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Ralph
Rumney |
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SUR
LE PASSAGE DE L'INVITÉ N°889 |
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Yves
Hélias. Juillet
1999. |
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'invité inscrit en 1987 sous le matricule 889 dans le registre des invités au Congrès Ordinaire de Banalyse n'était pas inconnu des banalystes de la première génération. Nous en connaissions l'excellent portrait photographique accompagnant sa nécrologie situationniste publiée en page 28 du n°1 de l'INTERNATIONALE SITUATIONNISTE. Sur cette même page, une carte établissant le « relevé de tous les trajets effectués en un an par une étudiante habitant le XVIème arrondissement » illustrait avec efficacité la pertinence des reconnaissances psychogéographiques. C'était au cours de l'une d'entre elles, apprenait-on, que le situationniste déchu s'était dissous parmi les multiples souvenirs de ses camarades. Or, le Congrès Ordinaire avait reconsidéré à sa façon l'expérience psychogéographique. Depuis 1982 il invitait à détourner vers une petite gare du Puy-de-Dôme les divers arrondissements où reste généralement confinée la vie quotidienne de chacun. A des individus décidés à ne plus être dupes des moyens par lesquels ils trompent l'ennui, il proposait de prendre le risque de l'ennui en allant « perdre leur temps ensemble dans un lieu garantissant au mieux cette perte »(1). En resurgissant parmi les souvenirs des banalystes, l'invité n° 889 venait aussi donner leur pleine actualité aux difficultés qu'ils n'avaient pas manqué de rencontrer. En effet, dès 1958 le fondateur du Comité Psychogéographique de Londres paraissait s'être lui-même enlisé dans le marécage vénitien où il menait ses recherches. Ce précédent ne manquait pas d'appeler à la vigilance les futurs pratiquants de la psychogéographie. D'ailleurs l'I.S. dans la notice de la page 28, soulignait les embûches attendant « les nouveaux chercheurs, explorateurs de l'espace social et de ses modes d'emploi » appelés à se heurter « à toutes les défenses d'un monde de l'ennui » dans leur tentative pour « parvenir à an usage passionnant de la vie ». La disparition du camarade londonien sur le terrain périlleux de la Cité des Doges avait été un coup dur pour la psychogéographie ; l'ethnologie également peut perdre des ethnologues plein de promesse, qui se sont laissés « absorber » par leur objet. Mais leur perte pour la science ne préjuge en rien de la valeur des tâches qu'ils peuvent par ailleurs accomplir dans cette « autre » vie où ils s'aventurent. La réapparition du même camarade en 1987, dont le domicile avait été repéré par un congressiste quelque part dans le SWI5 à Londres, constituait une excellente nouvelle. L'ostracisme méprisant de l'auctoritas situationniste à son égard, dont le bulletin central de décembre 1958 porte témoignage, nous paraissait non seulement inactuel mais surtout insuffisamment fondé. Certes, nous ne connaissions pas personnellement l'explorateur. Nous considérions cependant que l'absorption du psychogéographe par le terrain pouvait témoigner tout aussi bien de sa réussite potentielle que de son échec momentané. Peut-on condamner cet excès de sympathie de l'ethnologue qui finit par l'immerger dans la culture de ceux qu'il étudie ? Pareille expérience ne suppose-t-elle pas au moins l'avantage d'un renversement radical de perspective, sinon une subjectivité capable de subversion ? Plutôt que de juger hâtivement du caractère «définitif» et irréversible d'une telle trajectoire, il nous semblait plus fécond d'imaginer le «retour» de l'ethnologue de son voyage intérieur. Un ethnologue, cette fois, doublement informé, puisqu'ayant reconstitué dans un contexte lointain les conditions de cette "ethnologie de la solitude"(2) qui est désormais à l'horizon de toute ethnologie du proche. On voit que dans les circonstances intellectuelles où les banalystes devaient poser leurs actes, le psychogéographe disparu avait, à leurs yeux, conservé quelque crédit. Du moins son exclusion de l'I.S. en mars 1958, nous paraissait reposer sur des bases où le positif annulait le négatif. D'ailleurs, que pouvait-on finalement lui reprocher, sinon d'avoir aimé la vie et d'avoir été quelque peu dilettante dans l'accomplissement de ses devoirs organisationnels ? En juin 1989 l'invité n° 889 se présente en gare des Fades pour le Huitième Congrès Ordinaire. A l'époque, l'affaire s'est déjà enlisée dans les délices d'un rendez-vous annuel, en plus ou moins bonne compagnie, sur le site ferroviaire de l'expérience fondatrice. Initialement le Congrès appelait à une « expérimentation peu raisonnable, mais exigeante, d'une réalité sans intérêt, mais problématique » et à être « surpris par ce qu'implique pour la pensée sa confrontation au dérisoire »(3). En 1989 il était clair que, de ce programme, restait la seule répétition ludique d'un rituel certes festif mais impuissant à générer un renouvellement constructif des pratiques. Aussi l'échéance de la dissolution automatique du congrès se rapprochait-elle. Elle avait été programmée, dès 1982, par les organisateurs et devait être effective pour la dixième édition (1991), sauf résolution contraire des congressistes alors présents. Le congrès s'était situé dans la perspective d'une « tentative de réappropriation du temps ». « Nous disposons d'expédients très divers pour occuper un temps, déjà saturé par la dictature des nécessités. Il est vrai que cela nous dispense d'en inventer le mode d'emploi » pouvait-on lire parmi les constats de départ. Dans un contexte de renforcement de l'artisme, d'une part, et du spectacle culturel, d'autre part, particulièrement sensible dans les années quatre-vingt, la proposition du Congrès interpellait aussi bien la multitude des « créatifs » en puissance que celle des consommateurs culturels. Elle les conviait à « descendre de l'univers intemporel des produits pour questionner le présent sur ce qui s'y invente réellement ». Elle entendait pointer ces fausses sorties de l'ennui dont l'époque semblait se repaître, rappelant que « La rationalité sociale ordinaire à laquelle on (croit) échapper en prenant les voies nobles de la création fait un retour par la petite porte, sous la forme d'un emploi du temps rarement revendiqué pour ses vertus poétiques »(4). En 1989 cette perspective, où se retrouve une tentative modeste pour parvenir à « un usage passionnant de la vie » s'était considérablement appauvrie, les protagonistes s'étant illusoirement repliés autour du divertissement saisonnier offert par le dispositif de la gare des Fades. Dans de telles conditions, et après un Septième Congrès soldé par la vaine tentative de lancer une seconde campagne de banalyse d'inspiration plus politique, l'arrivée et la présence d'un psychogéographe historique furent une incitation supplémentaire au ressaisissement. L'invité n°889 devait ensuite participer aux travaux du dernier congrès qui, faute de résolution contraire, s'est conclu par l'autodissolution automatique programmée dix ans auparavant. Il devait aussi prendre une part active à l'organisation de la Conférence de Manosque (septembre 1991), où furent réfléchis les premiers termes de la Deuxième Campagne. Cette dernière se poursuit depuis, diverses équipes y contribuent, sous diverses formes. Dans le huitième et dernier numéro des Cahiers de Banalyse(5), elle était présentée dans ces termes : « Si l'éthique de la séparation, qui légitime une présence au monde purement fictive, détermine tous les emplois du temps en les soumettant à l'impératif catégorique de l'efficience mercantile, (la banalyse) voudrait témoigner, avec tous ceux qui partagent sa sensibilité, qu'elle n'est pas la dupe de ce totalitarisme de la communication. Dans un monde où la production de l'histoire se résume à un devenir de synthèse, elle voudrait attester la volonté des hommes banals à mener une campagne de convivialité critique... Il ne s'agit plus seulement d'observer mais de saisir la virtualité positive des hommes banals, par qui l'histoire peut nous revenir ». C'est à cette fin que s'est ouvert, par exemple, le Bureau des Inspections Banalytiques. Sous forme « d'analyses (constats) et d'études sur une période longue, par de petites équipes discrètes, d'un espace humain choisi selon des critères précis, toujours en accord mais sans apologie, avec l'idée du non remarquable, du moyen, du banal »(6), il explore les points de résistance de la banalité l'immense gisement de ce qui est sans qualité aux ravages de la banalisation marchande. Ainsi continue, mutatis mutandis la psychogéographie et s'effectue le passage de quelques idées à travers le temps. 1.
Les Cahiers de Banalyse, n°2, mai 1984 R |