C’est nettement plus hate and war que peace and love. Ossang a le punk dans le sang et continue de le transmettre à l’image, aujourd’hui comme à l’époque de ses débuts séditieux : L’Affaire des Divisions Morituri, dans les années 1980… Sur une île mystérieuse, balayée par le vent et menacée par une invasion de zombies, un homme entre en contact avec une société secrète, en même temps qu’il tente de recouvrer sa mémoire défaillante… L’intrigue est volontairement nébuleuse. Il s’agit moins de sens que de sensations, voire de désensibilisation : le héros sert de cobaye médical. Fièvre, vitesse, noir et blanc expressionniste : un parfum de moderne suranné (BD et new wave eighties) plane sur cette SF d’espionnage, manifestement réalisée avec les moyens du bord. Le casting est inégal : Guy McKnight, qui fait ici l’acteur, est moins performant qu’avec son groupe de psycho-billy (The Eighties Matchbox B-Line Disaster). Mais les décors spartiates et l’ambiance post-apocalyptique sont parfaits. A même de toucher un public ciblé, conquis d’avance, surtout lorsque jaillit Taboo, lave musicale des hérétiques Cramps.
Alors qu’il est tracté, sur une mer de plomb, par le hors-bord que pilote une fille à la noirceur gothique, un jeune skieur chute brutalement. A son réveil, il découvre qu’il est recherché par d’étranges généalogistes… Cinéaste à part dans le paysage formaté du 7ème art, Ossang est un poète visuel, l’héritier rock’n’roll d’un Murnau chic. S’appuyant sur une (trop) mince partition scénaristique, in nous joue de sa caméra une symphonie complètement siphonnée aux images oniriques magnifiques. Chez Ossang, ne cherchons pas à comprendre, contentons-nous d’appréhender une quatrième dimension qu’il nous fait inhaler comme une fumée néo-rétro, par tous les pores du cerveau…
Dharma guns (La Succession Starkov), de F. J. Ossang. France, 1 h 33, 2010. Déflagration orphique. Émergeant du coma, Stan Van der Daeken est confronté aux complexités d’un hypothétique héritage, qui alternent avec les apparitions fantomatiques de la délicate Délie. Le poète électrique F. J. Ossang, cinéaste rare et mystérieux, livre son quatrième long métrage depuis 1984, retour au noir et blanc des origines et aux Açores enfiévrées de son Trésor des îles Chiennes. Roman noir aux éclats fantastiques, relecture futuriste du mythe d’Orphée, récit en forme de rébus paranoïaque, mêlant science et inconscience, ce film évoque l’œuvre technoïde de William Burroughs et les vortex spatiotemporels de Philip K. Dick, ou un cauchemar crypté sous-tendu par la sûreté graphique du geste d’Ossang. Voir la magistrale scène d’ouverture : balade tragique en ski nautique, pulsée par une musique punk style Dead Kennedys. Le cinéma muet infuse l’image, l’ambiance, le style et les décors — souterrains industriels, usines hallucinées, docteurs inquiétants, manteaux de cuir, mobilier art déco. Comme si on avait passé Epstein et Lang à la moulinette avec OSS117 et Jack Kerouac. Voir le titre, détournement des Dharma Bums, de Kerouac. Les fusils ont remplacé les clochards célestes.
no future . Le poète-cinéaste F.-J. Ossang signe un nouveau film post-moderne et punk.
En ouverture, une séquence de ski nautique à toute berzingue sous fond sonore de Lard (groupuscule hardcore dans la mouvance des Dead Kennedys) fournit par brassées les clés nécessaires pour plonger tête la première dans l’esthétique de ce film hors norme : récit sur le fil du rasoir, risquant à tout moment la chute, images visant la commotion, et des corps en déséquilibre, seulement portés par la beauté immédiate d’un écrin noir et blanc presque liquide : l’underground, chez le cinéaste-poète-musicien F.-J. Ossang, est un sport (de combat, de glisse). Dharma Guns n’est pas film qui gagne à être résumé, sa forme en zigzag met au défi la linéarité du scénario.
Cold wave. En terres ossangiennnes, terres mille fois brûlées (elles nous viennent de l’expressionnisme allemand), les choses avancent autrement : par flashs, par fulgurances, dans un état d’hébétude permanent. Son héros, au sens pour ainsi dire chevaleresque du terme, est un jeune homme impavide, à l’accent russe, une sorte d’idiot dostoïevskien matiné cold-wave, censé remettre un script improbable à des commanditaires invisibles. Ce prince Mychkine ahuri est attendu dans un aéroport, quelque part dans l’archipel des Açores, par des hommes de main d’un géant de l’industrie pharmaceutique. A l’arrivée, il ne reconnaît pas les hommes qui le tutoient, ne reconnaît pas l’endroit, ne reconnaît pas la situation dans laquelle il est immergé, ni la succession qui lui échoit : il est, depuis longtemps, amnésique. Mais l’amnésie est ici un état général qui contamine tout : la façon de regarder le monde et de l’appréhender, la manière dont les séquences s’entrechoquent. Chaque scène ravale la précédente, la défait, et le film tout entier se détache progressivement du fil mémoriel qui est censé le coudre au récit. Ceux qui connaissent le travail de F.-J. Ossang seront en terrain familier : ils y retrouveront cette façon de tisser des scénarios paranoïaques, croisant parfois une science-fiction militaire, où la peur de la contamination et de l’autorité emportent des personnages de parias poétiques dans une course contre la mort. A ski nautique, en voiture, dans des chasses à l’homme, ces voyageurs sans passé ni avenir – no future – engagent leur liberté sous les feux croisés de la folie et des armes. On dit d’Ossang qu’il est LE cinéaste rock en France. Mais le rock est ici une affaire large, comprenant aussi bien la poésie de Maïakovski que les paysages industriels des Açores. En retour, sa photographie noir et blanc acérée est punk jusqu’en dessous des ongles (magnifique travail du chef op Gleb Teleshov).
Style viral. Le temps n’a pas d’emprise sur Ossang, son style postmoderne n’a pas oscillé depuis l’Affaire des divisions Morituri (1985), en passant par l’excellent Docteur Chance (featuring le Clash mort Joe Strummer) en 1997. Imperméable au changement, son style viral continue de rappeler le Lars von Trier période Epidemic, mais Ossang, on le sait, ne nous fera jamais le chantage à l’émotion. Trop lyrique pour ça.
La rareté sied bien à F. J Ossang. Trois ans après son dernier court-métrage, Ciel éteint, quatorze ans après son dernier long, Docteur Chance, le réalisateur français revient au cinéma avec un bel oxymore en guise de titre (littéralement : « Les Fusils de l’enseignement du Bouddha« ), et un style qui n’a rien perdu de sa puissance d’évocation : compositions plastiques d’une beauté entêtante, associations énigmatiques de textes, d’images, de sons, ancrage dans une mythologie personnelle du cinéma qui tire des cordes entre l’expressionnisme muet et la nouvelle vague sans s’interdire des incursions chez Guy Debord ou David Lynch, entre autres. Dharma Guns s’ouvre sur un premier plan étonnant, un lac filmé à la lisière de l’eau, laquelle vient trancher l’espace en son milieu comme le faisait le rasoir sur l’oeil dans Un chien andalou. Baignés dans la lumière chaude d’un après-midi d’été, deux espaces symétriques se répondent : le haut et le bas, le gazeux et le liquide, le sonore et le silencieux…. Le film qui s’annonce est un voyage dans une « interzone » – les limbes où flottent les âmes suspendues entre la vie et la mort.
Mais d’abord, la vie, consumée par les deux bouts sur un hors-bord poussé à plein régime. Piloté par une femme fatale semblant tout droit issue de l’âge d’or d’Hollywood, le bateau glisse sur la surface du lac, tirant un homme en ski nautique. Reflets du soleil sur l’eau, griserie de la vitesse. Et puis c’est le choc fracassant, silence. Passage au noir et blanc.
Le skieur se réveille, censément après un long coma, et nous embarque avec lui dans un polar mental rétro-futuriste où résonnent, parmi d’autres, les échos d’Alphaville. Stan van Der Decken est son nom, assène-t-il face à l’objectif, dans un français teinté d’un fort accent. Scénariste de profession et aventurier romantique dans l’âme, il se découvre légataire testamentaire d’un certain Starkov, et embringué à partir de là dans une aventure politico-existentielle déployée selon une temporalité hallucinée. Compressions et dilatations, bonds en avant et retours en arrière, articulation entre temps vécu temps rêvé, temps imaginé, entre sensations et projections mentales… Est-ce ainsi qu’un homme se débattant entre la vie et la mort perçoit le temps ? L’intuition plastique d’Ossang est si fertile, qu’elle engage à le suivre.
Pour mettre en scène le voyage intérieur de son personnage, il joue avec les registres musicaux (du folk à l’électro industrielle), exacerbe les contrastes entre le noir et la lumière en puisant dans les formes du cinéma muet, fait résonner celles-ci avec des structures architecturales obsédantes.
De la part d’un artiste qui a créé son nom à partir d’un verset de la Bible (« Je solidifierai mon sang, j’en ferai de l’os« ), il faut s’attendre à des énigmes à tous les étages. Emprunté au capitaine du Hollandais volant, ce bateau de légende condamné à hanter indéfiniment les océans, le nom Van der Decken ouvre la voie à une trame qui s’enroule dans les méandres de l’enfer, sur laquelle viennent se greffer des références au mythe d’Orphée, à Lovecraft, le look de parfait nazi d’un des personnages secondaires, une collection de codes-barres géants qui s’invite dans la danse… Le film n’exige pas de tout décrypter, au contraire. Il invite plutôt à se frayer son chemin dans la foisonnante forêt de signes qu’il organise, voire à s’y perdre.
Je suis assez vite parti du Cantal, je suis allé à Berlin, puis Toulouse, puis Paris. J’ai vraiment commencé la musique à Toulouse avec un premier groupe (DDP, ndlr). J’y ai aussi fondé une revue, Cée, en 1977, avec des auteurs comme Claude Pélieu, Jean-Christophe Bailly, ect…, puis là-dessus une maison d’édition, la revue s’est arrêtée en 1981, mais le groupe MKB-Fraction Provisoire continuait à Paris. La poésie et le rock’n roll ne menant nulle part, j’ai tenté l’IDHEC et donc je suis rentré à l’IDHEC en 1981. Je n’étais pas du tout d’un milieu cinématographique, j’ai commencé à faire des films et c’est là que j’ai découvert – certains croient que je plaisante mais c’est vrai – qu’il suffit d’une bobine de film et d’une caméra pour faire un film.
Un nouveau film de FJ Ossang, c’est aussi rare que précieux. Alors oui, il faut accepter la perte des repères, leur déplacement et se laisser saisir par la puissance de la fantasmagorie. Oui, être ébloui, ça fait mal eux yeux. Mais le jeu en vaut la chandelle. Brûlante.
Dharma Guns (la succession Starkov) est un voyage en territoire cinématographique éloigné, bien loin des codes d’un cinéma que pourtant il se plaît à citer. Tout comme son héros, qui débarque dans un pays dévasté pour assurer la succession de son père spirituel Starkov, le spectateur va de découverte en découverte, perdu entre rêve et réalité. Doubles génétiques, armes biologiques, drogue nouvelle, amnésie, zombies. Comme point de repère, Dharma Guns nous propose le récit futuriste noir d’un Lovecraft, l’horreur d’un Romero, mais aussi le romantisme noir, et le fantastique quelque part entre En quatrième vitessed’Aldrich et le Vampyr de Dreyer.