|
orsque j’ai enfin
réussir à voir " Pas vu pas pris " de Pierre Carles [il y a
deux mois de ça, mais les chroniques passent après le travail alimentaire…]
j’avais déjà en tête les diverses accusations de malversations et de mauvaise foi
émises à l’encontre de l’auteur : elles sont assez vite balayées à la vision
de l’objet.
La principale, formulée par Hector Olbak,
camarade de jeu de Carles, avançait que l’extrait sur lequel le film se bâtit ne
serait qu’une conversation anodine, que l’auteur l’aurait délibérément
masqué, notamment en n’incluant pas l’entrevue avec Claude Angeli du Canard qui
meaculpe à ce sujet. Olbak me surprend défavorablement, soit c’est un âne soit il
fait la bête : à aucun moment la conversation amicale surprise entre Léotard et
Mougeotte, le politique et l’homme de media, n’est présentée comme un scoop :
sur sa fin, on y décèle bien une petite amorce de lobbying en faveur de TF1 – mais
Mougeotte qui gère une chaîne à l’époque outrageusement balladurienne a-t-il
besoin de faire pression sur l’un des plus chauds partisans du levantin ! ? Ce que
montre cette séquence c’est la connivence entre hommes de
media et politiques, pas plus mais c’est déjà beaucoup : ces gens se connaissent
(" ils sont amis de 30 ans " rappelle Villeneuve défendant son patron), ont
essuyé leurs culottes sur les mêmes bancs universitaires, se tutoient, se fréquentent
et fréquentent les mêmes gens, les mêmes lieux, se marient entre eux, ont les mêmes
références, la même culture ; ils font partie des élites, des classes dominantes,
point. C’est une évidence pour sûr, un fait social, on ne peut leur reprocher ; ce
que l’on peut leur reprocher, en revanche, c’est de chercher à tout prix à masquer
cette connivence objective, de faire comme si de rien n’était, en
construisant la fiction du détachement et de l’objectivité. Carles utilise en
appoint de sa démonstration une séquence d’un reportage d’une consoeur
montrant la familiarité d’avant entrevue entre Mme Sinclair-Strauss Kahn et Laurent
Fabius, on suppose que Mme Okrent-Kouchner ne serait pas en reste mais comment snober un
ami qui dîne à votre table ? On peut aussi se remémorer une séquence du doc " Le
Monde, la campagne présidentielle 95 " où l’on voit le fielleux félon Sarkozy
chercher sciemment à installer une connivence avec deux journalistes qui
s’en défendent, par le tutoiement, les clins d’œil complices sur
l’air du " vous et moi le savons bien ".
Carles s’arrête sur cette
question : pourquoi masquer cette connivence objective ? Il ne va pas plus loin, il
fait semblant de ne pas s’interroger sur ce qu’elle pourrait signifier en
matière de traitement de l’information mais ses interlocuteurs qui font les
imbéciles comprennent fort bien la mise en danger de leur pouvoir de tigres de papier
qu’implique cette interrogation, se débattent connement et les manitous de
l’information s’affichent comme des pantins ridicules aux capacités
argumentatives fort limitées, c’est le moins !
Ainsi, le film est-il passablement
réjouissant car il mène un petit jeu de massacre vengeur des têtes parlantes et à
peine pensantes télévisuelles qui se réfugient dans de miteuses arguties
déontologiques, des auto-proclamations de " professionnalisme ", l’appel
au " goût du public "… Si Chancel et Blachas s’en sortent avec les
honneurs, De Carolis a l’air d’une tanche, Benyamin fait le faux cul (ma femme
ne peut plus le supporter depuis, elle grogne chaque fois qu’il apparaît dans la
lucarne, comme cette fois où le jt de la 2 nous le rediffuse servant la soupe à
Pinochet, persuadé de bien faire, croyant qu’on peut interroger un dictateur en
exercice avec " neutralité " !), Villeneuve est plus traîneur de sabres
fachisant que jamais…
Karl Zéro démarre avec un capital de sympathie que je ne lui accordait pourtant pas
connaissant ses accointances dans la grande bourgeoisie conservatrice, puis, on le voit
s’enferrer progressivement dans le piège de sa chaîne, c’est lui qui explique
à Carles la différence entre le Canal + d’aujourd’hui et celui de 1984, et il
finit en Dark Vador essayant d’attirer le naïf Pierrot du côté obscur de la
Force…
Canal + apparaît pour ce qu’elle est, une chaîne qui vend de la fausse impertinence
à un public de jeunes à la coule et de csp+ (tout en programmant avec une belle
constance les pires films de beaufs, rappelons-le…). Un de ses pseudo-journalistes
mène dans le film une pseudo-enquête sur le rejet du sujet de Carles par ses patrons :
il produit –sous la dictée ou en toute bonne fois ?- un sujet de strict
auto-justification du point de vue de ses maîtres… Toutes ces vedettes jouent à
fond la carte du copain-copain-nous on n’est pas comme les autres.
Pour finir, ajoutons que Carles est fort drôle dans un
rôle de faux naïf un rien butté, voix-off hésitante et persifleuse : le film
se présente d’emblée comme discours, Pierrot va nous raconter
l’histoire d’un sujet qu’il a voulu faire et qui a été rejeté par
Canal+, il nous présente les péripéties de l’affaire, les pièces du
dossier (conversations téléphoniques, entrevues filmées, documents papier et même
petites malversations de l’auteur) : c’est du grand art parce que, à rebours de
ses contradicteurs justement, l’auteur ne prétend pas à la fausse
objectivité mais construit son discours comme éminemment personnel, ce
qu’est obligatoirement le discours journalistique mais qu’il persiste à masquer
pour se parer de ses nippes de " quatrième pouvoir ".
|
|