MaisonÉcrivez-nous !  SociétéTextesImagesMusiques

  Blah-Blah

 
   

 

 
     

La démocratie est
un sport de combat.

 
 

jérôme bonnefoi
Paris, le 10 mai 2001.

 
 

  

près son film culotté et vivifiant sur les méandres du journalisme à la télévision, on attendait avec empressement le nouvel opus de ce cinéaste-citoyen.
Le principe du film est simple : Pierre Carles a suivi l’éminent sociologue, Pierre Bourdieu, durant ses séances de travail toutes aussi riches que variées.
Comme Pierre Bourdieu, la caméra ne se défile pas, elle est là, bien présente, on la voit souvent, comme si elle voulait s’affirmer sans artifice, à visage découvert.

 Tout au long du film, deux approches se croisent et s’enrichissent à la fois. D’une part, Pierre Bourdieu apparaît comme un intellectuel incontournable, expliquant sa pensée, défendant sa sociologie, et servant grandement par son intégrité la sociologie, discipline dont le champ d’intervention ne cesse de croître, grâce notamment à l’action de ce sociologue. D’autre part, Pierre Carles abat peu à peu beaucoup de préjugés que la majorité d’entre nous ont sur les intellectuels. Par le portrait du sociologue qu’il dessine, de façon très légère et fluide, grâce notamment à l’emploi d’une caméra vidéo peu encombrante, et aussi de façon brute et saisissante, par la vérité et le naturel des humeurs, parfois limites, de Pierre Bourdieu, le cinéaste apporte une nouvelle fois sa pierre à l’édifice d’un cinéma-vérité si rarement authentique. Dans l’image populaire et caricaturale, un intellectuel est forcément ennuyeux, plutôt effacé, voire pédant, pas attiré par le sexe, et appréciant peu l’humour, en quelque sorte, il serait éloigné de l’ « humanité » du peuple. Pierre Carles a le mérite de réaliser une sorte de réhabilitation de l’intellectuel. Pierre Bourdieu, jouant très peu avec la caméra, est comme tout homme avec ses défauts, parfois agaçants, et ses refoulements (comme son irritante aversion pour son accent natal du sud-ouest), mais il a aussi le désir de partager avec toutes sortes de gens une idée du travail et des idées sur les structures de notre société qu’il s’efforce avec son équipe d’analyser.

 Le cheval de bataille de ces deux « agit prop » est de révéler à tout un chacun comment se mettent en place et s’articulent les mécanismes de notre société. Et pour espérer que nous puissions tous agir à notre mesure en utilisant le « petit espace de liberté » que nous détenons face aux déterminismes, la circulation des idées, nerf d’une saine démocratie, est indispensable. Celle-ci doit être stimulée aussi bien par le peuple, si jaloux et craintif de tout intellectualisme, que par les intellectuels. On le voit bien dans deux séquences en apparence bien distinctes : le débat avec des gens d’un quartier en difficulté, et la mise au point de Pierre Bourdieu avec l’un de ses étudiants-chercheurs au sujet de ses publications qui se font attendre.

Fustigeant entre autres le journalisme et l’intellectualisme de révérence, le sociologue s’efforce de convaincre de la nocivité des déterminismes, quel qu’en soit le milieu social, dont les hommes et les femmes subissent l’influence inconsciemment et les éloignent d’une « société du bonheur ».

 L’ambiguïté dans le combat de Pierre Bourdieu est qu’en tant que sociologue, surtout dans la haute idée qu’il s’en fait, il se doit de ne pas clairement exprimer ses opinions politiques sur l’ultra-libéralisme, afin de protéger l’indépendance et la place de la sociologie, mais tout en exposant sa pensée et ses travaux qui, par constat, sont une critique radicale des effets de ce système économique et politique sur le corps social. En effet, une société, dont le système économique de plus en plus dérégulé encourage les plus forts à écraser les plus faibles, ne peut qu’engendrer une violence tout aussi forte, en apparence que dans des espaces défavorisés, mais qui est diffuse dans l’ensemble du corps social.

 À jouer au funambule, l’homme, malgré lui, est bien souvent habillé d’une religiosité qu’il repousse, et qui tend à étouffer sa pensée : souvent vu comme prétentieux, déifié ou satanisé, Pierre Bourdieu « redevient » un homme simple et riche à la fois sous le regard de la caméra du documentariste.

 

    

 
jérôme bonnefoi   
    

  
maison   société   textes   images   musiques