http://www.homme-moderne.org/journal/2007/0311.html | |||||
Invités On rit peu dans les lettres. Plus que dans la vie, bien sûr, mais peu quand même. Tonton Michou, c’est le nom qu’on donne à Ohl, dans le milieu. Je le connais bien. On peut même dire que je lui dois presque tout, qu’il m’a formé, à sa manière, douce et infiniment pédagogique, à l’Art (aux lettres uniquement, car, répète-t-il souvent, ce qu’il y a de bien avec la musique, c’est que c’est invisible, à la différence de la peinture, qui, elle, a toutefois cet avantage d’être insonore). Quoi de plus vrai ? Soit dit en passant, Ohl clôt enfin, et de manière irrévocable, l’éternel débat sur le classement entre les différentes formes d’art. Espérons que les professeurs, critiques, esthètes en tout genre liront, et retiendront la leçon. Quand je dis « lettres », j’écarte bien entendu la Poësie, dont Tonton et moi ne comprenons pas un traître mot. Depuis Homère, dit-il, et je suis bien d’accord, la Poësie traverse une authentique crise. Je crois néanmoins, entre nous, qu’il y a chez Ohl un petit penchant, comme une mélancolie, pour la Poësie. Un jour que je rentrai chez lui sans qu’il ne m’ait aperçu, j’entendis sa femme lui dire : Bordel divin t’es poète quand tu t’y mets toi alors salope ! J’en reviens à mes moutons : il m’a donc formé à l’Art, bien entendu, mais aussi, et surtout, à la vaisselle, aux courses de vélo, et, naturellement, à la rigolette (1). Qu’est-ce que la rigolette, me diriez-vous ? La rigolette, selon un professeur de l’Université du Massachusetts que j’ai bien connu et qui s’est penché tout au long de sa vie sur l’œuvre ohlienne (2), est « l’art de rire de tout, quel que soit le contexte spatial et temporel, à l’exclusion des choses drôles et / ou visant explicitement ou implicitement à faire rire ». Et cet illustre professeur de citer : J’ai un ami, je lui dis « gugu ! » il tombe de rire à mes pieds. J’avoue que sa définition ne m’a pas beaucoup aidé. Je lui ai dit d’ailleurs, et il continue donc à y travailler, car, assure-t-il, là est la clé (the key) de l’œuvre d’Ohl. Je n’ai jamais pu percer ce secret, moi qui, pourtant, ai observé l’Ohl, l’ai mesuré, disséqué, du matin au soir, alors qu’il était au travail. Travail : je crois d’ailleurs que, quand les siècles auront passé, et que l’on se penchera enfin, minutieusement, sérieusement, sur son œuvre, on mesurera le travail inouï fourni par Ohl, et que là réside le mystère de sa grandeur. Le travail, c’est lassant, té, m’a-t-il dit un jour. Pieux mensonge ! Immense modestie ohlienne ! (Je suis l’homme le plus modeste du monde, m’a-t-il avoué un autre jour). Qui ne l’a vu au lit toute la journée, des années durant, avant de se laisser aller à un petit sommeillon bien mérité de quelques heures, ne peut juger l’effort prodigieux que lui a coûté l’accouchement aux forceps d’une œuvre magistrale. Et nous croyons justement que, avec le Pauvre Cerveau..., l’œuvre ohlienne est à son pinacle. D’aucuns diront : et Zaporogues ? Et L’An Pinay ? Et d’autres affirmeront : mais voyons, le Pauvre Cerveau… n’est qu’un recueil de bons mots, de conversations, de calembours entendus mille fois au comptoir de chaque bistrot, café et bars de nuit ! Si son travail l’a fréquemment amené à fréquenter ces lieux d’intense vie de l’esprit, s’il n’est pas moins certain que les exégètes retrouveront ici et là un bon mot fait au Café de La Poste, Michel Ohl est le premier à en convenir. C’est que son travail est à mille lieux de ces viles préoccupations de propriété intellectuelle. Il recueille, collecte, met en forme, en abyme, en perspective, jusqu’à obtention du résultat désiré : un éclat de rire, un coup de rigolette, ou plutôt « le grand éclat de rire né du vertige qui envahit l’esprit placé brutalement devant le vide et l’inconsistance des choses » (3). Comprenez-vous maintenant ? Je rapporterai d’ailleurs à tous ces détracteurs une anecdote révélatrice. Une nuit, je dormais du sommeil du juste après une journée d’études, quand soudain, j’entendis un cri : Glou ! C’était Ohl. Il se réveillait aussi. Il me dit ces mots, qui ont marqué à jamais ma mémoire : grève des rêves… à moins que je ne sois mort au début de la nuit, et que je ne me sois réincarné en moi-même, au moment du soi-disant réveil, va savoir Micheloir. Et là je lui dis : mais lève-toi et couche donc ça sur le papier, voyons, Michel ! Et c’est ce qu’il a fait. Je pense qu’il ne s’en repentira jamais. Comme l’Humanité. Rira seul qui rira le dernier. ———————————————————————— (1) Mot employé pour la première fois en 1972 à propos de Ohl par Eric Thomas, La rigolette et Ohl, Thèse de Doctorat, 458 p. - Onesse | |||||
———————————————————————— |