a mauvaise humeur n'est malheureusement plus ce qu'elle était. Il y a encore quelques années, certains individus manifestaient leur mauvaise humeur envers les ravages commis par le néo-libéralisme et les violences exercées par la loi du marché en procédant à l'élimination physique de hauts responsables du système. Un PDG de Renault, le patron des patrons allemands, et quelques militaires hauts placés de l'OTAN surent ce qu'il en était de se retrouver confrontés à des individus de méchante humeur, notamment lorsque ceux-ci se réclamaient d'A.D. (Action Directe) pour la France, des C.C.C. (Cellules Communistes Combattantes) pour la Belgique ou de la R.A.F. (Rote Armee Fraktion) pour l'Allemagne.
Cette manière de manifester sa mauvaise humeur perdura jusque dans les années quatre-vingts. Mais personne, depuis, n'a repris le flambeau. Récemment, à ViIvoorde, aucun ouvrier licencié n'a jugé utile de faire subir à Louis Schweitzer, l'actuel PDG de Renault, le sort de son prédécesseur, George Besse. Les traditions se perdent. En 1982, à l'époque où le groupe Action Directe avait encore pignon sur rue, des affiches fleurissaient dans le métro parisien, indiquant une liste de personnes à qui s'intéresser de près. On pouvait y lire : « S'ils habitent dans votre quartier, faite-les déménager. Si vous les croisez, faites les changer de trottoir. Si en général ils vous font chier, rendez leur la vie impossible. » Suivaient le nom et l'adresse d'hommes d'affaires, de patrons d'industrie, de ministres, de journalistes, de vedettes des médias. On savait encore bien s'amuser, en ce temps-là. Ce n'est plus le cas. On vit une époque où les dominants ne craignent rien, n'ont peur de personne, se sentent tout-puissants. Ils n'hésitent pas à s'étaler dans les journaux, à montrer leurs maisons, leurs femmes, leurs enfants, leurs richesses, leur pouvoir. Mais tout a une fin.
Le moment est peut-être venu de leur rappeler que tout cela pourrait bien changer un de ces jours. Une mauvaise humeur d'un type radical pourrait bientôt refaire son apparition et s'exercer, par exemple, à l'égard des caciques du petit écran, envers les patrons des multinationales de l'audiovisuel, contre les journalistes propagandistes du discours dominant. Comment avoir accès à ces gens-là ? C'est très simple : il suffit de lire les journaux. Où trouver Étienne Mougeotte, le vice-PDG de TF1 ? Ouvrez « Le Figaro Madame » du 24 juillet 1995 et vous y verrez une photo de sa maison de vacances à Saint-Tropez. Il y est chaque été, impossible de le rater. L'adresse de la résidence secondaire d'Alain de Greef — l'un des principaux dirigeants de Canal Plus — en Provence ? La réponse figure dans le n°24 (janvier-février 1998) du journal du conseil général du Vaucluse.
Pour les demeures de Thierry Ardisson, de Michel Field, c'est dans « Télé 7 Jours » et « Paris Match » que l'on trouvera son bonheur. Vous êtes à court d'inspiration et ne savez pas comment faire peur à ces gens-là ? Là encore, inspirez-vous de ta lecture des journaux. Savez-vous, par exemple, qu'en juin 1993, le domicile parisien de Patrick Lelay, le PDG de TF1, a été cambriolé et sa femme séquestrée à cette occasion ?
Plus récemment, « Le Parisien » s'est fait l'écho de l'agression dont a été victime une autre vedette des médias, l'humoriste Laurent Ruquier, alors qu'il regagnait son domicile à Montmartre : « […] L'agresseur l'a violemment bousculé et frappé avant de le forcer à lui ouvrir la porte de son appartement. Là, il a forcé sa victime à se déshabiller puis l'a bâillonnée avec du ruban adhésif et attachée avec une rallonge électrique. Le malfaiteur a ensuite fouillé le logement. Il est reparti rapidement avec les cartes de crédit de l'animateur, dont il lui avait extorqué les codes. »
Ça arrive. De même qu'on peut se retrouver en fâcheuse posture au volant de sa voiture, comme Michel Denisot, le directeur des sports de Canal Plus, pris à partie par une dizaine de jeunes, lors d'une fête de la musique à Paris, qui ont arraché son antenne et ses rétroviseurs avant de recouvrir son véhicule de graffitis.
Les bonnes idées ne manquent pas. Les occasions non plus. À vous de jouer.
Pierre Carles, réalisateur de « Pas vu Pas pris ».