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'invité
inscrit en 1987 sous le matricule 889 dans le registre des invités
au Congrès Ordinaire de Banalyse n'était pas inconnu
des banalystes de la première génération. Nous
en connaissions l'excellent portrait photographique accompagnant sa
nécrologie situationniste publiée en page 28 du n°1
de l'INTERNATIONALE SITUATIONNISTE. Sur cette même page, une
carte établissant le « relevé de tous les
trajets effectués en un an par une étudiante habitant
le XVIème arrondissement » illustrait avec efficacité
la pertinence des reconnaissances psychogéographiques. C'était
au cours de l'une d'entre elles, apprenait-on, que le situationniste
déchu s'était dissous parmi les multiples souvenirs
de ses camarades. Or, le Congrès Ordinaire avait reconsidéré
à sa façon l'expérience psychogéographique.
Depuis 1982 il invitait à détourner vers une petite
gare du Puy-de-Dôme les divers arrondissements où reste
généralement confinée la vie quotidienne de chacun.
A des individus décidés à ne plus être
dupes des moyens par lesquels ils trompent l'ennui, il proposait de
prendre le risque de l'ennui en allant « perdre leur
temps ensemble dans un lieu garantissant au mieux cette perte »(1).
En resurgissant parmi les souvenirs des banalystes, l'invité
n° 889 venait aussi donner leur pleine actualité aux difficultés
qu'ils n'avaient pas manqué de rencontrer. En effet, dès
1958 le fondateur du Comité Psychogéographique de Londres
paraissait s'être lui-même enlisé dans le marécage
vénitien où il menait ses recherches. Ce précédent
ne manquait pas d'appeler à la vigilance les futurs pratiquants
de la psychogéographie. D'ailleurs l'I.S. dans la notice de
la page 28, soulignait les embûches attendant « les
nouveaux chercheurs, explorateurs de l'espace social et de ses modes
d'emploi » appelés à se heurter « à
toutes les défenses d'un monde de l'ennui » dans
leur tentative pour « parvenir à an usage passionnant
de la vie ». La disparition du camarade londonien sur
le terrain périlleux de la Cité des Doges avait été
un coup dur pour la psychogéographie ; l'ethnologie également
peut perdre des ethnologues plein de promesse, qui se sont laissés
« absorber » par leur objet. Mais leur perte pour la science
ne préjuge en rien de la valeur des tâches qu'ils peuvent
par ailleurs accomplir dans cette « autre » vie où
ils s'aventurent. La réapparition du même camarade en
1987, dont le domicile avait été repéré
par un congressiste quelque part dans le SWI5 à Londres, constituait
une excellente nouvelle. L'ostracisme méprisant de l'auctoritas
situationniste à son égard, dont le bulletin central
de décembre 1958 porte témoignage, nous paraissait non
seulement inactuel mais surtout insuffisamment fondé. Certes,
nous ne connaissions pas personnellement l'explorateur. Nous considérions
cependant que l'absorption du psychogéographe par le terrain
pouvait témoigner tout aussi bien de sa réussite potentielle
que de son échec momentané. Peut-on condamner cet excès
de sympathie de l'ethnologue qui finit par l'immerger dans la culture
de ceux qu'il étudie ? Pareille expérience ne suppose-t-elle
pas au moins l'avantage d'un renversement radical de perspective,
sinon une subjectivité capable de subversion ? Plutôt
que de juger hâtivement du caractère «définitif»
et irréversible d'une telle trajectoire, il nous semblait plus
fécond d'imaginer le «retour» de l'ethnologue de
son voyage intérieur. Un ethnologue, cette fois, doublement
informé, puisqu'ayant reconstitué dans un contexte lointain
les conditions de cette "ethnologie de la solitude"(2)
qui est désormais à l'horizon de toute ethnologie du
proche. On voit que dans les circonstances intellectuelles où
les banalystes devaient poser leurs actes, le psychogéographe
disparu avait, à leurs yeux, conservé quelque crédit.
Du moins son exclusion de l'I.S. en mars 1958, nous paraissait reposer
sur des bases où le positif annulait le négatif. D'ailleurs,
que pouvait-on finalement lui reprocher, sinon d'avoir aimé
la vie et d'avoir été quelque peu dilettante dans l'accomplissement
de ses devoirs organisationnels ?
En juin 1989 l'invité n° 889 se présente en gare
des Fades pour le Huitième Congrès Ordinaire. A l'époque,
l'affaire s'est déjà enlisée dans les délices
d'un rendez-vous annuel, en plus ou moins bonne compagnie, sur le
site ferroviaire de l'expérience fondatrice. Initialement le
Congrès appelait à une « expérimentation
peu raisonnable, mais exigeante, d'une réalité sans
intérêt, mais problématique » et
à être « surpris par ce qu'implique pour
la pensée sa confrontation au dérisoire »(3).
En 1989 il était clair que, de ce programme, restait la seule
répétition ludique d'un rituel certes festif mais impuissant
à générer un renouvellement constructif des pratiques.
Aussi l'échéance de la dissolution automatique du congrès
se rapprochait-elle. Elle avait été programmée,
dès 1982, par les organisateurs et devait être effective
pour la dixième édition (1991), sauf résolution
contraire des congressistes alors présents. Le congrès
s'était situé dans la perspective d'une « tentative
de réappropriation du temps ». « Nous
disposons d'expédients très divers pour occuper un temps,
déjà saturé par la dictature des nécessités.
Il est vrai que cela nous dispense d'en inventer le mode d'emploi »
pouvait-on lire parmi les constats de départ. Dans un contexte
de renforcement de l'artisme, d'une part, et du spectacle culturel,
d'autre part, particulièrement sensible dans les années
quatre-vingt, la proposition du Congrès interpellait aussi
bien la multitude des « créatifs » en puissance que
celle des consommateurs culturels. Elle les conviait à « descendre
de l'univers intemporel des produits pour questionner le présent
sur ce qui s'y invente réellement ». Elle entendait
pointer ces fausses sorties de l'ennui dont l'époque semblait
se repaître, rappelant que « La rationalité
sociale ordinaire à laquelle on (croit) échapper en
prenant les voies nobles de la création fait un retour par
la petite porte, sous la forme d'un emploi du temps rarement revendiqué
pour ses vertus poétiques »(4).
En 1989 cette perspective, où se retrouve une tentative modeste
pour parvenir à « un usage passionnant de la vie »
s'était considérablement appauvrie, les protagonistes
s'étant illusoirement repliés autour du divertissement
saisonnier offert par le dispositif de la gare des Fades. Dans de
telles conditions, et après un Septième Congrès
soldé par la vaine tentative de lancer une seconde campagne
de banalyse d'inspiration plus politique, l'arrivée et la présence
d'un psychogéographe historique furent une incitation supplémentaire
au ressaisissement.
L'invité n°889 devait ensuite participer aux travaux du
dernier congrès qui, faute de résolution contraire,
s'est conclu par l'autodissolution automatique programmée dix
ans auparavant. Il devait aussi prendre une part active à l'organisation
de la Conférence de Manosque (septembre 1991), où furent
réfléchis les premiers termes de la Deuxième
Campagne. Cette dernière se poursuit depuis, diverses équipes
y contribuent, sous diverses formes. Dans le huitième et dernier
numéro des Cahiers de Banalyse(5),
elle était présentée dans ces termes : « Si
l'éthique de la séparation, qui légitime une
présence au monde purement fictive, détermine tous les
emplois du temps en les soumettant à l'impératif catégorique
de l'efficience mercantile, (la banalyse) voudrait témoigner,
avec tous ceux qui partagent sa sensibilité, qu'elle n'est
pas la dupe de ce totalitarisme de la communication. Dans un monde
où la production de l'histoire se résume à un
devenir de synthèse, elle voudrait attester la volonté
des hommes banals à mener une campagne de convivialité
critique... Il ne s'agit plus seulement d'observer mais de saisir
la virtualité positive des hommes banals, par qui l'histoire
peut nous revenir ». C'est à cette fin que s'est
ouvert, par exemple, le Bureau des Inspections Banalytiques. Sous
forme « d'analyses (constats) et d'études sur
une période longue, par de petites équipes discrètes,
d'un espace humain choisi selon des critères précis,
toujours en accord mais sans apologie, avec l'idée du non remarquable,
du moyen, du banal »(6),
il explore les points de résistance de la banalité
l'immense gisement de ce qui est sans qualité aux
ravages de la banalisation marchande. Ainsi continue, mutatis mutandis
la psychogéographie et s'effectue le passage de quelques
idées à travers le temps.
1.
Les Cahiers de Banalyse, n°2, mai 1984 R
2. L'ethnologie de la solitude est actuellement en
cours d'élaboration. Voir à ce sujet l'ensemble des
écrits de Marc Augé, en particulier "Non-lieux, introduction
à une anthropologie de la surmodernité", Seuil 1992.
R
3. Les Cahiers de Banalyse, n°2, mai
1984 R
4. idem R
5. Juin 1991 R
6. Tract du Bureau des Inspections Banalytiques R
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