Docteur Chance sur Culturopoing

la suite et fin de cet beau tryptique en version originale ici !

C’est encore à la fin d’un monde qu’Ossang nous convie, encore une de ces sociétés secrètes prêtes à basculer dans un bain de sang rageur. L’histoire se résume simplement : comment de trajectoire devenir trace. Conjurer la malédiction. Angstel est un petit trafiquant d’armes et d’arts. Bloc de colère et d’angoisse, c’est un homme-enfant, un Peter Pan qui n’arrive pas à décoller. Je hais ce bar, ces gens, ce quartier. Qu’est-ce que c’est que ce monde? Son chef de réseau cache mal derrière un paternalisme condescendant le fait qu’il va devoir le sacrifier. L’équilibre est rompu et Angstel ne veut pas suivre la trajectoire imposée. Prendre suffisamment de vitesse pour sortir du rail, ne laisser derrière lui que la poussière.

Alors devant un cinéma, Peter Pan rencontre une Alice d’hôtel de passe. Le trafiquant et la pute. Joli couple rock’n’roll. On la connait, l’histoire. Ivres de drogues, poursuivis par des agents secrets et des gangsters, nos amants maudits prennent la poudre d’escampette jusqu’au blast final laissant tout le monde sur le carreau. La légende du rock’n’roll a la peau dure, nihilisme passif qui se nourrit de clichés et de codes biens utiles pour conforter la bonne société, infantilisant ceux qui s’en repaissent, rejoueurs éternels de tragédies de bac à sable. Mais Angstel et Ancetta, le trafiquant et la pute, sont plus que ça. Pas Sid et Nancy pour un sou. Peter Pan et Alice, on vous dit. Nihilistes actifs, s’ils envoient tout balader, ce n’est pas pour vouer le monde aux gémonies et basta! S’ils ont le goût du néant, c’est parce qu’ils savent que du rien, tout est possible à partir de l’envie. On est dans les soutes du monde. Et on parle du ciel. Peter a envie d’Alice. Alice a envie de Peter. Mais ce n’est pas une question d’amour fou, romantisme échevelé pour midinettes trash. Pas de projection dans l’autre de ses propres aspirations, réduction de l’altérité, réceptacle désincarné. L’amour, c’est l’infini à la portée des caniches. S’ils doivent mourir pour vivre la vie qu’ils ont choisie, Angstel et Ancetta ne veulent pas le faire comme des clébards, la queue entre les jambes, le mal au ventre. Ce sera en plein ciel. Pour prouver qu’il existe et que tout est encore possible.

Alors le voyage sera chaotique, déchirant, paranoïaque. Mais aussi traversé  d’éclairs de pureté, promesses d’un horizon enfin dégagé, d’une aurore innocentée. Commençons par la fin, qui est aussi le commencement. Certainement la plus belle image de tout le cinéma d’Ossang, la plus pure. Alors qu’ils viennent de rejoindre le ciel aux commandes de la Mary Celeste, Angstel et Ancetta disparaissent du cockpit, devenus eux-mêmes des ghosts pilots à l’image de leurs guides, Vince Taylor et le hollandais volant. Là, la toute dernière image, celle qui continuera de nous hanter longtemps. Une image simple, une simple image se résumant à une seule idée. Juste l’ombre portée de l’avion sur un continent de nuages. Image est l’anagramme de magie. Ossang est un magicien et Docteur Chance est son printemps. Tout refleurit. Tout recommence. (It’s only the beginning)

Entre temps, entre les extrémités de la boucle, ce ne sera pas le seul sortilège que nous donnera à voir le métrage. Un des moindres n’est certainement pas celui de rendre permissif la frontière entre ce que l’on voit à l’écran et notre réalité de spectateur. Pour exemple, un petit tour de passe-passe très beau et d’une simplicité enfantine : alors que le film entame son deuxième acte et que le couple en fuite roule à tombeau ouvert, la musique off passe en musique in, Angstel baisse le volume de la radio et devient son propre narrateur, voix intérieur comme on en entend souvent dans le reste du film; ici, s’incarnant à voix haute. Ailleurs, c’est Ancetta lisant un recueil du poète-pharmacien Georg Trakl alors qu’Angstel est à l’officine du pharmacien-poète Trakl Georg pour y récupérer ce que l’on ne saurait réduire à de la drogue. Petite fiole remplit d’un liquide bleu, la préparation du pharmacien (Angstel parlera de philtre, soit la boisson miraculeuse) évoque irrésistiblement celle que prend Alice aux portes du Pays des Merveilles.
Tout ce mouvement de pur réenchantement du monde, de permissivité ensorceleuse entre les images et notre oeil bénéficie au rock’n’roll qui retrouve ici toute sa réelle puissance de mythe moderne. On voit ainsi le classieux Clash Joe Strummer jouer Vince Taylor, légende du rock s’il en est devenu dans la fiction un ghost pilot ayant réussi l’échappée belle visée par Angstel. Et Vince Strummer (ou est-ce plutôt Joe Taylor) de délivrer la formule secrète ouvrant les portes du ciel à Angstel et Ancetta, en route pour Victory Lane. Victory Lane, c’est l’anagramme de Vince Taylor. (Un Vince Taylor présent aussi par la bande, musicale cette fois, encore en ghost pilot puisque l’on entend dans le film la trompette de Jac Berrocal avec qui Taylor enregistra le définitif Rock’n’Roll Station.)

Autre figure proche du mythe, le double rôle joué par l’ancien boxeur Stéphane Ferrara, acteur récurrent chez Ossang et corps magnétique. Homme-opérateur dans Le Trésor des Îles Chiennes, figure droite du récit, il devient dans Docteur Chance, l’homme de la Destinée. pas un Deus Ex Machina, mais celui qui est là parce que les choses doivent arriver, en bien (Dietrich) comme en mal (Fonzie). Au cours de la fusillade finale sur le tarmac, Angstel recevra une balle tirée par lui. « Tu saignes à la tempe. – Je crois que j’ai du fer dans le cerveau. » Angstel a grandi. Du plomb dans la tête, pas dans l’aile. Peter Pan peut enfin décoller. Au bénéfice du final cut qu’il recherchait.

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DHARMA GUNS en salles 5° semaine (6 Avril)

MK2 Beaubourg (3°) et L’ENTREPOT (14°) à PARIS
+ rétrospective intégrale à MONTREUIL (Méliés)
+ DOUAI (L’hippodrome) + VALENCE (Lux) + DIGNES (rencontres)
+ DHARMA GUNS / DR CHANCE / TRESOR ILES CHIENNES / MORITURI……à AIX-EN-PROVENCE (Institut de l’Image)
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Trésor des Iles Chiennes : chronique sur culturopoing

article original ici, établi pour la sortie du coffret DVD. Pour pouvez d’ores et déjà retrouver ici la première chronique.

 

1986. La marche du monde est suspendue, le nucléaire aux bords des lèvres, Tchernobyl vient de lui cracher à la face son poison mortel. 4 ans plus tard sort Le Trésor des Îles Chiennes, film tout en dégradés de gris où le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle de sarcophage. L’argument du film. De la science fiction. Non, de la poésie spéculative. De l’anticipation tirant sur l’abstraction. Une nouvelle énergie en poison pour l’humanité. Une compagnie déjà condamnée qui veut se refaire au mépris des hommes. Une usine de la mort sur une île perdue, préhistorique, rendue à l’état minérale par un premier drame énergétique et où se joue une guerre entre l’antique et la modernité, deux visages de la même barbarie partageant une même méthode, le cannibalisme. Sur l’archipel des Îles Chiennes, plus de vernis de civilisation, les verrous sautent à mesure que le champs magnétique impacte les cerveaux. Chimiothérapie pour un cancer qui ronge le monde. Nous sommes le cancer et nous nous vomissons.

Tourné en scope, Le Trésor des Îles Chiennes est un film à l’horizontal, comme un mourant à qui on vient donner l’extrême onction. On y arrive par les nuages et on y descend comme l’on descend aux enfers. La première partie du film est faite de séquences disjointes bourrées à craquer d’informations. Ossang y systématise à outrance son style : ouvertures/fermetures d’iris et intertitres, comme une ponctuation qui déborderait des règles. Rythmique de cut-up (de toute façon, chez Ossang, William S. Burrough n’est jamais loin, rencontré à l’adolescence à la faveur d’un accident). Profonde haine de la paraphrase. Tout est dit une fois, une seule. Le cinéma d’Ossang est celui de l’exigence, pas question d’être inattentif. Chaque plan, chaque mot, le dit, l’écrit, le vu, tout fait sens et s’insère dans un vaste mouvement. Et pas besoin de tout dire, pas besoin de tout montrer, non. On ne verra jamais ainsi les tribus de cannibales des Îles Chiennes. Les fantômes n’ont pas besoin d’être vus pour exister. En revanche, des morts-vivants, on ne voit que cela.

(à propos de l’iris et du jeu qu’en affectionne le cinéaste. Un procédé renvoyant à un certain cinéma primitif, une période où une nouvelle grammaire inscrivait ses règles vierges de préconceptions, organisant son mouvement, invention du langage-cinéma. Mais impossible de réduire ce jeu à une simple attirance passéiste. Les ouvertures/fermetures d’iris ne fonctionnent pas comme des fondus, laissant croire qu’il y a un avant et un après séquence. Là, on touche physiquement au cadre. C’est tout autant une réduction-direction du regard que son explosion. Car tout porte à croire qu’entre ce que l’on nous donne à regarder et ce qui ne se voit pas – ou que l’on soustrait -, la frontière n’existe pas. Et que la précision d’un cadre – toutes ces belles images – procède bien d’une volonté de dégager de la beauté ordonnée, un acte conscient qui n’oblitère jamais le chaos.)

Après donc une première partie en round d’observation fragmenté (présentation des personnages/forces en jeu, des intérêts, des possibilités de récit), on plonge au cœur du temps réel. Un temps réel qui ne cesse pourtant de se défausser, perdant des jours ici et là. Bienvenue aux Îles Chiennes. Bienvenue en enfer où le temps se scelle, déjouant toute continuité pour s’enrouler sur lui-même. Soit la disjonction déplacée, s’échappant de la forme pour véroler le fond, gangrénant peu à peu le spectateur tout autant que les personnages. Le point de bascule se fait lorsque le groupe expéditionnaire part en camion rejoindre le château-usine, puis est contraint de terminer son voyage à pieds. Là, au cours d’une séquence tout simplement magistrale, nos héros voient disparaître horizon et ciel, cernés de toute part par la roche, renvoyés à leur petite condition par ce qui était là avant eux et ce qui leur survivra. L’arrivée au château n’apportera pas d’échappatoire. Filmées en légère contre-plongée, ses pierres  emplissent le cadre, construction à peine humaine ayant déjà rejoint l’éternité. Et le maître des lieux, à mi-chemin, scientifique vampire porteur d’une nouvelle peste n’ayant plus pour seule humanité que le souvenir d’un amour définitivement perdu.

Basculant franchement dans le fantastique à ce moment précis, le film se met à évoquer tout autant Nosferatu de Murnau (et son expressionnisme en manifeste) que Vampyr de Dreyer (sa lumière grise, ainsi que l’entrelacement du son et des intertitres), deux œuvres majeures du cinéma à cheval sur leur époque. Réalisé en 1922, Nosferatu marque le passage du romantisme picturale (avec des plans en allusions directes à des tableaux) au pur expressionnisme cinématographique, générant dans la foulée une terreur jusque là inédite. Premier film parlant de Dreyer, Vampyr, où chaque son, chaque mot est pesé et pesant, utilise encore la technique des intertitres du cinéma muet pour mieux coincer le spectateur entre deux mondes. À cheval lui aussi sur le temps et les réalités, Le Trésor des Îles Chiennes, pour se rattacher à ces deux figures tutélaires imposantes nous regardant d’outre-tombe, n’oublie pas la modernité, puisant dans la science-fiction complotiste son argument et optant pour un usage de la musique entre pure matière sonore (ces ambiances magnétiques faites de drones) et utilisation plus mélodique (la longue scène précédemment évoquée du parcours à pied à travers les paysages de pierres écrasants, scène toute entière portée par la musique puissante de M.K.B.).

Adoptant un mouvement de fuite en avant et d’accélération, le film peut alors foncer vers sa conclusion logique, l’anéantissement total du monde, perdant ses personnages dans un circuit fermé, ruban de Möbius à ciel à peine ouvert (l’illusion d’un hypothétique redécollage), road-movie en surplace où les hommes se voient littéralement anéantis par leurs peurs, leurs vices, leurs rêves dégueulasses. Les Îles Chiennes, ou le principe Solaris sur Terre. La matière finit toujours par absoudre l’esprit qui ose la défier avec les armes du démon.

(2011. Le Trésor des Îles Chiennes a été découvert au Japon, dans la préfecture de Fukushima.)

 

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DHARMA GUNS + DOCTEUR CHANCE au Festival de Copenhague (du 14 Avril au 1 Mai)

Punk(s not dead

Dans la série punk’s not dead !!!!

plus d’infos sur le site (attention, c’est du danois)

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L’Affaire des Divisions Morituri chroniqué sur Culturopoing

article original.

F.J. Ossang est un cinéaste rare. Depuis Docteur Chance en 97, pas de long métrage jusqu’au récent Dharma Guns, excepté une poignée de livres (puisqu’il est aussi écrivain. Et musicien). Une décennie en pointillés, un début de millénaire différé. Mais l’homme n’en a cure, sachant bien que les siècles mettent toujours une poignée d’années à réellement commencer. Donc, le nouveau siècle a commencé en 2007. Avec un court d’abord, Silêncio. Puis deux autres. Puis ce nouveau long, Dharma Guns, sorti cette année. Belle occasion de rappeler combien F.J. Ossang est, avant d’être rare, un cinéaste précieux.

Alors un coffret en trois DVD pour se remémorer les débuts d’une épopée cinématographique venant d’entamer un nouvel acte. Une épopée qui débute par deux galops d’essai, deux courts dont la synthèse produira la déflagration du premier long, cette fameuse Affaire des Divisions Morituri. D’abord, le politique avec La Dernière Enigme, film-tract librement inspiré de Du Terrorisme et de l’Etat, un texte de Gianfranco Sanguinetti, compagnon de route de l’Internationale Situationniste. Ensuite le genre avec Zona Inquinata, s’appuyant sur les conventions du western et commençant à poser les bases d’un univers parallèle, secret, que l’on retrouvera partout dans son cinéma. Au milieu des deux, pour les réunir, une forme impactante lardée de visions déjà fortement énergétiques où l’intertitre – une des figures majeures du style Ossang – vient faire office de ponctuation signifiante. Et aussi ce goût pour une musique explosant en imprécations, Killing Joke, Throbbing Gristle, Esplendor Geometrico. Moscù esta helado. Todo esta helado.

Puis, donc, genre et politique. L’Affaire des Divisions Morituri est hantée par l’histoire du groupe Baader-Meinhoff, de sa lutte contre une bourgeoisie dominant une société d’exploitation de masse jusqu’aux mesures coercitives que prit l’état allemand pour le combattre. Ou plutôt le briser au cours de l’emprisonnement du groupe qui accompagna les 192 jours de son procès en 1977. Déjà affaire d’état du temps de son activité de guérilla urbaine, le groupe prit une dimension internationale lors de ce long procès qui mit en lumière la brutalité avec laquelle le gouvernement allemand le combattit, allant, après quelques bavures pures et simples (dont la mort d’un innocent au cours d’une manifestation), jusqu’à la torture par isolement et la privation sensorielle pendant l’incarcération du groupe. Jusqu’à la mort.

Sans absoudre le groupe de sa responsabilité dans la spirale de la violence qui accompagna ce tragique moment de l’Histoire (pas de romantisme nihiliste ici), L’Affaire des Divisions Morituri expose la tension pleine de désespoir accompagnant nécessairement toute volonté de se dégager d’un système qui, sous couvert de légitimité (qu’elle soit étatique – la police et ses interrogatoires musclés menant à la mort – ou économique –  Satarenko, caïd de la drogue et des paris clandestins), s’arroge des droits coercitifs sur les individus. Parce qu’il veut partir libre pour une Afrique rêvée, Ettore, roi des néogladiateurs des souterrains, ne voit qu’une solution : tout déballer à la presse pour abattre l’empire de Satarenko. Recherché par la police, traqué par les hommes de main du gangster, Ettore, ne voyant pas d’issue, hanté par ce rêve qu’il ne touchera pas même du bout des doigts, finira par mourir littéralement d’épuisement, tant physique que morale.

Morituri prend pour cadre un Paris fantasmé, celui qui court des feuilletons de Feuillade aux Nuits Rouges de Franju. Un Paris où des sociétés secrètes s’agitent dans les soubassements des édifices et où les flics en filature lisent des romans policiers au pied de la Tour Eiffel. Un Paris où l’on s’échange, presque désinvolte, des coups de feu dans les ruelles désertes, un Paris où l’on circule dans les voitures en citant Nietzsche, un bas sur la tête. Cinéma de références, celui d’Ossang pratique l’art de la citation comme celui de Godard, non pour sursignifier ce que l’on voit, plutôt pour l’emmener ailleurs, dégager de nouveaux horizons. Ainsi, pas besoin de grosses démonstrations friqués, faisons travailler notre imagination, ceci n’est pas un cinéma de consommation. Les voix off multipliées nous permettent autant de voir derrière l’écran que d’accélérer pied au plancher, ellipses narratives par compression. Vite, vite, vite. No speed limit.

(Morituri n’est pas un film en noir & blanc, c’est un film en noir & bleu. Comme si l’on avait dé-saturé l’image pour ne garder que le désespoir (noir) et le froid (bleu). Sur la fin du film, sur la fin d’Ettore, l’image s’injecte de jaune. Ettore atteint un état solaire, c’est bien la fin, c’est bien sa fin, mais il l’accepte, il l’a choisi. Quand on a décidé de jouer, on se doit de jouer jusqu’au bout, quitte à épuiser toutes les stratégies.)

Situationniste (Images images nous sommes images du film coma) sans se départir toutefois d’une véritable croyance candide dans le pouvoir magique du cinématographe, ce premier film d’Ossang évoque aussi par son goût du jeu, du grotesque et du déguisement (mais surtout, avancer masqué) le fameux Empereur Tomato Ketchup de Shuji Terayama. Agissant en flashs hallucinatoires dans un montage déjà fragmentaire où les plans d’exposition n’ont que très peu le droit de citer, les combats de gladiateurs semblent aussi dérisoires et sans fins que la guerre des pierre-feuille-ciseaux dans le film de Terayama. Pliant le temps en endossant des uniformes les renvoyant autant au primitif que les projetant dans un futur post-apocalyptique, ces gladiateurs dont Ettore est le roi sont comme l’enfant-empereur et ses troupes, rejouant symboliquement, en catharsis, les éternels rapports de force que le vernis de civilisation cache mal en société. A cet égard, la scène de la roulette russe où aucun coup de feu n’est tiré est significative, Ettore humiliant Satarenko, le renvoyant à ses petits jeux sans conséquences (ses rapports politico-grandiloquents enregistrés au dictaphone) quand lui ira jusqu’au bout. Quand on a décidé de jouer, etc.

(Les faits, maintenant. Les gladiateurs sont joués par les membres de Lucrate Milk et de M.K.B. Fraction Provisoire – groupe dont Ossang est le chanteur -, deux éminences du post-punk français quasiment indissociables en 84, date de sortie du film et année de leur album partagé, ce Morituri où l’on retrouve leurs compositions respectives pour la bande originale du film. La même année,  Lucrate Milk, adepte d’une provocation hilare et ludique, se saborde au sommet de sa renommée et rejoint les Beruriers Noirs, impulsant au duo originel la mise en scène circasienne qui fit autant que sa musique sans concession pour la gloire de la troupe. En 1986, Les Bérus sortent le 45T l’Empereur Tomato Ketchup. Une belle preuve en soi que le film de Terayama ne peut être réduit à une simple interprétation historique, mais qu’il touche bien à l’universel.)

(à suivre mercredi avec la critique du Trésor des Îles Chiennes)

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Dharma Guns sur le blog cinéma de Phil Siné

article original ici.

Un accident de Jet Ski, une île secrète, l’héritage du professeur Starkov, un script disparu, d’étranges menaces, des manipulations génétiques, un virus, des zombies… Nous voilà très vite devant un OFNI* tout à fait déstabilisant ! Construit comme un rêve discontinu, « Dharma Guns » possède effectivement un effet saisissant sur son spectateur, qui pourra très vite se sentir perdu au milieu de toutes ces séquences étranges, ces ruptures incessantes, cette accumulation de pistes que l’on a bien souvent du mal à relier les unes aux autres… Bercé par une narration audacieuse et dispersée, le spectateur se retrouve alors dans un état second, comme s’il se retrouvait finalement au beau milieu d’un rêve éveillé, enveloppé dans le clair obscur de la salle de cinéma éclairée par la seule lumière d’un film par ailleurs très contrasté…

Si l’histoire est volontairement brouillée et ésotérique, c’est sans doute pour mieux transporter le spectateur loin des conventions narratives habituellement admises et le faire se concentrer sur la beauté pure d’un film différent, inédit, véritablement surprenant, dont la grâce émane le plus souvent de la forme même ! La mise en scène, au style furieusement expérimental, est éminemment stimulante et démontre à chaque plan qu’elle est l’œuvre d’un cinéaste marginal, à l’écart de toute les conventions. Vous êtes prévenu : il ne faut pas être réfractaire à l’idée d’être surpris et bouleversé dans ses certitudes de cinéphile pour se prendre d’affection pour « Dharma Guns » ! Il faut savoir vivre une projection comme une pure « expérience », au cours de laquelle l’image et les sons sont en permanence travaillés et détournés… Ossang joue notamment beaucoup sur les contrastes, sur l’ombre et la lumière qui éclaire son film, tourné dans un noir et blanc hyperbolique, expressionniste en diable et proprement impressionnant ! Il distille aussi des touches de couleurs, à l’instar de séquences en jaune ou en vert, ou encore du tout premier plan du film, en couleurs, furtif et presque subliminal, comme s’il nous signifiait une dernière vision du monde réel, que l’on connaît, avant une plongée dans un univers parfaitement « autre »… Le cinéaste impose également une précision incroyable dans la composition des plans, nous hypnotisant plus d’une fois devant des fulgurances visuelles admirables ! Il multiplie enfin les trucs et astuces pour créer des procédés inédits et innovants dans un cinéma presque stimulé par sa propre économie de moyens…

« Dharma Guns »prône finalement une nouvelle forme de cinéma, entre expérience folle et rêverie onirique. De la bouche même de son réalisateur, le film ne se veut-il d’ailleurs pas comme une revisitation du mythe d’Orphée et d’Eurydice qui serait « en butte à la tyrannie du Dieu-Temps » ? La première séquence invite à croire une pareille théorie, aussi absconse qu’elle puisse paraître : ne voit-on pas en effet une femme dans un bateau, tirant derrière elle un homme, qui sombre dans les abysses infernaux au moment même où elle se retourne pour le voir… à l’image bien sûr d’Orphée qui aurait pu ramener son Eurydice des Enfers, si seulement il ne s’était pas retourné pour vérifier qu’elle était bel et bien derrière lui ! Au fond, après Cocteau (« Orphée ») ou Demy (« Parking »), le touche à tout François-Jacques Ossang se déclare lui-même comme peut-être le dernier poète du cinéma contemporain : « Quand la mort « industrielle » du cinéma semble rationnellement – techniquement et économiquement programmée, j’ose espérer démontrer qu’un cinéma de poésie et d’aventure fantastique est possible – mieux : nécessaire… »

* OFNI = Objet Filmique Non Identifié

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Dharma Guns à Nice

article original ici.

DG à Nice

PROJECTION DEBAT

prec suiv

Soirée Dharma Guns au Mercury

Une fille pilote un hors-bord et tracte un jeune skieur. Ils bravent l’un comme l’autre leurs limites quand un choc survient…

Vendredi 1er avril 2011 – 20h30 Cinéma Mercury, 16 Place Garibaldi – Nice

DHARMA GUNS de François-Jacques Ossang

France – 2010 – 1h33

Une fille pilote un hors-bord et tracte un jeune skieur. Ils bravent l’un comme l’autre leurs limites quand un choc survient…Par la suite, Stan van der Daeken s’éveille du coma pour découvrir que des généalogistes recherchent un individu dont l’identité correspond à la sienne. Loin de s’interroger sur la réalité de cette filiation testamentaire, il souscrit à l’héritage du Professeur Starkov et s’embarque pour le pays de Las Estrellas…

« Manipulations génétiques et échos de lutte armée confèrent un climat obsédant à cette spirale mentale, filmée avec une pureté primitive. » (L’Humanité)

« On ne saurait pas résumer ce que raconte Ossang ou assigner un sens précis à son histoire. Ce qu’on sait, c’est que regarder « Dharma Guns » est une expérience forte, loin de notre réalité prosaïque et qui pourtant la reflète aussi (…). » (Les Inrockkuptibles)

« Le film n’exige pas de tout décrypter, au contraire. Il invite plutôt à se frayer son chemin dans la foisonnante forêt de signes qu’il organise, voire à s’y perdre. » (Le Monde)

- Présentation du film et animation du débat : Josiane Scoleri.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats : La parole est à vous !

Le calendrier des prochaines séances CSF au Mercury ouvertes à tous à l’exception du CinémAtelier, réservé aux adhérents

(la programmation est annoncée avec les réserves d’usage) :

– Jeudi 07 avril – 20h00 : THE HUNTER de Rafi Pitts (Iran, 2010, 1h32). Soirée inter-associative par le Comité de soutien à Jafar Panahi et Mohamad Rasoulof – Cinéma Rialto, 4 rue de Rivoli, Nice. « Téhéran comme vous ne l’avez jamais vue, urbaine, bétonnée, arrosée de la lumière orange des lampadaires, nocturne, à des kilomètres du cliché persan. » (Libération). Présentation et animation du débat : Teresa Maffeis (ADN) et Philippe Serve (CSF).

– Vendredi 08, Samedi 09 et Dimanche 10 avril : FESTIVAL DE PRINTEMPS 2011 : GRETA GARBO – 3 films avec présentations et débats + une conférence illustrée. Présentations : Philippe Serve. . – Vendredi 15 avril : WE WANT SEX EQUALITY de Nigel Cole (G-B, 2010, 1h53). « Le réalisateur monte parfaitement une mayonnaise à base d’émotion, d’humour, de rebondissements et de répliques imparables dites par des comédiens au naturel confondant. » (L’Express). Présentation et animation du débat : Philippe Serve.

– Vendredi 22 avril : WINTER’S BONE de Debra Granik (Usa, 2010, 1h40). « Le second film de Debra Granik nous emporte dans des eaux magiques et ambigües. » (Positif). Présentation et animation du débat : Philippe Serve.

– Vendredi 29 avril : UNE VIE TOUTE NEUVE de Ounie Lecomte (Corée du Sud, 2008, 1h32). Regard mensuel sur le cinéma coréen. « Une œuvre magnifique, épurée et bouleversante, évoquant la vie d’une petite fille dans « l’entre-deux » de l’abandon et de l’adoption. » (La Croix). Présentation et animation du débat : Philippe Serve. Sous réserve.

N’oubliez pas le festival annuel en cours de nos amis de l’Espace Communication Lusophone (une grande partie au Mercury, y voir le programme), ainsi que des Journées du cinéma italien à l’Espace Magnan (21 mars-02 avril), une soirée cinéma, vidéo et concert de Regard Indépendant le 31 mars (au Volume), une autre « Cinénasty » spécial Vampires des Méduses (Mercury, 9 avril) , Foucault va au cinéma (L’Eclat – villa Arson, 10 au 15 avril), une avant-première ADN au Rialto le 14 avril et les 3èmes rencontres In&Out des Ouvreurs (19 au 27 avril). Qui a dit qu’il ne se passait rien cinématographiqement à Nice ? Et de plus… toutes ces associations sont vraiment amies ! Étonnant, non ?

Entrées : 7,50 € (non adhérents) – 5,00 € (adhérents CSF et Cinémathèque).

Adhésion : 20 € pour un an (365 jours) – 15 € pour les étudiants. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (non CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier. Toutes les informations sur CSF : http://cinemasansfrontieres.free.fr Contact mail CSF : cinemasansfrontieres@free.fr Contact téléphonique CSF : 04 93 52 31 29 / 06 64 88 58 15 Contact téléphonique Mercury : 08 92 68 81 06

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Ossang à Lille pour présenter Dharma Guns

article original ici

Focus F. J. Ossang : Dharma Guns + Docteur Chance, en présence du réalisateur
Vendredi 1er avril, 19h30
7 € / 6 €
Cinéma l’Univers
16 rue Georges Danton, Lille

Univers Ossang

OVNI du cinéma français, y compris d’auteur, le cinéaste FJ Ossang fera une halte à l’Univers. Organisée par le Kino, cette soirée hors les murs sera nécessairement hors-norme.

Musicien, écrivain et réalisateur, chaque engagement créatif de FJ Ossang est un acte de bravoure. Personnage aux parcours accidentés, Ossang s’est imposé comme une figure tranchante, héros très discret d’un cinéma underground. On ne dira pas « de France », tant l’œuvre du bonhomme est éclatée du Portugal au Chili, en passant par le Mexique, sans oublier ces territoires artistiques de l’avant-garde russe, de l’expressionnisme allemand ou de la contre-culture américaine. Ossang n’est pas de ces artistes « total » autoproclamés. C’est avant tout un individualiste ayant pris la balle du Do It Yourself punk de plein fouet. Comprendre ici qu’Ossang fait ce qu’il veut comme il le peut. Avec FJ, l’indépendance n’est pas une posture, quitte à traverser des déserts. Chaque rendez-vous cinématographique est un bonheur inédit ayant frôlé l’interdit. Là où certains réclament de la 3D et des sièges vibrants, Ossang propose une profondeur poétique dépassant un certain inconfort. Curieux manège de montage russe et de cut-up rétinien où la musique industrielle d’Ossang laisse muet. Pour découvrir ce cinéaste et ce cinéma, il faudra bien deux films.

Le road movie Docteur Chance est une sortie de route. De par sa facture et ses fractures, c’est un grand film rock. On y croise Joe Strummer interprétant Vince Taylor. Entre errance, contemplations et fulgurances.

Dharma Guns est le dernier Ossang. Ce n’est donc plus un film. On y trouvera de l’ultime et on dépassera nos limites quand d’autres resteront prisonniers de leur hermétisme.

Bertrand LANCIAUX
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DHARMA GUNS en salles 4°semaine (30 Mars)

à PARIS :
MK2 Beaubourg (DG + 3 premiers films)
MK2 Parnasse,
L’Entrepot

IVRY (Luxie),
NICE (Mercury),
VALENCE (Lux)
LILLE (L’Univers – DG + Docteur Chance)

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DHARMA GUNS va au Festival BAFICI de Buenos-Aires (du 6 au 17 Avril)

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En blanco y negro centelleante, una femme fatale maneja su lancha arrastrando a un esquiador acuático. El rock industrial que truena sobre esa hipnótica primera secuencia no deja lugar a dudas: estamos entrando al territorio de F.J. Ossang; una isla fortificada donde habitan los fantasmas de Artaud, Guy Debord y Jacques Tourneur. Pervirtiendo un título de Kerouac pero cercano en espíritu a las especulaciones meta-psíquicas de Burroughs, el poeta guerrero del under francés fabrica otra de sus pesadillas alucinadas a partir de la muerte (en aquella escena náutica) de su eterno alter ego Guy McKnight. Lo que sigue puede describirse como la reconstrucción de lo que pasa en el cerebro durante el tránsito al más allá; o como un viaje épico por el sistema nervioso, entre dobles genéticos, espirales y neblina. O, según Nicole Brenez, como “una poesía de las imágenes finales, los arrebatos de vértigo y los ajustes de cuentas psicológicos que invaden nuestra mente cuando se acerca la muerte: los brillos y flashes que Ossang todavía tiene para extraer de su amado celuloide plateado”.

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