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Pierre Carles
   


 
 

DVD. Pierre Carles, réalisateur atypique
Bruno Lapeyssonnie
Alternatives Economiques, n°265, Janvier 2008


 

 

En ce début 2008, deux DVD de Pierre Carles, La sociologie est un sport de combat et Volem rien foutre al païs, complètent la série de documentaires déjà diffusés de ce réalisateur singulier.

   L'oeuvre documentaire de Pierre Carles est pour le moins atypique. Élevé dans le giron du magazine Strip-tease, il s'est illustré dans Pas vu pas pris et dans Enfin pris?, par sa manière cavalière - et par certains points contestable - de piéger les stars de la télévision. À l'image d'un Michael Moore, il s'y met en scène pour débusquer les mécanismes de la manipulation médiatique. De sa rencontre avec Pierre Bourdieu naît l'idée d'un portrait du sociologue parti lui-même en guerre contre les médias, notamment dans son livre Sur la télévision.

   La sociologie est un sport de combat (1) est un très long document de 2 h 20 dont il est difficile de cerner réellement l'objet. Filmer un intellectuel au travail relève de la gageure, et même si Bourdieu définit son rôle de sociologue autant par la réflexion que par son prolongement "naturel" dans l'engagement, dans la vie de la cité, on peut légitimement se demander s'il y a là réellement matière à cinéma. Du travail des idées proprement dit, on ne voit que quelques bribes, une réunion plutôt cocasse où des experts, sociologues et économistes, réunis autour d'une table, cherchent, contre toute évidence, les séries statistiques pouvant démontrer les dégâts de la crise, une correction d'épreuves de livre menée au pied levé, quelques prises de notes avant une conférence, et c'est à peu près tout. Forcément.

   Le film est essentiellement composé d'interviews, de prises de paroles publiques, de débats - l'autre facette de l'activité du sociologue, la diffusion de sa pensée -, ce qui ne permet à aucun moment d'en explorer les méandres, d'en révéler les nuances. Il donne au contraire l'impression d'une litanie simplificatrice autour de thèmes récurrents chers à l'auteur, essentiellement la domination masculine et la reproduction. Pas beaucoup de place non plus pour la contradiction, à l'exception d'un débat houleux, à Mantes-la-Jolie, face à un public essentiellement composé d'éducateurs de terrain. Au fond, La sociologie est un sport de combat ne parvient pas vraiment à dépasser ce que son acteur principal, Pierre Bourdieu, reproche à la télévision. On se souvient de son intervention à Arrêt sur images (2), aussi pertinente qu'impuissante face à la rouerie des "professionnels" Jean-Marie Cavada et Guillaume Durand, mettant en cause le format et la structure des émissions qui empêchent une pensée de se développer dans sa complexité et sa nuance. C'est finalement dans des moments très anodins que le très long film de Pierre Carles révèle l'humanité du sociologue, lorsqu'il n'est pas (trop) en représentation, ce qui est le propre de tout personnage médiatisé, même s'il s'en défend.

   Avec Volem rien foutre al païs, Pierre Carles et ses acolytes, Christophe Coello et Stéphane Goxe, poursuivent le chemin tracé par Attention danger travail. Là où le premier film abordait les solutions individuelles pour échapper à la "tyrannie du travail", le second explore un joyeux foisonnement d'expériences collectives de vies alternatives. Il s'agit de les présenter comme des réponses de survie face à la montée de l'ultralibéralisme et de ses avatars, la mondialisation prédatrice d'emplois et la précarité généralisée.

   Sans contester pleinement ce constat, on peut tout de même remarquer que ces formes de résistance existent depuis fort longtemps. Sans remonter à la nuit des temps ni reprendre toutes les études sur la valeur-travail, on sait, par exemple, que le XIXe siècle fut riche en utopies de toutes sortes, nées d'esprits refusant la fatalité de l'esclavage au travail. Les années 60-70 connurent un renouveau de ces expérimentations dans le sillage de 68, avec, comme point d'orgue cinématographique, le joyeusement délirant L'an 01 (3) de Gébé, que les auteurs reconnaissent d'ailleurs comme une référence essentielle à leurs yeux. Le film de Carles n'apprend donc pas grand-chose sur ce plan, mais il a le mérite de dresser avec pas mal d'humour et de vitalité des portraits hauts en couleur, de proposer des alternatives plus ou moins réalisables, de susciter autant de questions qu'il ne propose de solutions. Ainsi, à propos du mot d'ordre du groupuscule catalan "Dinero gratis" dévalisant les grands magasins de Barcelone en chantant "Tu le veux, tu le fauches!", il y a effectivement matière à débat...

Volem rien foutre al païs La sociologie est un sport de combat. Pierre Carles. CP Production, 25 euros chacun.



Notes

(1) Voir http://atheles.org/cpproductions/, informations aussi sur les autres titres du réalisateur.
(2) Arrêt sur images, La Cinquième, 20 janvier 1996.
(3) Voir "La mise en boîte du travail", Alternatives Economiques n° 242, décembre 2005.

   


  
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