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Pierre Carles



Discussion à bâtons rompus avec Annie Gonzalez, productrice, et Roger Ikhlef, monteur
Par Philippe Person, journaliste et écrivain
Blogue Dissidenz, décembre 2007.

Volem

Ruse de l’Histoire, faire un film sur le non-travail exige beaucoup de travail. Dans un restaurant japonais de la rue Rennequin, Annie Gonzalez, productrice et cheville ouvrière du projet, et Roger Ikhlef, exerçant en poète le sacerdoce de monteur, m’ont raconté l’aventure Volem.

- Précisions d’entrée : Annie a choisi un menu n°12, Roger un menu n°17. Avant la commande, Annie nous raconte la longue marche vers « Volem » :

Pierre a rencontré le duo Stéphane-Christophe lors d’un Festival à Perpignan en 2000. En discutant, ils se sont aperçus qu’ils avaient la même envie, celle de travailler sur des gens contents de ne pas aller travailler. Ils ont commencé à réfléchir sur le sujet de « Volem », à faire des enquêtes, des entretiens, à réunir de la documentation. Deux ans après cette rencontre, je leur ai proposé de passer à une recherche concrète pour aboutir au départ à un court-métrage. Quand j’ai vu les entretiens filmés par Stéphane et Christophe, je les ai trouvés très forts, très surprenants. La grande qualité du duo est sa bonne distance avec les
gens interviewés. Elle est sans complaisance, ni trop proche, ni trop éloignée. J’ai donc décidé de leur proposer un contrat et le long-métrage « Attention, danger travail » a pris forme à partir des entretiens, pour une sortie d’abord vidéo, On l’a montré en salle, et comme on nous le demandait de plus en plus, on a pensé à une sortie cinéma, C’était en 2003, et cette sortie a un peu ralenti le travail sur « Volem » qui se poursuivait parallèlement .

- À l’arrivée de la soupe miso, Roger nous captive avec le récit de ses quarante années de pratique éthique du montage :

Je viens quand on me le demande et je choisis alors ceux avec qui je vois que ça va fonctionner. Car c’est dangereux d’être sur un mauvais film. Je dis souvent qu’un bon film rend bon et qu’un mauvais film rend mauvais. Tu peux tomber malade, car tu dois tout donner. Si tu donnes tout à un salaud, il te bouffe complètement. Ce n’est pas un hasard si, dans « la Misère en France », Bourdieu a montré une monteuse alcoolique !
Moi, je suis un monteur-né. Le montage, c’est de la poésie pure. C’est de la création. J’ai appris le montage dans Rousseau, dans Proust, dans Céline. Le cinéma, c’est de la pensée en mouvement. Ce que j’aime c’est, comme avec Depardon, prendre un matériel, du reportage sans scénario, où il y a simplement un thème. Là, c’est de la vraie écriture. Là, je décide ce que je vais faire : des sonnets, des hexamètres, un roman ou du Kandinsky… Je choisis, j’ai l’instinct de ça…Quand je monte, je réalise. Je
prends les rushs et je fais mon film. Mon vrai plaisir est dans cette liberté totale. Moi, j’ai un bonheur personnel et c’est rare !

- Baguettes en main, je lui demande s’il n’est pas triste de ne pas signer. Face à ses sushis, il me répond qu’il n’a pas d’« ego ». Annie y voit une parenté avec le trio qu’elle chaperonne :

La réflexion sur l’ego a été travaillée de l’intérieur. Les réalisateurs se sont posé sincèrement la question de ce que représente le bonheur personnel à partager pour avancer dans une aventure collective comme « Volem ». La notion collective est vraiment rare dans une oeuvre pourtant collective comme le cinéma…

- Il est temps d’entrer dans le coeur de « Volem ». Question attendue, je demande à Annie comment Roger est entré dans le jeu.

Après « Attention », les recherches pour « Volem » ont donc continué. Avec Stéphane, j’ai élaboré un scénario très écrit pour le présenter à l’avance sur recettes et obtenir d’autres financements. Quand nous avons eu l’avance, à un moment donné, je me suis dit qu’il était temps de délimiter un temps de tournage et de s’y tenir. J’ai mis des dates butoirs et, en outre, je leur ai demandé de travailler avec un chef opérateur au son et à l’image, ce qu’ils n’avaient pas l’habitude de faire. On a également filmé les débats à l’issue des projections d’« Attention » que j’ai fait monter. Pour ne pas qu’ils soient submergés par l’énorme matériau qu’ils venaient de tourner, je leur ai proposé de travailler avec un monteur. J’ai pensé à Roger que j’avais rencontré à la fin du tournage de « 9m2 ». Je me suis dit que c’était lui qu’il nous fallait. J’ai pensé que son trajet direct et sensible à la matière tournée allait offrir une grande liberté et un nouveau souffle à « Volem ».

- Abandonnant son bol de riz, Roger parle à son tour de son intervention sur « Volem » :

J’avais vu tous les films de Pierre et je les avais appréciés. Quand Annie m’a appelé, j’ai voulu discuter avec eux avant d’accepter. Annie m’a envoyé des cassettes. Il y avait au moins douze heures de matériel, j’ai choisi huit heures tout seul. Je suis descendu à Montpellier, on a projeté les huit heures, puis on est passé à quatre heures et j’ai fait mon montage, une version de trois heures qui était pour moi la plus belle. Le vrai travail se fait pendant la première projection des rushs. J’ai un chronomètre lumineux et un cahier pour noter les points forts, tout ce qui peut être articulé . La première lecture est la plus importante. Après quand tu relis un plan, tu n’as plus le même sens que la première fois, tu t’enfonces ailleurs. Il y a des phrases mélodiques qui ne varieront jamais, plus tu les écoutes, plus elles deviennent banales. Il faut donc avoir une confiance absolue dans ta première impression et la garder en mémoire.

- En terminant mon ultime sashimi saumon, je demande prudemment à Roger pourquoi il regrette la version de trois heures.

Dans la grande version, il y avait la contradiction du film, son autocritique à la fin. Ils l’ont supprimé parce que ça fout la trouille. Il y avait de grands débats contradictoires avec des spectateurs qui prenaient à rebrousse-poil le spectateur. À mon avis, c’était la grande nouveauté du film. Moi, j’avais jamais vu ça. Même Rouch ne l’avait pas fait. Mais c’était difficile d’accepter une fin où le spectateur partait dans le vide, dans le vertige, dans la solitude. Il n’y avait plus de consolation.

À l’heure du saké, Annie analyse pourquoi cette fin n’a pas été choisie?

- C’était d’une grande violence, quasi physique. C’était intellectuellement excitant et acceptable, mais, en tant que spectateur, tu étais dans une position inconfortable au possible, et tu finissais le film dans une énergie assez rude. Maintenant, la fin est dans une énergie plus ouverte, tu te souviens du film, tu n’es plus dans cette tension intellectuelle. C’est un choix des réalisateurs sur la façon de sortir du film. On a gagné de l’euphorie, une énergie plus positive.
La fin de Roger complexifiait le propos. C’était un peu contradictoire avec l’idée des réalisateurs voulant que leur film soit accessible à un large public.

- Les verres de saké se vident, il est temps pour Annie de conclure.

On a tous fait un chemin personnel. Pour moi, c’était assez épuisant parce qu’il fallait faire le lien entre tous. C’était passionnant aussi. J’y ai pris beaucoup de plaisir, nous avons tous appris des choses. Mon inquiétude n’était pas de ne pas finir ce travail de plusieurs années mais de garder jusqu’au bout cette énergie, cette écriture apportée par Roger. La grande force du film est d’être très physique et très abstrait à la fois. Cela a pu se produire grâce à l’écriture des quatre personnalités qui y ont contribué.

- Et pour Roger d’apporter la touche finale.

La seule chose que je cherche, c’est la musicalité. C’est Beethoven.

Ceux qui souhaitent là encore une fin heureuse ne liront pas les mots qui suivent, puisqu’ils disent que, sans le savoir, la productrice et le monteur de « Volem » passent non loin de l’immeuble de l’avenue Niel duquel Gilles Deleuze s’est défenestré.

 



 
 

  
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