de magie cinématographique.
Ossang a, dès son premier court métrage, posé les bases mouvantes d’un univers sombre mais transpercé d’une lumière aveuglante, où le film de genre se voit constamment remémoré pour mieux s’en éloigner. Voyager, partir, s’égarer : le cinéma d’Ossang se donne l’apparence de la dérive, mais n’abandonne jamais son cap ultime : l’extase.
Voir les films de FJ Ossang sur grand écran est à chaque fois une expérience rare et précieuse. Au Jeu de Paume, l’occasion nous était enfin donnée de retrouver l’intégralité d’une oeuvre cinématographique rare et renversante, mais qui ne représente qu’une des nombreuses facettes de l’homme. Que ce soit dans la musique – avec le groupe MKB -, les mots où le cinéma, la poésie d’Ossang trouve partout à s’exprimer. Car, lorsqu’on évoque son cinéma, c’est tout un univers qui semble se dégager immédiatement, des références, des influences, certes, mais surtout une vibration, un courant qui travaille chacune de ses images leur donnant une puissance inoubliable. Voir les films d’Ossang, c’est avant tout être pris dans un déluge audio-visuel, un tourbillon peuplé d’individus souvent usés, aux noms évocateurs et mystérieux d’Aldellio, Angstel, Zelda, Asphalt Osgaref ou du Capitaine Mort.
Dès son premier court métrage, La Dernière Enigme, tourné en 1982, Ossang aborde les questions qui ne le quitteront plus, sous un angle clairement debordien, autant philosophiquement que dans sa mise en scène. Le cinéaste y affirme sa fascination pour les films de genre, d’action en particulier, et pour les films de propagande, mêlés à une passion pour le punk et la Beat Generation. Sans oublier une réflexion qu’il commence à développer sur la Bande à Baader et la Faction Armée Rouge. Quelque part entre le punk en Angleterre, Baader en Allemagne, et l’héritage américain de la Factory, le jeune Ossang tente de se situer, et pour cela, il se crée un pays : son cinéma.
La question du territoire est omni-présente chez lui : de la Zona Inquinata aux Trésor des îles Chiennes, ses personnages sont en partance, à la recherche d’obscures graals, le plus souvent surtout soucieux de fuir leur situation présente. Mais, bien que la tonalité soit souvent épique, que les acteurs déclament plus souvent qu’il ne parlent, que ces fictions semblent décoller largement du réel, on n’est finalement jamais plus près des préoccupations d’une époque qu’Ossang décrit avec ses propres filtres. Dans l’Affaire des Divisions Morituri, premier long métrage apocalyptique, la bande des gladiateurs qui, à travers le monde, remettent en cause le pouvoir établi du capitalisme ne sont pas loin des groupes d’extrêmes gauches qui secouaient l’Italie et l’Allemagne. Depuis son pays des morts, Ossang ausculte l’Europe là où cela fait mal, dans ses brûlures historiques encore chaudes, et avec une acuité qui devient encore plus évidente avec le temps. Avec Debord comme figure paternelle, le cinéaste saisi spontanément
l’implication politique des lieux, ces espaces uniques et fascinants qu’il crée à chaque film, ces territoires mentaux et physiques tels que les situationnistes aimaient à les lier entre eux.
La fascination est ainsi un élément clé pour entrer dans ces films. Les scènes « de genre » y sont entrecoupées de nom de codes, de mystère, de panneaux façon Godard qui entraînent le spectateur à chercher ailleurs, interrompent le récit pour mieux l’ouvrir à l’inconnu. Très inspirés aussi par l’ère du muet, Murnau en particulier, dont le Nosferatu et l’Aurore ne sont jamais loin, les films d’Ossang saisissent le spectateur par des scènes d’une splendeur visuelle inédite, travaillant l’image, les couleur, le cadre et le son pour produire de véritables condensés de beauté. Une beauté qui s’affirme volontiers hantée, car toujours habité par « La mort, ce continent de notre corps où la vie ne se remémore plus quelle force la hante. » (in Le Trésor des îles Chiennes). A travers aussi la musique rock, métallique et tellurique produite avec son groupe MKB, ou par des groupes proches en esprit tels que Tuxedomoon, Throbbing Gristle, Killing Joke ou Cabaret Voltaire, les films travaillent une imagerie underground et radicale, en la déplaçant dans ce qui pourrait rester d’un film de genre après la 3eme Guerre Mondiale : des icônes, des femmes fatales, des guerriers en marche, un couple qui s’enfuit, une inquiétude qui n’interdit pas, comme dans un rêve, la grâce.
C’est probablement avec son dernier film, Dr Chance, qu’Ossang a porté à son paroxysme ce mélange de grâce, de tension, de course poursuite contre la mort, avec, en prime, la présence rare de Joe Strummer. Depuis, le cinéaste peine à financer ses films. C’est pour cela qu’a été lancée la Souscription Sarkov, permettant à qui le désire de participer à cette aventure. Y jeter un oeil est indispensable, et participer, même par quelques sous, peut devenir un geste de rébellion contre le cinéma standardisé qu’on nous sert aujourd’hui. Une façon de se rappeler que, ici comme dans la Zona Inquinata, « La vie n’est qu’une sale histoire de cow-boys ».
Filmographie :
La Dernière Enigme, 1982, Court métrage
Zona Inquinata ou la vie n’est qu’une sale histoire de cow-boys, 1983, Court métrage
L’Affaire des décisions Morituri, 1984
Le Trésor des îles Chiennes, 1991
Docteur Chance, 1998
[Illustrations : 1. F.J Ossang | 2. L’affaire des Divisions Morituri |3. Le Trésor des Iles Chiennes | 4. Docteur Chance]
Laurence Reymond

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