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nous, exploités, opprimés, aliénés, marchandisés
bref prolétaires, il ne nous est jamais proposé que
de revendiquer plus de démocratie, plus d’égalité,
plus de droits sociaux, plus de… sans jamais toucher à la base
de tous nos problèmes : le capitalisme comme système
d’exploitation et rapport social entre les humains. Partout dans les
rangs des soi-disant opposants à la mondialisation des marchés,
ce n’est souvent qu’une sinistre apologie de l’économie et
de l’état, comme chez Bové, leur vedette médiatique.
Ce Walesa du roquefort qui traite les autres d’en face d’anti-économiques
soutient que lui et ses ami-e-s sont les mieux placés pour
faire rouler ( ! ) l’économie… évidemment de façon
durable et équitable. Il s’agit bien sûr d’une allégeance
manifeste aux termes centraux de la domination capitaliste. Mais plus
insidieuse parce que proche de nous, marchant à notre pas,
est cette nouvelle tendance à l’extrême du citoyennisme
respectable : il s’agit bien entendu de cette mouvance qui
se proclame « anti-capitaliste », « anti-autoritaire »,
« autogestionnaire », et tutti quanti.
SOUS
LE NOUVEL ANTI-CAPITALISME : LE CAPITAL ! ! !
À
cette aile radicale qui s’y connaît en rhétorique anti-capitaliste
et manie bien les déclarations de principes on serait porté
à répondre : cause toujours, mon lapin !
En fait, ils en veulent au capital financier, aux corporations ; c’est
le vieil anti-impérialisme qui revient par la porte d’en arrière.
Le socialisme puéril d’hier s’est transformé en un anti-capitalisme
de bon aloi assorti d’une exigence de démocratie totale. Toutes
les séparations capitalistes y sont magnifiées comme
autant d’identités réelles à sauvegarder et à
promouvoir (sexe, âge, race, nationalité, rôles
sociaux ou économiques, minéraux, végétaux
et cosmos, la liste est infinie…). Cette aile turbulente brasse bien,
timidement, la cage de leurs aînés plus respectables
mais c’est pour les accuser, devant la galerie médiatique,
de trahison. En outre elle agit le plus souvent comme troupe de choc
des partis et syndicats qui s’en servent à leur tour comme
épouvantail.
Pétries
de messianisme militant, toutes ces bonnes âmes veulent radicaliser
les luttes, organiser la résistance voire préparer l’offensive
mais la radicalisation et l’extension des luttes n’est pas une question
de volonté et d’organisation militante (quoiqu’une certaine
forme de volonté et d’organisation y soit nécessairement
présente). Notre rejet de la frénésie activiste
non-critique n’est pas un rejet de la possibilité de luttes
réelles dont nous serions, comme tous, partie prenante à
divers niveaux. Simplement, toute formalisation organisationnelle
de ces luttes n’est plus envisageable et c’est au sein même
de la classe dont nous faisons partie que doit se trouver les lignes
de rupture avec la prison consensuelle du Capital et le fétichisme
des catégories économiques et sociales. L’inévitable
assaut contre tous les dispositifs citoyens, étatiques et para-étatiques,
devra évidemment se débarrasser de ce dogme faisandé
de la non-violence ainsi que du vieux fond de morale qui maquillent
actuellement, au point de le défigurer, tout mouvement de contestation.
Pour tendre à la production de nouveaux rapports sociaux, les
attaques contre le capitalisme doivent déjà contenir
une communisation de la lutte et des rapports qui s’en dégagent.
Il
n’y a plus aucun projet positif, aucune affirmation prolétaire
possible à l’intérieur du Capital. Les limites même
de toutes les luttes revendicatives (démocratisation et « humanisation »
du système) posent plus que jamais la nécessité
de l’abolition du capitalisme, donc du prolétariat.
2.
Le citoyennisme, stade suprême du réformisme
Après
Seattle, Davos, Porto Alegre, nous revoici conviés à
une de ces grandes messes citoyennes qui accompagnent chaque réunion
internationale des gestionnaires du Capital. Ce face à face
maintenant prévisible nous renvoie une même image des
deux côtés de la célèbre clôture : celle
d'une confrontation politique — la politique étant
cette vieille et tenace illusion que l’on peut aussi bien maîtriser
la dynamique du Capital que civiliser l’exploitation en démocratisant
son dispositif. Dès lors, le vrai « périmètre
de sécurité » n’est plus celui, dans lequel
on veut nous empêcher d’entrer par un barrage de flics, mais
bien celui dans lequel on se voit confiné tous les jours : l’incontournable
Marché et son indispensable corollaire, l’État.
D’un
côté de la clôture policière, les forces
de l’ordre capitaliste triomphant sont bien connues : si
des corporations, voire des individu-e-s, y sont facilement identifiables,
ils ne sont évidemment que les gérant-e-s (que certain-e-s
d’en face voudraient bien remplacer) d’un système qui leur
profite. Avec la restructuration du mode de production capitaliste,
fondée sur la précarisation et le déracinement
de larges secteurs du prolétariat (tiens, il n’était
pas enterré, celui-là ?), la dérégulation
actuelle est aussi nécessaire à la relance du Capital
que l’était sa régulation dans « les beaux
jours » de l’État-providence. Comme toujours, la
crise économique est la crise du rapport social d’exploitation,
car le Capital est avant tout un rapport social. En ce sens, le camp
retranché des exploiteurs d’en face tient plus de la représentation
spectaculaire des « forces du MAL » que d’un
quartier général que les « forces du BIEN »
devraient investir. Quant à ces forces du bien, les fameux
citoyens-citoyennes, il s’agit de ceux et celles dont l’exaltant objectif
est de contrôler démocratiquement l’économie,
tous ces organismes de sous-traitance de l’encadrement social (CSN,
FTQ, FFQ, CSQ, PQ et autres trous du Q, plus les groupes communautaires,
ONG, etc.) qui, paraît-il, « représentent
la société civile ». Ils n’ont bien sûr
que le mot « alternative » en gueule, des plus
réalistes aux plus « radicaux » : on
passe d’un capitalisme « humanisé » grâce
au partage du temps de travail et autres balivernes à l’exigence
d’une démocratie directe et totale pour le partage des « richesses »
(entendons : des marchandises).
En
somme, aucune remise en question du caractère marchand des
biens et de la force de travail qui les produit : partage
du temps de travail = partage de l’exploitation ; partage
des richesses = partage des marchandises.
Le
citoyennisme est donc cette idéologie qui voit dans le Capital
une sorte de force neutre qui, gérée autrement, pourrait
faire le bonheur de l’humanité au lieu de sa perte. Maintenant
que seuls des déchets idéologiques passés de
date réclament encore une gestion ouvrière du Capital,
dans la trousse militante, la lutte des classes a fait place à
la lutte démocratique. C’est avec cette revendication comme
« arme » qu’on veut encadrer ladite mondialisation,
tout cela par un renforcement de l’État avec des citoyens responsables
comme base active de soutien.
Les
pseudo-solutions réalistes avancées par les citoyennistes
apparaissent dès lors pour ce qu’elles sont réellement : les
moyens pour le Capital de maintenir l’ordre des choses et de contenir,
voire réprimer, toutes velléités de subversion
des rapports sociaux.
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