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 Battisti : la nécessaire amnistie.

 
 

Bruno Deniel-Laurent.

 
 

Rédacteur en chef de la revue Cancer.

 
   

L’affaire Cesare Battisti, du nom de cet ancien activiste italien réfugié en France après avoir été condamné par contumace et récemment arrêté en vue d’une extradition, déchaîne, de droite à gauche, des initiatives contradictoires dont on peut déjà regretter l’inanité.

Passons rapidement sur les écœurantes manœuvres de la Mairie de Paris, qui n’en est malheureusement plus à une turpitude démagogique près et s’est sentie obligée de placer Battisti sous sa glorieuse « protection » (statut dont n’avaient bénéficiés jusqu’à présent que Marie Curie et Picasso !) ; passons également sur les happenings du milieu éditorial parisien – soudain indigné à l’idée que l’on puisse s’en prendre à un écrivain (j’aimerais qu’on m’explique en quoi ceci est une circonstance aggravante) – ou sur les énièmes rodomontades d’une extrême-gauche prompte à laver Battisti de ses divers forfaits. Il n’y a évidemment rien à attendre de ces pétitionnaires enragés, dont l’inconséquence mièvre désespère la gauche italienne elle-même.

En présentant Battisti comme un modèle de dissidence ou le martyr d’une justice fascisante et en ramenant l’affaire sur la question biaisée de la (non)culpabilité de Battisti, ses défenseurs ont opéré un gigantesque détournement d’attention qui masque le fond de l’affaire. Précisons que la droite, effarée par l’impudence des pro-Battisti, s’est engouffré dans la même brèche, s’appliquant à faire pleurer Margot en déroulant la liste des crimes de l’ancien activiste et multipliant au passage les fausses informations.

Répétons-le : la question de la culpabilité de Battisti et de son groupe, les Prolétaires Armés Communistes, n’a aucune espèce d’importance. Celui-ci est vraisemblablement coupable, de façon plus ou moins directe, de quatre assassinats dont les victimes furent de simples commerçants un peu rétifs ou des policiers peu gradés. Et l’on sait qu’un adolescent se racornit sur un fauteuil roulant et qu’un autre (le fils du boucher Lino Sabbadin) pleure son père abattu comme un chien... Mais, on ne le dira jamais assez, la question n’est pas là. Au-delà de l’évidente compassion pour les victimes des années de plomb (victimes des gauchistes, des activistes fascistes ou des barbouzes de l'État italien, n’importe), nous devons nous rattacher à une tradition française qui, seule, peut nous servir de boussole : l’AMNISTIE.

L’amnistie est un moment historique de tension paroxystique : c’est l’instant où l’oubli devient, non pas le signe d’une faiblesse coupable, mais un acte créateur et souverain ; c’est le moment où l’on préfère la justice imparfaite à la vengeance perpétuelle, où l’intérêt général prime sur les pulsions reptiliennes du démobilisé. Cette tradition française, échafaudée sur le refus douloureux de l’hypermnésie, jalonne notre histoire : Souvenons-nous des Jacobins régicides, incorporés dans l’armée de Louis XVIII ; souvenons-nous qu’une amnistie sut intégrer dans la communauté nationale les insurgés de la Commune de Paris ou les poseurs de bombes de l’OAS.

Il faut choisir : l’amnistie ou la vendetta. La paix douloureuse ou la guerre fractale. En recueillant, en 1985, les activistes italiens sur son sol tout en exigeant de leur part l’abandon de leurs pratiques terroristes, la France est restée fidèle à sa plus noble tradition, refusant la frénésie procédurière d’un pouvoir italien corrompu, turpide et soucieux de masquer ses propres responsabilités dans l’avènement des années de plomb. Au risque de passer pour des caricatures de paltoquets français, donneurs de leçon et universalistes à la petite semaine, nous devons donc soutenir à mille pour cent le principe de cette initiative. Il n’est pas besoin de nourrir une tendresse infinie pour les ex-clandestins italiens réfugiés en France ou de se sentir obligé d’aller écouter Jean-Bernard Pouy clamer les oeuvres du « résistant » dans des officines du XIe arrondissement pour condamner l’extradition de Battisti. En plus d’être un manquement ostentatoire à l’honneur, livrer Battisti à la justice italienne serait se rendre complice d’un gouvernement qui, ceci n’est un secret pour personne, n’a aucun intérêt à s’engager dans la voie de l’amnistie – ayant au contraire tout intérêt à instrumentaliser le fantôme des années sanglantes. Les partisans de l’extradition, à l’instar des défenseurs les plus politisés de Battisti (victime, selon eux, d’une « justice d’exception » maffieuse), encouragent donc l’Italie à retarder son nécessaire processus de réconciliation.

La date d’examen de la demande d'extradition a été fixée au 7 avril 2004*. Dans l’attente de cette décision de justice, il nous reste à espérer que nous n’aurons pas à inscrire, ce jour-là, une nouvelle page d’infamie dans l’histoire de notre pays.

 

*NDL'HM : "La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, qui examine mercredi la demande d'extradition de l'écrivain Cesare Battisti, devrait renvoyer l'audience à une date ultérieure après l'envoi récent de documents à la justice française par les autorités italiennes" (dépêche AP)

 
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