En attendant les barbares...
    

 

  Vlad Vlad

 

 

In memoriam Bukowski.

 

 

Daté janvier 2000.

 

 

    

ukowski a toujours choqué la critique et le public, sauf les irréductibles. Trop sale, trop vieux, trop crade, trop déglingué, comme Céline en d’autres temps. Bukowski vous emmerde. Il nous raconte des histoires mal digérées de bitures au mauvais vin, de baise triste, de jobs merdiques. Mauvaise conscience de l’Amérique (Postier) ou claque dans la gueule du « jeunisme » (Mémoires d’un vieux dégueulasse), Bukowski savait que la place de l’écrivain est à sa table de travail, devant une vieille Underwood, à trois heures du mat’ ! Parce que dehors, il y a les salauds, que le frigo est vide, et que l’on n’a pas la force d’aller à la prochaine station-service, qui de toute manière est fermée.

Bukowski cautérise au fer rouge les plaies de l’Amérique, odeurs de viandes mortes ou, au choix, de viande brûlée, le rêve américain se dissout dans les rues sombres de Los Angeles, où les homeless n’ont pas leur place, sinon morts, ou prêts de l’être. Bukowski est aux antipodes de l’Amérique liftée des yuppies, ces sinistres crapules bronzées, friquées et dynamiques qui se donnent en modèle au reste de la planète, esclaves de Bill Gates, courtiers à Wall Street, discopouffes de seconde zone, qui tous suintent leur bêtise satisfaite.

Mais la mort et son odeur rodent sur L.A.. L’écrivain est d’abord un veilleur. Ainsi, ses cauchemars sont plus vrais.

Salut Bukowski, excuse-moi pour cette familiarité que tu n’aurais peut-être pas accepté. Peut-être, en ce moment, vides-tu une bonne bouteille de blanc ? Pas du vin californien vénéneux mais une bonne bouteille made in France. En compagnie, qui sait ? de Louis-Ferdinand Céline.

Où ça d’ailleurs ? Dans une taverne qui a pour nom « Le Cabaret de l’Enfer », un endroit infréquentable, mais où se trouvent pourtant des gens de bonne compagnie.
Au cabaret de l’Enfer, c’est le Diable qui fait le D.J., music de Screamin’ Jay Hawkins, Voodoo Rock ! Mais, en fait, on n’a d’yeux que pour les serveuses topless, belles à damner un père de l’Église, avec leur beauté irréelle, beauté du Diable en quelque sorte !
L-F. grogne. Le Voyage n’est donc pas fini. Il serait peut-être temps de dormir. Et il y a des cons de journalistes qui viennent recueillir vos impressions d’avant le cercueil ou d’après la décomposition… Je suis mutilé à plus de 90%, moi !
Au cabaret du Diable, toutes les places ne sont pas prises . Et ça nous fait chaud au cœur ! J’aurais aimé vous narrer cette conversation post-mortem entre Bukowski et Céline. Il n’en reste qu’un fragment, toujours ça de pris !

  • L-F C. : Persevere diabolicum est ! On voit bien que vous n’avez pas eu l’article L42X au cul !
  • Ch.B. : Si la peur devait nous faire taire ! Une autre Pacifico serait nécessaire, nonobstant votre abstinence, cher maître !
  • L-F C. : Sachez Bukowski que je déteste la viande saoule ! C’est anti-hygiénique ! Je suis catégorique ! In vino no veritas !
  • Ch.B. : En Enfer, on peut bien s’accommoder des faiblesses humaines ! Et puis, cher maître, ne soyez pas si paranoïaque ! Même si le complot de la bêtise est universel !

… Long silence…

  • Ch.B. : (S’en foutant complètement) J’aime pas l’eau de Vichy, d’ailleurs, Vichy, je sais même pas où c’est ! Karen, petite pouffe, amène-toi subito ! une Pacifico vite, je t’apprendrais à lire du Stephen King ! Tu vois où cela t’amène ! Sans parler du death metal ou de l’écoute prolongée de Marylin Manson !
    (Il fout la main au cul de Karen qui est belle, quoiqu’un peu sorcière, rougit et se casse presto)
  • L-F C. : Putain, dans ma prison au Danemark c’était pareil. Avant, elles s’offraient toutes, ces chiennes. Puis, elles se refusent dès qu’on la gale, une réputation sulfureuse et l’a42X au cul !

… Long silence…

  • Toute la ruse du Démon consiste à réfuter sa propre existence, sachez-le Bukowski !
  • Ch.B. : (De plus en plus bourré mais presque lucide)
    Karen, une autre bière ou je te vomis dessus. Ou pire, je te condamne à lire les œuvres de ces malheureux philosophes français, des polygraphes mondains, foireux comme un vieux pet ! En traduction, ces navets font jouir les yuppies.
  • Karen : Fuck off, Buk ! Tu sais bien que je sais presque pas lire !
  • Ch.B. : Ça ne m’étonne guère, vu ton niveau de moralité. Idiote et fière de l’être. Mais tu as un beau cul ! À l’heure du Jugement, cela devrait te sauver.
  • Karen : (Sèchement) Mon cul est plus beau que le tien. Le Jugement a eu lieu, Buk, et je suis pas sauvée ! Bien au contraire.
  • Ch.B. : (résigné) La damnation fait partie de la dure condition humaine.

Ici L-F C. se réveille, éructe, parle de complot, s’indigne, évoque « l’agité du bocal » et autres « ténias sub-humains ». Il aurait même raison que tout le monde s’en fout. Bukowski s’en fout aussi, se tait et rallume une cigarette extra-longue. Karen revient, boudeuse, avec une autre Pacifico à la main. Bukowski la considère d’un œil lubrique, se fend la gueule et lui refout la main au cul.
Karen fait semblant de s’offusquer, donne son plus beau sourire et embrasse le vieux lass’dég.

  • Bukowski : (Enfin heureux). Est-ce le baiser de la mort ?

Ainsi vont les choses, dans la taverne de l’Enfer…