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 COSTES : Cas de rupture.

 
 

Bruno Deniel-Laurent.

 
 

Extrait de son "Bloc-Notes", in Cancer ! # 7, déc.2002-mars2003.

 
   

Un soir en France. Une trentaine de marginaux pimpants se pressent dans un squat, moi au milieu d’eux, les veines gonflées d’armature éthylique, frétillant d’aise à l’écoute d’une tuerie drum&bass made in Ant-Zen. Une sono saburrale – poussée à fond – déverse des bruissements bucoliques pendant qu’une fille-passereau roucoule sous un spot rougeoyant. Soudain, un homme-gibbon s’enroule à une colonne poisseuse pour se ficher un gode-svastika dans le fondement, les baffles commencent à saturer grave, les langues se vrillent, les trous s’humectent, ça gicle, ça s’enfourre, ça s’emboque... Camouflé par les flashs stroboscopiques, un monstrillon à deux têtes – Chirac et Jospin – martèle le sol, tel Fafner dans L’or du Rhin, puis se bombarde le poitrail et déclame enfin du Vaillant (Daniel, pas Roger !) en socratisant l’oisillon qui n’en demandait pas tant. Au premier rang, des élégantes multipercées battent en retraite, croyant recevoir des flots de merde au visage (en fait, il ne s’agit que de chocolat fondu !) tandis que des Idiots se roulent à terre, à moitié déculottés... Dieu que c’est beau ! ça s’appelle Vomito Negro : c’est un opéra porno-social de Costes. Quelques heures plus tard, nous sommes quatre – Costes, Miss Trash, Gros 1000 et moi – à dérouler nos duvets dans une chambrette exiguë. Costes est redevenu Jean-Louis. Nous passons la nuit à parler de nos passions exotiques, de la forêt guyanaise – son havre –, des Kurdes, des Berbères et des Kalmouks. Sa curiosité pour les allogènes n’a pas de limites. Il me confie son affection pour les opulentes mamas africaines de son quartier. C’est sûr : Costes est un grand amoureux. Vomito Negro, d’ailleurs, explore toute l’étendue de la gamme chromatique des mystères de l’amour. Le compositeur Jérôme Noirez ne s’y trompe pas lorsqu’il constate que Sorcière de Costes rappelle les cansos occitanes ou les longs cycles poétiques de Guillaume de Machaut, et que le dégoût du sexe exprimé dans Terminator Moule renvoie au pur amour des poètes arabo-andalous...

Été 2002 : Johann Cariou et moi sortons de chez Costes, rue du Square à Saint-Denis, le crâne saturé par les images d’Alice au pays des portables, son dernier long-métrage. Bousculés intimement par cette incongruité cinématographique, nous nous agrippons à quelques références communes : les travellings déroulant les boulevards périphériques (le film est entièrement tourné en Seine-Saint-Denis et les acteurs sont du cru) nous rappellent Philippe Grandrieux ; Alice au pays des portables est indépassable dans ses audaces tarantinesques – Alice crevant l’œil d’un grappilleur avec son talon aiguille – ou dans ses outrances burlesques quasiment zidiennes – Costes, en prof de philo malmené, écrase largement le Pierre Richard de La moutarde me monte au nez. Un an de travail, douze heures par jour mais le film ne sortira pas en salles. Fidèle à ses vieux réflexes, Costes enregistre des copies sur VHS. Le joyau reste dans la petite lucarne.

Flash-back : 22 novembre 2000, nous sommes au palais de justice de Paris. Costes est jugé pour la quatrième fois en raison des paroles de plusieurs de ses chansons qui formeraient autant d’incitations à la haine raciale. Accusé du crime ultime donc, mais soutenu depuis le début par la France Black-Blanc-Beur : Anne van der Linden, sa compagne pendant dix ans, née dans une famille juive polonaise, qui témoigne l’avoir toujours vu " particulièrement respectueux de l'identité des personnes qu'il a pu rencontrer ou côtoyer, s'érigeant même avec virulence contre toute expression d'une quelconque intolérance " ; Jacques-Elie Chabert, fils de déporté et proche de l’Union des Étudiants Juifs de France ; Rachel, fille d'immigrés sénégalais, musulmane, militante de SOS Racisme, qui déclare que Costes est un type " ouvert, tolérant ", que des tas de rappeurs de sa cité, " des jeunes de couleur ", veulent travailler avec lui ; Jean Rouzaud, co-fondateur de Radio Nova et Actuel ; Yacine Mokhnachi, organisateur de concerts ; Benjamin Barouh, directeur artistique et producteur chez Saravah ; Hélène Hazera, journaliste à Libération et France-Culture, qui parle " d’aberration et d’injustice " à propos de ces procès... Maître Thierry Lévy (déjà défenseur de Nabe et Vuillemin !) tient le même argument : " La forme même du discours, la scansion des phrases, la présentation syntaxique, l'organisation du discours aboutissent à ruiner la théorie raciste. Costes a choisi de concentrer de manière brutale la théorie pour en dénoncer l'absurdité : la saleté, les mauvaises odeurs, tout ce qui rattache depuis toujours le racisme aux excréments. Costes pousse le discours raciste à un tel excès de violence qu'il le ruine, le détruit, en anéantit le propos... " Les races puent, les négros puent du cul... Quand je prend la monnaie, je touche leur merde ! " Quel raciste conséquent pourrait tenir un tel propos ? Qui ne voit à travers ce texte que l'intention de Costes n'est nullement d'inciter à la violence mais d'attirer l'attention sur l'impossibilité de soutenir les théories racistes ". La cause est entendue et je n’ai pas envie de revenir sur le fond de l’affaire : COSTES N’EST PAS RACISTE, un point c’est tout.

Cela ne veut pas dire que Costes est innocent, bien au contraire. Sa bévue, c’est d’avoir cru qu’il était possible d’isoler les paroles de ses chansons et de les exhiber impunément sur la Toile. Que les ganachons procéduriers de la LICRA ou de la Ligue des Droits de l’Homme n’aient pas saisi la sublimité costienne dans sa plénitude, il n’y a là aucune aberration : c’est une conséquence logique, pour ne pas dire prévisible. Imaginez que l’on vous soumette les paroles, juste les paroles, de Ne me quitte pas sans que vous n’ayez jamais vu ni entendu Jacques Brel ; on peut raisonnablement penser que vous ne crierez pas au génie, que vous trouverez ça un peu mièvre, voire niaiseux. Costes n’échappe pas à cette règle. Reclure les paroles nues de ses chansons et les exposer à la vue de cuistres qui n’auraient jamais dû en avoir connaissance, c’est pire qu’un crime : c’est une faute de goût. En se scotchant sur le Réseau, Costes est allé au devant du monde alors que c’est le monde qui doit gravir le Mont Costes. Son art est un art total, plénier, insécable, multisensoriel. Lumières, sons et corps : Costes n’est jamais meilleur que lorsqu’il tangue sous les souffles rauques des fréquences sonores poussées aux frontières de l’inaudible. Le théâtre et le cinéma sont les deux espaces où il atteint l’apex de sa mission. Voilà pourquoi je n’écoute jamais Costes chez moi (sauf Dans mon HLM, un de ses meilleurs morceaux easy-listening) : j’ai besoin de voir son corps trémulant de cahots illicites, brûlant sous des zébrures multicolores et fugitives. Même entouré, on ne voit que lui, les autres semblent n’être que des figurants ; il les rend transparents (lorsque sa langue s’enfonce dans l’anus de Marie-Anne, on continue de la voir se darder). C’est du public qu’émerge parfois un autre corps. Un corps – anonyme, imprévisible dans ses mouvements (ami ? ennemi ?) –, un corps sorti de nulle part puisque seule la scène existait avant l’intrusion de l’embusqué. C’est en ce sens que l’on peut parler d’art terroriste : le show costien est une invitation à se mettre en danger mais les rôles sont distribués : c’est le spectateur et lui seul qui a la possibilité d’entrer en scène et de faire vriller l’évènement. La mécanique de Costes est réglée, il ne s’en éloigne pas. Le spectateur est libre de pénétrer la béance et de prendre l’initiative de convoquer le risque hic et nunc.

Cela nous ramène au procès. J’écrivais un peu plus haut que Costes était responsable de la situation dans laquelle il se trouvait. Il n’est pas question pour autant de déserter son camp. Il faut choisir : le Naïf ou les Salauds. Costes mérite de gagner ses procès tout simplement parce qu’au delà de sa précarité convulsive, il est le plus près de la vérité en poussant les autres à la faute pour les mettre à nu. Imaginez : Costes est à la barre, nuageux, tremblotant, vêtu d’un chandail à la Léautaud. Les avocats – joufflus, vitreux, obscènes comme le gland violacé d’un charcutier dépressif – s’échangent des bons mots. Silence. Le juge rappelle à l’ordre puis déclame les paroles de Tapette à bicots, qu’un imperceptible écho d’un dixième de seconde gonfle subtilement : " On devrait coincer blanchette tapette à bicots / le coincer dans un coin à plusieurs et l'empaler sur un saucisson ce pédé à bicots ". Sans transition, le juge tente de récupérer sa contenance : " Monsieur Costes, ces propos peuvent être considérées comme une provocation non suivie d'effet à des atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne. Vous risquez donc en conséquence d’être condamné à... etc ". Le soir même de l’audience, Costes se rend chez ED l’épicier, en ramène toutes les formes possibles de saucisson – saucisson de Strasbourg, saucisson sec, saucisson à l’ail – et s’empale sur les victuailles pendant qu’un expert de ses amis (le docteur Gougui) scrute les moindres détails de l’expérience avant de livrer un rapport circonstancié. Celui-ci indique que " les sodomies à la saucisse de Strasbourg et au saucisson sec sont bien acceptées par l'anus de Jean-Louis Costes et ne constituent donc pas une atteinte à la vie et à l'intégrité de la personne ", mais que la sodomie au saucisson à l'ail, " dont le diamètre dépasse celui de l'anus " provoquerait visiblement l'éclatement du rectum et la mort du sujet. Le rapport est donc sans appel : L'extrait incriminé est bien une " provocation non suivie d'effet à des atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne ", mais uniquement dans le cas où le saucisson est à l'ail ! Le rapport sera présenté le lendemain au juge, obligé de se pencher sur cette étude de cas : le saucisson à l’ail est-il une arme par destination ? On ne me croira peut-être pas, mais cette " technique de défense " – qui est aussi un modèle inaltérable de performance artistique – a fonctionné : Costes est acquitté pour cette charge. Ceci a un nom : ça s’appelle le procès de rupture. Vergès n’a jamais fait mieux. Moussaoui, le FLN algérien ou Action Directe peuvent dès lors aller se rhabiller : ils ont trouvé leur maître.

Costes sera jugé une cinquième fois dans les semaines qui viennent. J’espère du fond du cœur que cette modeste présentation incitera quelques lecteurs de Cancer ! à le soutenir d’une façon ou d’une autre. Quoi qu’il en soit, nous indiquerons sur notre site les développements de cette désopilante affaire.

 
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