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e nouveaux rites urbains :
Libération (1) titre ainsi son dossier sur les divers pillages, incendies et
échauffourées avec les forces de l 'Ordre républicain, à l'occasion du réveillon.
Puisqu'en quelque sorte on nous y invite, glosons un peu :
Le quotidien social-libéral brode en ce sens, du "rite urbain" aux notations
festives le vocabulaire est résolument anthropologique. Le caractère répétitif de
l'émeute urbaine -récurrence et forme stabilisée- est patent : on brûle pour les
fêtes carillonnées, lors de l'anniversaire d'un assassinat policier, d'une précédente
explosion, on reproduit les formes inaugurées par les cités concurrentes. La
transgression collective des normes sociales, leur retournement dans le carnaval ou dans
l'émeute est bien un rituel, censé malheureusement conforter l'ordre social
existant... (2)
Lorsqu'il décrit les émeutes de Watts, l'aimable G. Debord (3) anthropologise de même : fête, affirmation
ludique et, finalement, "potlatch de destruction".
L'émeute : pour ou contre la société ?
L'appropiation des marchandises manifeste
l'accord de notre belle jeunesse délinquante avec la suprême idéologie consommatrice :
le but est conforme (i.e. posséder et faire usage des merveilleux fétiches manufacturés
élaborés par le capitalisme règnant - "ils veulent tout de suite tous les objets
montrés et abstraitement disponibles parce qu'ils veulent en faire usage") ; les
moyens utilisés sont non institutionnels (le vol est réservé aux propriétaires). On a
là un comportement "innovateur" (4).
La tentative de refourguer aux déviants leurs propres signes contre-culturels comme
marchandise (le rap et toute cette panoplie ; peut-être aussi la corde pour pendre les
marchands de corde) est bloquée : ils n'ont pas les moyens, le pauvre n'est plus une
force de travail même bradée!
En 66, GD était curieusement allègre : "Lhomme qui détruit les marchandises
montre sa supériorité humaine sur les marchandises. Il ne restera pas prisonnier des
formes arbitraires qua revêtues limage de son besoin. Le passage de la
consommation à la consummation sest réalisé dans les flammes de Watts.". La
destruction des marchandises vous a ensuite, sous sa plume, un petit air objectivement
-sinon consciemment- anticapitaliste.
Ce qu'il faut retenir : l'émeute est un révélateur de l'illusion "juridique"
de l'égalité, les "démocrates" y reniflent leur caca, le mythe égalitaire ne
résistant plus à la réalité inégalitaire ("l'illégalité patente"). De
même, L'Homme Moderne, ordinaire pékin ligoté à la Marchandise, craint pour sa vieille
voiture et sa collec' de vinyls, il longe les murs à la tombée du jour...
Le temps des matraques.
Éducateurs et amuseurs en
"citoyenneté" (profs, travailleurs sociaux et supplétifs
associativo-sportifs), abrutissements culturel et psychoactif organisés peinent à
garantir l'Ordre : voilà que la violence déborde des zones de relégation où les
malheureux confinés s'enquiquinaient entre eux ; sonne alors l'heure du Policier,
"serviteur actif de la marchandise", sûreté chevénementiste ou bâton de
l'ordre moral brandis. Mille fois la sainte alliance du Marchand, du Policier et du Curé
(clérical ou bien laïque) a éclaté au grand jour, d'aucun prophétisant sans coup
férir la survenue de la prise de conscience populaire : vieilles taupes et émeutiers en
ont pris plein la gueule, la Trinité est resté sur place ragaillardie, ce bon vieux
capitalisme pète la santé.
Pas de quoi se réjouir somme toute, mais, on ne sait jamais
[rendez-vous pour l'an 2000!].
(1) "cotillons
et baston", pages "L'événement", 02 et 03/01/99.
(2) V.W. Turner: Le phénomène rituel, PUF, 1990
(1969).
(3) Le déclin et la chute de l'économie
spectaculaire-marchande, IS 10, 03/66 [cf. extraits]
(4) Robert K. Merton : Social theory & social
structure.
[07/01] Sur les violences urbaines à l'occasion du réveillon, le journal Le Monde a,
pour une fois, justifié sa réputation de "journal de référence" avec un
dossier consacré au rôle des media dans ses émeutes [Colombani devait être en
congé...] |
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