Bel article de Vincent Deville sur la Furia Umana

article original ici

F.J. Ossang : le cinéma est une énigme qui me magnétise

 

 

Qu’il agisse dans les domaines de l’écriture, de la musique ou du cinéma, F.J. Ossang témoigne d’une même passion brûlante pour la poésie. Près de quinze années séparent son nouveau long métrage Dharma Guns (2011) du précédent Docteur Chance (1997), qui disent à la fois la difficulté à produire son cinéma aujourd’hui, mais aussi sa persévérance et la nécessité qui l’anime et le pousse à toujours explorer le cinéma, dont il déclare chercher à percer l’énigme. « Il existe une vie après la mort, j’en suis la preuve » annonçait Ossang lors de la soirée de projection du film en avant-première à Paris. Cinglante, cette remarque dissimule un fond de vérité, comme si Docteur Chance avait bel et bien été une mort symbolique pour le cinéaste, et qu’il lui aura fallu renaître pour réaliser un nouveau film… dont le sujet même est la disparition de son héros, perdu dans un monde qu’il ne contrôle pas, face à une réalité qui se dérobe, confronté à des règles du jeu qu’il n’a pas choisies.

 

Pour autant, ce « purgatoire » n’aura en rien été une période d’inactivité, c’est au contraire le moment où la reconnaissance internationale d’Ossang s’affirme, par une multitude d’hommages et invitations à travers le monde. Les projets littéraires prennent le relai, en Nouvelle Zélande, en Argentine, sur William S. Burroughs… La musique aussi : rééditions d’album du groupe MKB, nouvelle formation Baader Meinhof Wagen… Et, véritable remontée des limbes, surgissent presque par surprise, à commencer pour le cinéaste lui-même, trois courts métrages en 2006-2008. Silencio (2006, 20 min.), Vladivostok (2008, 5 min.) et Ciel éteint ! (2008, 23 min.) replongent aux sources argentiques, noir et blanc et quasi mutiques du cinéma. Les trois films sont aujourd’hui rassemblés en un « triptyque du paysage ».

Silencio est issu d’une commande initiale qui devait accompagner un spectacle de danse au Portugal. Ossang y trouve immédiatement l’opportunité de faire à nouveau un film et reprend tout depuis le début[1] :

 

On a tourné avec de la 65 ASA, sans éclairage additionnel, avec juste le soleil, le vent et la nature. Je voulais retourner au primitif, à la simplicité, à l’essence : pas de dialogue, pas de numérique, pas de virtualité. La question était de savoir où était le réel. La caméra elle-même était bricolée : on avait des objectifs récupérés sur une caméra 35, adaptée à une vieille Aaton 16, première génération, de 1972. Faire un film avec rien, comme un opérateur Lumière, m’a redonné une force extraordinaire.

 

De la pesante chaleur du Portugal au froid glacial de Vladivostok, les films interrogent une même présence du couple placé à l’orée du monde : corps toujours un peu étrangers à eux-mêmes et à ce qui les entoure, frôlant d’intimes apocalypses, entre nature vierge et horizons industriels. Au travers de motif récurrents – eaux lourdes  et opaques, lumières filtrant, figure féminine qui échappe toujours un peu à son compagnon masculin, présences spectrales, corps-âmes, lointains navires, hasard et signes funestes, mal invisible qui sourd[2]… – Ossang pose les bases du long métrage à venir. Avec Ciel éteint !, il cherche, trouve et invente un nouvel acteur-personnage que l’on retrouve dans Dharma Guns : le chanteur écossais Guy McKnight, leader du groupe The Eighties Match Box B-Line Disaster, y profère des paroles hallucinées et traverse le film à la manière d’un fantôme.

 

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On retrouve également dans Dharma Guns trois aspects sur lesquels repose son cinéma, sans qu’il soit d’ailleurs possible de dire quelle voie domine.

Une passion pour les fictions populaires tout d’abord, qui font la marque de ses scénarios et contiennent en germe la puissance visuelle et les situations. Le film mêle fantastique et science-fiction émanant de la série B (présence menaçante de zombies, plutôt évoqués que réellement vus ; clonages et autres propagation de virus…), intrigues (personnages disparus, héritage…) et aventures (poursuite en bateau, fusillade, hommes-grenouilles…). Stéphane du Mesnildot, critique et écrivain de cinéma, a trouvé la meilleure formule pour qualifier le film : une aventure de Bob Morane qui aurait été filmée par Jean Epstein !

Une histoire en forme d’épopée amoureuse, dans la lignée de Tristan et Iseult (déjà fortement évoqués dans Docteur Chance) ou d’Orphée et Eurydice : l’union n’est jamais acquise, le couple toujours à reconquérir, n’échappant pas à la trahison en son sein ni à la malveillance des autres.

Mais surtout une forte critique d’un monde moderne régi par la néfaste collusion entre états, économies et industries : son premier court métrage, la Dernière Énigme (1982), est librement inspiré du texte Du terrorisme et de l’état de Gianfranco Sanguinetti, lui-même assistant-réalisateur de la Société du spectacle de Guy Debord, figure clé de la galaxie Ossang ; dans Dharma Guns se superposent une affaire de vaccins, une énigme des supermarchés et des images de vastes entrepôts qui semblent emplis de marchandises mortifères. Tout commerce et échange y apparaît comme un trafic mafieux. Dans des peintures utilisées pour le décor, des coupes de crânes laissent apparaître un code-barres à la place du cerveau…

Ces trois aspects contribuent à la complexité et à l’invention narrative de ses films. Qu’il dure cinq ou cent minutes, chacun d’eux nous invite à un voyage en eaux troubles, et comme ses personnages il ne faut pas craindre de s’y enfoncer, s’y enliser, s’y noyer, de se laisser emporter par les courants parfois contraires qui agitent le film dans sa profondeur, sous la surface de l’histoire.

 

Disloquées, discontinues, « en réseau » dit Ossang, les fictions génèrent et propagent du visuel et du visible mais reposent aussi bien sur des présences invisibles et pourtant capitales aux yeux du cinéaste, qui explique par exemple son désir de tourner aux Açores (Dharma Guns et déjà auparavant le Trésor des Îles Chiennes) parce qu’il a l’impression de se trouver au centre du monde, là où se rencontrent et frottent souterrainement les plaques tectoniques africaine, américaine et européenne. Tout comme dans ses films des forces souterraines informent le destin des personnages, un mal invisible rôde et se dissémine (virus, chimie, économie, politique, idéologie, sentiments…). Ossang en capte une part dans le rôle qu’il attribue à la nature, investie d’une puissance, d’une virtualité, d’une énergie folle, quand il filme le devenir d’un paysage agité par le vent, envahi par des brouillards, saisi par un rayon de lumière. A cette nature s’opposent les créations humaines qui prennent souvent la forme d’architectures à la fois sophistiquées et démentes ou encore d’abris primitifs, secrets et enterrés (grottes, passages souterrains, bunkers) qui servent de repaire et où reprendre des forces avant de lancer une dernière attaque à la face du monde.

 

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Car les personnages sont toujours des guerriers de la dernière chance, ultimes insoumis mais menacés de disparition. Et la disparition de l’humain est probablement le sujet principal de Dharma Guns. Ossang écrivait dans son livre Le Ciel éteint, qui constitue une trame narrative pour Dharma Guns, « Il existe des politiques, des syndicats, des religions pour désigner l’humanisme. Mais s’occuper de l’humain doit suffire à l’artiste. » A entendre selon deux sens complémentaires : seul l’artiste peut ou est capable de traiter de l’humain ; cela doit être sa tâche principale. Le personnage de Stan connaît ainsi tout au long du film de grandes variations figuratives qui mettent en jeu sa plastique à l’écran : silhouette, contre jour, clair-obscur, flou, vu à travers des surfaces semi-transparentes, disparition dans le décor… C’est jusqu’à la présence même de l’acteur au sein du film que l’on pense lorsqu’il déclare à Jon : « J’en ai un peu marre de ces conneries » et que l’on s’attendrait presque à voir l’acteur quitter le champ et rentrer à la maison. Dans un véritable tour de force final du récit, le film forme une boucle avec son début, et l’on retrouve Stan emporté par une ambulance dans la nuit. La dernière phrase du film, « Il s’en va », résonne alors comme un écho qui se propage dans un monde bien vide, et sonne comme une ultime disparition.

 

 

Vincent Deville

 

 

Plus d’informations sur http://www.fjossang.com

 

[1] Prix Jean Vigo en 2007, il marque une nouvelle jeunesse pour le cinéaste qui, en hommage aussi bien sans doute à Lumière qu’à Bresson, indique au générique de Dharma Guns que le film a été aidé par le Centre national du Cinématographe.

[2] La figures « 666 » découverte par hasard sur des arbres en cours de tournage, er qui revient de manière tout aussi hasardeuse dans un jeté de dés.

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Pedro HESTNES (Angstel dans Docteur Chance) nous a quitté hier. Repose en paix, Pedro.

voir sa fiche sur Allociné.

Pedro Hestnes aka Angstel in Docteur Chance

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Rencontre public DHARMA GUNS Mardi soir 14 Juin au Cinéma JEAN VIGO de Genevilliers 92

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FJ Ossang à la Sorbonne le 23 mars 2011

Rencontre avec F.J. Ossang par telesorbonne

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Ce soir, 3 juin rencontre public DHARMA GUNS aux Cinémaginaires d’ARGELES 66 (Le Jaures)

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Chronique du coffret DVD sur Kinok

article original : site de kinok

COFFRET
FJ OSSANG
L’AFFAIRE DES DIVISIONS MORITURI
LE TRÉSOR DES ÎLES CHIENNES
DOCTEUR CHANCE

  • Post-godardo-debordismo-punk
  • 1984, 1990 & 1997
  • 1h21, 1h49 & 1h37
  • Sortie à la vente le 5 avril 2011
  • Editions Potemkine

 

SYNOPSIS
Le premier est un film de gladiateurs des années 80, le second est un film de science-fiction où un groupe d’hommes errent sur une île en quête d’un secret disparu, et le troisième est un road-movie amoureux et armé jusqu’aux dents.
POINT DE VUE
*****
Négatifs magnétiques

L’affaire des divisions Morituri

Naissance de Ossang au cinéma, après les voitures, la poésie, et le punk. Et c’est mêlé de ces trois incarnations précédentes qu’il se présente.
Les voitures : le film avance comme une machine, il broie, il décape.
La poésie : elle est là, partout, dans les dialogues d’abord, déclamée par les personnages, dans le montage ensuite, godardien, plein d’associations fausses, donc vraies.
Le punk : parce que le film est profondément romantique, soutenu dans ses déliquescences par Throbbing Gristle et Cabaret Voltaire.
On pourrait croire à la pose, mais elle tout de suite sabrée. Dès qu’elle pointe, le cinéma d’Ossang l’assaille et la renvoie aux oubliettes. Ainsi Nietzsche et Artaud sont convoqués, mais c’est pour s’en moquer avant tout.
Il y a la bande à Baader en toile de fond, il y a la drogue qui parcourt le film, il y a un jeu constant entre images laides et images grandioses, entre épopée et néant. Le film est le ramassis de toutes ces choses disparates qu’il écrase aussitôt. Le leitmotiv de L’affaire des divisions Morituri est écrit sur un carton : « Images, images, nous sommes images du film coma ! » Ossang croit que le film oublie, que la pellicule n’imprime pas, que la mémoire n’a pas le cinéma pour lieu. C’est autre chose qui y circule, plutôt que la mémoire : le désordre.

Le trésor des îles chiennes

Sortir de l’île, ce serait sortir du film. Mais les héros, en bande, n’ont qu’une voiture. Les seuls bateaux qu’on voit sont des épaves. Les avions ne décollent pas, et il n’y a plus d’hélicoptère.
Le trésor des îles chiennes est un film de science-fiction sans science ni fiction – simplement des figures errant dans les paysages qui se resserrent sur eux, les étreignent, les rejettent, les broient. Le ton est d’outre-tombe : « leurs yeux sont des boules de mort ». Mais dans l’apathie générale de cette métaphore d’une lente descente d’acides, surgissent quelques moments majestueux. Une baignade, un égorgement, des hommes en train de marcher.
Quelque chose convainc moins que dans les deux films qui suivront. Le trésor des îles chiennes voudrait tout faire trembler mais n’y parvient que par instants, et ces instants sont peu, au vu des nombreuses défaites du film, qui ne cesse de se battre en force, frôlant l’overdose.

Docteur Chance
Si Ossang filme cinq fois cette affiche de L’aurore sur la devanture d’un cinéma chilien, ce n’est pas pour rien. D’abord, il parle du cinéma comme possible décloisonnement, comme frontière abattue, comme internationalisme. Ensuite, il sous-entend quelque chose que nous comprenons au fur et à mesure du film : il fait du cinéma muet. Dans le bruit, dans la musique, il retrouve le silence, et dans la parole le carton. Les personnages parlent, mais pas comme dans les films parlants : ils parlent comme si un carton remplaçait leur visage.

Ce n’est pas tout. Le cinéma muet est très présent dans Docteur Chance. Ossang veut nous faire croire au cinéma des origines, et nous mettre dans la position du spectateur découvrant le cinéma. Avec ce film, le cinéaste s’invente une origine (ou plutôt, laisse au cinéma la chance de renaître). Il cherche aussi à nous laisser penser que chaque image est une pure invention, presque un tableau (alors qu’évidemment chaque image est saisie). Ainsi, il retrousse le problème du cinéma, comme les grands esthètes, mais sans donner à voir le contrôle nécessaire à cela (plutôt Kanevski que Kubrick). Ce qu’il y d’extraordinaire, c’est qu’il vole au monde des images que le monde ne donne pas. Il se refuse à la laideur, il inonde le spectateur de couleurs, nous sommes pris dans un spectre très large, éblouis comme dans un faisceau de lumière. Rien à voir avec Wong Kar Wai, car le ton n’est pas le même. Le ton n’est pas celui de l’homme satisfait de sa création, mais plutôt celui de l’homme perdu dans celle-ci, écrasé par elle, se maudissant d’en avoir déjà trop dit, trop fait.

On pourrait prendre Docteur Chance comme un film sur la puissance des machines. On ne compte pas les plans de voiture, les courses, les mouvements. C’est par la machine que le monde redevient beau, pur : par la vitesse que la machine génère. Et l’on quitte les nuits chiliennes pour rejoindre la lumière argentine / argentique. La pellicule est irradiée. Pas impossible que Francis Coppola ait vu ce film avant de faire Tetro.

Quitter, je crois, c’est ça le grand mouvement du film (son moteur). Ossang saisit la fragilité de l’inspiration, l’égarement lié aux fuites, et le miracle des échappées. Il décline les vitesses, entre chaos et poésie. Qu’est-ce que la poésie au cinéma ? Peut-être une question de magnétisme. Comme ce regard qui dit Dieu, et qui réapparaît avant que le roux ne crache rouge dans l’évier de sa chambre d’hôtel. Un lien se fait, là, dans ces images se succédant, qui n’appartient à rien, à aucune pensée, à aucun ordre. Qui crée son ordre – ou plutôt son règne.

Ossang ne peut se résoudre au rectangle du cadre du cinéma. Il arrondit ses plans, façon longue-vue. L’image est cerclée de noir. C’est un cinéma qui ne cesse de montrer au loin, de marquer la distance par le noir entourant l’action, de redéfinir ses contours. C’est aussi un cinéma mobile : tel geste entraîne la caméra vers le sol, tel autre vers le ciel, la caméra danse, traque, poursuit. Et dans la saisie de ces gestes, Ossang cherche les indices d’un possible soulèvement. Il cherche tout ce qui pourrait faire basculer le film. Ainsi le film est constamment en péril (d’autant qu’il ne cherche pas à être intelligible). Sa puissance naît de ce qu’on n’attend pas. Il n’y a pas de promesses, mais il y a des éclats.

Antoine Mouton

FICHE TECHNIQUE
  • DVD 1
    L’AFFAIRE DES DIVISIONS MORITURI (1984, 1h21)
    Avec: Gina Lola Benzina, Philippe Sfez, Lionel Tua

    + BONUS
    * La dernière énigme (1982, 13 minutes) de FJ Ossang
    NOTRE AVIS :
    Premier court-métrage de Ossang, payant un peu lourdement sa dette à Debord. On crache sur la ville, on dénonce l’autoritarisme de l’état, et sa présence, partout, jusque dans les images les plus anodines. /AM

    * Zona inquinata (1983, 21 minutes) de FJ Ossang
    NOTRE AVIS :
    Quelques punks affrontent un vieux cow-boy : même manière de caresser les flingues. L’histoire est d’amour et de mort. La question est la cinégénie des visages, la désertion des villes. Le visage est une friche, la mort est une arène. / AM


  • DVD 2
    LE TRESOR DES ILES CHIENNES (1990, 1h49)
    Avec: Stéphane Ferrara, Diogo Doria, Serge Avedikian, Clovis Cornillac, José Wallenstein

    + BONUS
    * Entretien avec le réalisateur (6 minutes)


  • DVD 3
    DOCTEUR CHANCE (1997,1h37 )
    Avec: Pedro Hestnes, Elvire, Marisa Paredes, Stéphane Ferrara, Joe Strummer, Feodor Atkine, Lionel Tua

    + BONUS
    * Entretien avec le réalisateur (10 minutes)

    + LIVRET où l’on trouvera des textes de Ossang, chansons, documents, citations, photographies de tournage


  • CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES
    NOUVEAU MASTER RESTAURÉ
    DVD 9 – PAL – Zone 2 – couleurs et noir et blanc
    Image & son:
    Format: 1.37 / 2.35 / 1.66
    Ecran: 4/3
    Langue(s):  VO française en Mono et Dolby SR
    Sous-titres:anglais
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Ou voir Dharma Guns cette semaine ?

DHARMA GUNS 12°semaine :

à PARIS (25 Mai) au MK2 Beaubourg (3°)

SAINT-GRACIEN (Les Toiles),

ANGERS 49 (Les 400 Coups)

DHARMA GUNS et DOCTEUR CHANCE à PAU 64 (Le Méliés – rencontre du public le 27 Mai)

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Blog Of Terror parle (en bien) de Dharma Guns

article original ici

Dharma Guns /// addendum esthétique

(L’Affaire des Divisions Morituri /// F.J. Ossang)

Dans notre critique du Trésor des Îles Chiennes de F.J. Ossang sur Culturopoing, nous évoquions en ces termes l’usage de l’iris (fermeture/ouverture) par le réalisateur.
(à propos de l’iris et du jeu qu’en affectionne le cinéaste. Un procédé renvoyant à un certain cinéma primitif, une période où une nouvelle grammaire inscrivait ses règles vierges de préconceptions, organisant son mouvement, invention du langage-cinéma. Mais impossible de réduire ce jeu à une simple attirance passéiste. Les ouvertures/fermetures d’iris ne fonctionnent pas comme des fondus, laissant croire qu’il y a un avant et un après séquence. Là, on touche physiquement au cadre. C’est tout autant une réduction-direction du regard que son explosion. Car tout porte à croire qu’entre ce que l’on nous donne à regarder et ce qui ne se voit pas – ou que l’on soustrait -, la frontière n’existe pas. Et que la précision d’un cadre – toutes ces belles images – procède bien d’une volonté de dégager de la beauté ordonnée, un acte conscient qui n’oblitère jamais le chaos.)
On retrouve dans Dharma Guns cette même signature du cinéaste. Sauf qu’en total accord avec le projet du film, Ossang détourne le procédé en l’utilisant au figuré. Ainsi, ces deux photogrammes.

Dans ce premier photogramme, l’image se trouve réduite à un point lumineux, l’escalier en colimaçon suggérant le mouvement de l’iris fermeture/ouverture. Et Stan coincé entre le cadre intérieur et le cadre extérieur, entre l’image-cinéma et l’image-monde.

Dans ce second photogramme, au second plan, l’étonnante fenêtre dans la pierre découvre la scène (de l’eau, encore de l’eau), jouant le rôle de l’iris à moitié fermé. Stan et Délie se retrouvent ainsi flottant dans un intermonde aux frontières de l’image.
Deux belles façons de figurer esthétiquement la réalité du film et de ses personnages, coincés dans les limbes, entre la vie et la mort.
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Le 27 mai 2011, OSSANG et ELVIRE à Pau

Pour la projection de Dharma Guns, Docteur Chance au cinéma Le Melies

toutes les infos ici

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Manifeste pour un cinéma mutant ! Fabien Thévenot, Le courrier

lien original

F.J. Ossang, manifeste pour un cinéma mutant

JEUDI, 12 MAI, 2011

DVD • Adepte d’un cinéma «autre», le cinéaste français revient enfin avec un nouveau long métrage, une rétrospective et un coffret DVD.

A l’heure de la généralisation des projections numériques et de la production en masse de films en 3D, le cinéma noir et blanc de François-Jacques Ossang, tourné en 16 ou 35 mm, a quelque chose de prodigieusement anachronique. Interrogé par les Cahiers du Cinéma en mars dernier à propos de ce déferlement numérique, celui-ci répondait: «Mes films sont le fruit des chocs mentaux que j’ai eu devant l’avant-garde soviétique, le cinéma allemand, la série B américaine des années 1940 à 1960 et énormément de cinéma muet. C’est comme de lire Trakl, Artaud ou Rimbaud ou de découvrir les Stooges, ce sont des choses qui vous marquent à vie. Muter m’intéresse, évoluer non.»

Burroughs iroquois
Pour saisir l’exactitude d’une telle déclaration, il suffit de jeter un œil aux deux courts et trois longs métrages réunis dans le coffret DVD édité par Potemkine Films & Agnès B. Si l’on survole ses deux premiers courts – La Dernière énigme (1982) et Zona Inquinata (1983) – pour aboutir à Docteur Chance, son troisième long, force est de constater qu’en quinze ans, le cinéma de F.J. Ossang s’est ajusté, amputé, a subi de nombreuses greffes, mais n’a jamais foncièrement évolué. Dès l’origine, le style Ossang est là: esthétique postindustrielle, rhétorique debordienne, cartons hérités du muet, scénarios labyrinthiques, théorie burroughienne de la subversion du discours dominant, dialogues écrits pour être déclamés.
A l’origine, il y a deux courts suivis d’un long métrage (L’Affaire des Divisions Morituri), tournés entre 1982 et 1984. Trois films qui reflètent leur époque et ses errements. On y aborde le désarroi de la jeunesse européenne face à la fin des utopies, le terrorisme occidental, les nouvelles méthodes de torture psychologique pour briser les résistances. Brouillons, imparfaits, chaotiques, ces premiers essais n’en restent pas moins l’œuvre d’un punk éclairé n’ayant jamais renoncé à la poésie.
Au début des années 1990, le discours critique du cinéma d’Ossang va néanmoins se déplacer sur le territoire esthétique. Le Trésor des Iles Chiennes (1990) est probablement son film le plus fascinant, de par la fulgurance de sa mise en scène, magnifiée par la photographie signée Darius Kondji.

Cauchemar kafkaïen
A la fois film d’aventure métaphysique, science-fiction à petit budget et cauchemar kafkaïen postindustriel, ce Trésor parle de notre sale course effrénée à la production d’énergie, du suicide autoprogrammé de l’Occident. Entre Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston et L’Aurore de Murnau, Ossang cherche à atteindre la modernité du cinéma en invoquant les images du passé, tente avec des méthodes d’alchimiste de produire la synthèse du muet, de la série B et de la poésie. Si le résultat souffre de quelques flottements, la proposition fait autorité dans sa volonté de libérer le septième art du despotisme du dialogue et des champs-contrechamps.
Sept ans plus tard, Ossang tourne Docteur Chance, son seul et unique film en couleur. Pour ce troisième long métrage, le metteur en scène s’attaque aux archétypes du film noir. Nicholas Ray y rencontre Leos Carax sur les routes désertiques chiliennes, guidé par un Joe Strummer fantomatique venu tirer sa dernière révérence cinématographique. Le film est à l’époque très mal reçu par la critique. Pourtant, en le redécouvrant aujourd’hui, on y entrevoit un cinéaste tout terrain à l’aise dans n’importe quelle situation de tournage commando. Qu’il filme le Chili, les Açores, la banlieue parisienne ou l’Auvergne, Ossang a cette capacité innée de s’approprier n’importe quel lieu pour en faire son «interzone», s’affranchir du réel, livrer sur son rapport au monde un perpétuel commentaire poétique.

Cinéma de l’errance
On dira alors son cinéma bavard. Mais dans le fond, il est avant tout littéraire, dans le sens le plus noble du terme. Ses dialogues ne servent jamais à faire avancer le récit. C’est peut-être ce qui désarçonne le spectateur en premier lieu. Chez lui, il s’agit d’arracher le mot à sa fonction informative pour lui permettre de se déployer dans un espace poétique que l’image accueille comme un écrin. Son dernier film, Dharma Guns, sorti le 9 mars en France accompagné d’une rétrospective intégrale (mais encore inédit en Suisse), enfonce le clou dans cette volonté de produire un cinéma de l’errance, cérébral et guidé par les logiques du rêve.
Cinéaste de la sensation pure, F.J. Ossang est un lointain cousin de Guy Maddin, David Lynch, voire même – dans une certaine mesure – de Terrence Malick. Il est, comme il aime à le rappeler, un cinéaste de troisième génération, ayant absorbé un cinéma muet visionnaire, ayant dépassé le cinéma parlant assujetti au réel, cherchant aujourd’hui la troisième voie, une sorte de cinéma-synthèse.

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