| /journal/1999/02.html ———————————————————————— #160299 Mort d'un p'tit roi. Jean Genet :« Hussein, un petit bourgeois qui défend les possédants d'aujourd'hui comme Thiers ceux d'hier. » Les palestiniens, 05/71 Nous en avons tant été gavés la semaine dernière de cette mort du "petit roi" Hussein que nous sommes comme soulagés que ces messieurs et dames des media occidentaux aient enfin cessé de nous en conter sur le "petit" royaume de Jordanie ; nous avons tort : si c'était là une chose si importante qu'elle valût la peine d'une si formidable couverture télévisuelle et de presse, nous devrions être fort inquiets de ne plus rien entendre et lire sur les heurs et malheurs de son rejeton successeur Abdallah. Or donc, était-ce là chose si merveilleuse qu'elle méritât tant de tracas ? Non, bien sûr. Hussein était un petit roi de contes de fées, nos chaînes nationales ont retransmis son enterrement tel que ; suppose-t-on un instant que les futures funérailles d'Assad de Syrie connaîtront pareille gloire ? Non, bien sûr... C'est pourtant là un gars autrement plus puissant que le monarque qui régnait sur un tas de sable conquis militairement par son aïeul et aimablement concédé par les puissances coloniales (on raconte ainsi que Churchill en traça les frontières d'un trait de plume, avant qu'elles ne fussent remodelées par la razzia arabe puis la force israélienne et la bêtise d'Hussein). C'était un "petit roi" parce qu'il n'était pas bien grand pas plus que son bout de terrain transjordanien, mais surtout parce qu'il accéda au pouvoir fort jeune (Truman gouvernait les states nous rappelle un "chercheur" appointé par une radio). Il fit les délices des magazines people par ses exploits de bon arabe, play boy suave et occidentalisé, qui conduisait des voitures sportives, pilotait lui-même moult aéroplanes et, surtout, se maria suffisamment souvent (avec quelques occidentales de plus) et eut de nombreux enfants, de quoi alimenter les colonnes des magazines qui vendent de la royauté à nos peuples de la démocratie formelle et désenchantée, consolant Frédo Mitterrand de la cruelle perte d'un autre couple de métèques propres sur eux, Reza Palhevi et la bonne Farah... À part ça? ben, à part ça Hussein fut un autocrate moyen, supprimant ou rétablissant Parlement et élections selon son bon vouloir (comme les généraux algériens il a supprimé les élections qui portèrent des islamistes modérés vers un peu de pouvoir parlementaire), réglant la valse des portefeuilles gouvernementaux et même sa propre succession au gré de ses calculs de basse politique, contrôlant la liberté de la presse et interdisant les formations politiques. Sa prétendue clairvoyance politique ne fut que flottements au fil des courants changeants de l'environnement international si important pour le Royaume tampon entre tous les bélligérants imaginables du Proche-Orient : il participa mollement aux attaques contre Israël et perdit ainsi le contrôle des "lieux saints" que les sionistes ne lui disputaient plus à l'époque - le comble pour un descendant du prophète ! - apporta son soutien à l'Irak pendant la guerre du Golfe, fut, tout au long de son triste règne considéré par les peuples arabes comme "le nain de la CIA" et bénéficia, à sa mort, de l'émotion unanime des israéliens et des prières de leurs rabbins ultra-orthodoxes, navrés de perdre un si aimable supplétif... Charmant bilan. Par dessous tout, pour les siècles des siècles, dans la mémoire d'éléphant des hommes et femmes "de gauche", il restera le grand ordonnateur des massacres de Septembre Noir, où les bédouins et tcherkesses de la Légion Arabe entraînés par les coloniaux britanniques massacrèrent les combattants palestiniens, mais aussi, indistinctement les 60% de population palestinienne de son royaume de pacotille tous sexes et âges confondus, déclenchant un exode massif vers les camps de réfugiés de l'onu, vers d'autres massacres, perpétrés ceux-là par les marouanites libanais et le sinistre Sharon (alors, toujours ministre Ariel ?). Pour finir, laissons la parole à Siné, notre Grand Emmerdeur Patenté, dans Charlie Hebdo du 10/02/99 : "Je n'ai pas la mémoire courte, comme beaucoup, et l'abominable septembre noir que ce salaud a fait subir aux Palestiniens m'empêche de ressentir la moindre pitié pour lui, pas plus qu'une quelconque sympathie pour son fils militaire qui va le remplacer très démocratiquement (ricanements autorisés)." Faut signer où? ———————————————————————— #150299 Mort d'un chic type À propos du décès de Maurice Najman. Le vaste monde est suffisamment rempli de connards de toutes obédiences pour que l'on songe à s'arrêter un moment sur la disparition d'un de ceux qui nous le rendent supportables ; Maurice Najman était l'un de ceux-là, il est mort le 04 février, il avait 50 ans et c'était un sympathique agité, un emmerdeur patenté. Précisons tout d'abord que nous ne le connaissions pas autrement que par les traces médiatiques qu'il a semé : c'était un visage dans un film, le fils d'un visage de vieille dame pétulante dans un autre film, un clopeur invétéré à la tribune d'une A.G. dans de vieilles images d'actualité, une signature au bas d'une pétition, d'un article, sur un générique de docu, un nom dans une Brève à la page Politiques, dans un tract annonçant une Conférence où l'on n'est pas allé par paresse - lassitude - manque de temps, un passage d'un livre d'histoire sociale, un type rencontré par des amis qui l'avaient trouvé chiant - passionné - intéressant - enthousiasmant, agité... Tous ces fils tissés finissent par tresser une sorte de lien, presque personnel, de reconnaissance ; ce genre de lien de familiarité ressemble à celui que le commun dont nous sommes ressent à l'égard de ses "vedettes", bien sûr, pourquoi pas après tout. Mais c'est aussi celui qui relie, par delà les "chapelles" politiques lorsqu'on prend garde à ne pas s'oublier sans cesse dans les luttes de fractions, à s'arrêter un moment tous ceux qui ne se résignent pas à la pesanteur du monde tel qu'il va. Il est, semble-t-il, de bon ton dans les rédactions de s'exaspérer, de persifler en direction des jeunes stagiaires, au sujet de ces perpétuels révoltés qui débarquent la bouche emplie de sempiternels et, en même temps toujours renouvelés, indignations et enthousiasmes mêlés... C'est sans doute que les énergumènes "gauchistes" sont une plaie pour les ralliés du système : ils ravivent la plaie des illusions perdues, celles de la folle jeunesse qu'on a reniée même si l'on ratiocine son "illusion biographique", l'on ergote pour prouver aux autres et à soi-même que non, décidemment, on n'a pas changé, que c'est le monde qui a changé et que l'on s'est adapté aux formes nouvelles des temps nouveaux. Des conneries. ———————————————————————— |