Un hors-la-loi grandiose
Delfeil de Ton

Le Nouvel Observateur, n° 2097, 13.01.2005.

Sylvia, sa compagne, a fait sa toilette mortuaire. Elle l’a habillé : son polo rouge, sa casquette de marin breton, son manteau. Le manteau de professeur Choron. Quand elle m’a dit ça au téléphone, je me suis mis à chialer. Elle avait pensé au manteau. Fallait qu’elle l’aime, pour qu’elle ait pensé au manteau. Et le fume-cigarette, lui ai-je demandé, tu lui as mis le fume-cigarette ? Elle avait oublié. Elles ne pensent jamais à tout. Elle lui a glissé le fume-cigarette dans la pochette du manteau. Le prof est ainsi paré pour l’Éternité.

On vous parle de grands patrons de presse. Ils ont inventé France-Soir. Tu parles. Ils ont inventé Paris Match. Ben dis donc. Choron avait inventé Hara-Kiri. Ça, c’est de l’invention.

Rémi

Hara-Kiri, on n’avait jamais vu ça nulle part. Sous de Gaulle, en plus, et dans un pays où un Français sur cinq votait communiste. Fallait le faire. Il l’a fait. Sans Cavanna, il n’aurait pas réussi. Sans Choron, Cavanna ne l’aurait pas fait.

Les morts, c’est bien, c’est une occasion de parler de soi. Vous me demandez de quoi je suis le plus fier ? C’est d’être entré à Hara-Kiri. Après ça, il ne pouvait rien t’arriver, que du fade, du convenu. Le travail qu’on a pu faire, grâce au courage de Choron, à son énergie. Tous les culots, il les avait, les insolences. Ah ! Fallait pas mollir. Tout numéro du journal qui ne risquait pas l’interdiction, c’était pas la peine. Forcément, il arrivait qu’elle tombe. Elles ont bien failli faucher les talents en herbe, les interdictions. On rigole. Pourtant, fallait boufer.

Choron est né pauvre. Il est mort pauvre. Il a vécu comme un riche. Somptueux, généreux, honnête. Qu’ils aillent prétendre le contraire, les Mozarts qu’il a couvés, à qui il a donné des ailes. Vous connaissez beaucoup de patrons à qui il est arrivé d’habiter dans une cave pendant que ses anciens employés pétaient dans la soie et dans de beaux appartements ? Pas primable, pas décorable, ininvitable à l’Élysée, le Choron. Pas un voyou, ce mot galvaudé par les petits bourgeois de la transgression, un hors-la-loi qui a toujours ignoré les passages cloutés de l’existence. Grandiose.

Ah oui. Il ne faut pas oublier que c’était un génie du comique. Que ses chansons entreront dans les anthologies de la poésie. Qu’il a fourni de la matière à plagiats pour encore plusieurs générations.