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Pierre Carles
   


 

- La socio est...

- Pierre Carles

 

Rencontre avec Pierre Carles, réalisateur
par Sophie Michalakoudis
Émission Javas, RTBF, du samedi 26 janvier au 8 février 2002.


 

 

Votre documentaire tourne principalement autour de Pierre Bourdieu, comment vous y êtes vous pris pour le filmer pendant trois ans et qu'avez vous fait ressortir ?

J'ai pris contact avec lui pour lui proposer de faire un portrait et réaliser un documentaire autour de son travail. Ce qui a déclenché cette envie, c'est que je trouvais anormal qu'à la télévision française il n'y ait pas de documentaire, ni de portrait de Pierre Bourdieu, de même qu'il n'y a jamais eu, du temps de son vivant, de portrait du philosophe Michel Foucault. L'absence de portraits de ces grandes figures intellectuelles était due à leurs analyses trop subversives en leur temps ; j'ai souhaité réaliser ce portrait de Pierre Bourdieu, sans l'aide financière des télévisions, pour pouvoir s'immerger dans sa pensée, qui je crois est un peu dissidente et permet de comprendre comment fonctionne cette société.
Cela a été long pour le convaincre car il craignait que ce portrait soit un peu réducteur où que je trahisse sa pensée. Finalement j'ai trouvé un dispositif qui me semblait adéquat pouvant me permettre de réaliser un film qui soit simplement une initiation, une introduction au travail de ce penseur.

Comment se présente ce reportage qui s'étale sur trois années ?

Une partie du travail de Bourdieu consiste à donner des conférences, des cours, des séminaires, des colloques. Je l'ai donc suivi lors des ces occasions-là mais également lors de rencontres avec des journalistes et des sociologues étrangers. Il y a notamment une séquence tournée à Bruxelles dans une université. Bien entendu, je l'ai filmé en discontinu pendant ces trois années.

Le but de votre documentaire est aussi de donner l'envie aux gens de faire un bout de chemin dans l'œuvre du sociologue ?

Exactement, c'est simplement donner une envie de picorer, s'emparer d'outils d'analyse développés par Pierre Bourdieu et qui peut permettre aux individus de "penser le monde et voir la société autrement que comme les médias traditionnels nous la montre. Comprendre pourquoi certaines personnes sont dominées par d'autres, pourquoi y-a-t-il des processus de reproduction, d'inégalités, qui sont à l'oeuvre dans cette société.

"La sociologie est un sport de combat" mais aussi un boîte à outils qui permet de comprendre une situation et de pouvoir s'en défaire, que propose Pierre Bourdieu ?

Il ne propose rien de précis, car en fait, c'est un des plus grands chercheurs contemporains en sciences sociales. Son travail n'est pas de proposer mais d'analyser, de donner des outils pour comprendre comment cela fonctionne. Il y a effectivement de sa part, un présupposé, qui est de dire "si vous comprenez pourquoi vous êtes dominés, aliénés ou exploités, vous pourrez peut-être un temps soit peu, échapper à ces phénomènes. Si vous comprenez et prenez conscience des lois de la gravitation sociale, ce qui fait qu'on est contraint, déterminé par notre capital culturel, capital économique, capital symbolique, vous avez une chance d'échapper à ces lois. C'est dans ce sens là qu'il peut proposer quelque chose, mais ce ne sont pas des propositions directes, ce n'est pas un prophète, ni un politique, c'est avant tout un chercheur.

Le spectateur qui ne connaît par Pierre Bourdieu peut-il le découvrir et adhérer facilement à son analyse ?

Oui, l'objectif était de permettre aux gens qui ne connaissaient pas Bourdieu de pouvoir accéder à la fois à son travail et à des éléments biographiques sur sa personne. Je crois que c'est un film relativement grand public, même s'il demande un certain effort ; le spectateur doit être plutôt actif que passif comme devant un écran de télévision ; c'est un film qui demande un certain travail mais je pense qu'on en est récompensé à l'arrivée.
C'est un film que j'ai conçu comme une initiation, il ne faut pas être spécialiste de Bourdieu pour le voir.

Pierre Bourdieu a-t-il vu le documentaire et quelle fut sa réaction ?

C'était le contrat tacite que nous avions passé ensemble, c'est qu'avant tout, il puisse le visionner et vérifier qu'il n'y ait pas de contresens, dans la mesure, où c'est quelqu'un qui s'exprime par l'écriture, son oeuvre est écrite et non orale, donc on est moins rigoureux à l'oral qu'à l'écrit ! Je lui ai laissé la possibilité de revoir le film pour éviter ces contresens, mais apparemment il n'y en avait pas. Je pense qu'il est à la fois content car le film rétablit la vérité sur son analyse, sa personne, sa pensée, alors qu'en France, les grands médias sont plutôt hostiles à Bourdieu car il remet en cause leurs propres pouvoirs, il dénonce les mécanismes de leur domination et cela ne plaît pas aux médias - d'ailleurs l'image que ceux-ci nous donnait de Bourdieu est relativement fausse et je pense qu'il ne pouvait qu'être content que cette image soit rétablie.

    


  
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