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n soir en France. Une trentaine de marginaux
pimpants se pressent dans un squat, moi au milieu d’eux, les veines
gonflées d’armature éthylique, frétillant d’aise
à l’écoute d’une tuerie drum&bass made in Ant-Zen.
Une sono saburrale – poussée à fond – déverse
des bruissements bucoliques pendant qu’une fille-passereau roucoule
sous un spot rougeoyant. Soudain, un homme-gibbon s’enroule à
une colonne poisseuse pour se ficher un gode-svastika dans le fondement,
les baffles commencent à saturer grave, les langues se vrillent,
les trous s’humectent, ça gicle, ça s’enfourre, ça
s’emboque... Camouflé par les flashs stroboscopiques, un monstrillon
à deux têtes – Chirac et Jospin –
martèle le sol, tel Fafner dans L’or du Rhin,
puis se bombarde le poitrail et déclame enfin du Vaillant
(Daniel, pas Roger !) en socratisant l’oisillon qui n’en demandait
pas tant. Au premier rang, des élégantes multipercées
battent en retraite, croyant recevoir des flots de merde au visage
(en fait, il ne s’agit que de chocolat fondu !) tandis que des
Idiots se roulent à terre, à moitié déculottés...
Dieu que c’est beau ! ça s’appelle Vomito Negro :
c’est un opéra porno-social de Costes. Quelques heures
plus tard, nous sommes quatre – Costes, Miss Trash, Gros
1000 et moi – à dérouler nos duvets dans une
chambrette exiguë. Costes est redevenu Jean-Louis. Nous passons
la nuit à parler de nos passions exotiques, de la forêt
guyanaise – son havre –, des Kurdes, des Berbères
et des Kalmouks. Sa curiosité pour les allogènes n’a
pas de limites. Il me confie son affection pour les opulentes mamas
africaines de son quartier. C’est sûr : Costes est un grand
amoureux. Vomito Negro, d’ailleurs, explore toute l’étendue
de la gamme chromatique des mystères de l’amour. Le compositeur
Jérôme Noirez ne s’y trompe pas lorsqu’il constate
que Sorcière de Costes rappelle les cansos occitanes
ou les longs cycles poétiques de Guillaume de Machaut,
et que le dégoût du sexe exprimé dans Terminator
Moule renvoie au pur amour des poètes arabo-andalous...
Été 2002 : Johann Cariou et moi sortons
de chez Costes, rue du Square à Saint-Denis, le crâne
saturé par les images d’Alice au pays des portables,
son dernier long-métrage. Bousculés intimement par cette
incongruité cinématographique, nous nous agrippons à
quelques références communes : les travellings
déroulant les boulevards périphériques (le film
est entièrement tourné en Seine-Saint-Denis et les acteurs
sont du cru) nous rappellent Philippe Grandrieux ; Alice
au pays des portables est indépassable dans ses audaces
tarantinesques – Alice crevant l’œil d’un grappilleur
avec son talon aiguille – ou dans ses outrances burlesques quasiment
zidiennes – Costes, en prof de philo malmené, écrase
largement le Pierre Richard de La moutarde me monte au nez.
Un an de travail, douze heures par jour mais le film ne sortira pas
en salles. Fidèle à ses vieux réflexes, Costes
enregistre des copies sur VHS. Le joyau reste dans la petite lucarne.
Flash-back : 22 novembre 2000, nous sommes au palais de justice
de Paris. Costes est jugé pour la quatrième fois en
raison des paroles de plusieurs de ses chansons qui formeraient autant
d’incitations à la haine raciale. Accusé du crime ultime
donc, mais soutenu depuis le début par la France Black-Blanc-Beur :
Anne van der Linden, sa compagne pendant dix ans, née
dans une famille juive polonaise, qui témoigne l’avoir toujours
vu " particulièrement respectueux de l'identité
des personnes qu'il a pu rencontrer ou côtoyer, s'érigeant
même avec virulence contre toute expression d'une quelconque
intolérance " ; Jacques-Elie Chabert,
fils de déporté et proche de l’Union des Étudiants
Juifs de France ; Rachel, fille d'immigrés sénégalais,
musulmane, militante de SOS Racisme, qui déclare que Costes
est un type " ouvert, tolérant ",
que des tas de rappeurs de sa cité, " des jeunes
de couleur ", veulent travailler avec lui ; Jean
Rouzaud, co-fondateur de Radio Nova et Actuel ;
Yacine Mokhnachi, organisateur de concerts ;
Benjamin Barouh, directeur artistique et producteur
chez Saravah ; Hélène Hazera, journaliste
à Libération et France-Culture, qui parle " d’aberration
et d’injustice " à propos de ces procès...
Maître Thierry Lévy (déjà défenseur
de Nabe et Vuillemin !) tient le même argument :
" La forme même du discours, la scansion des phrases,
la présentation syntaxique, l'organisation du discours aboutissent
à ruiner la théorie raciste. Costes a choisi de concentrer
de manière brutale la théorie pour en dénoncer
l'absurdité : la saleté, les mauvaises odeurs,
tout ce qui rattache depuis toujours le racisme aux excréments.
Costes pousse le discours raciste à un tel excès de
violence qu'il le ruine, le détruit, en anéantit le
propos... " Les races puent, les négros puent
du cul... Quand je prend la monnaie, je touche leur merde ! "
Quel raciste conséquent pourrait tenir un tel propos ?
Qui ne voit à travers ce texte que l'intention de Costes n'est
nullement d'inciter à la violence mais d'attirer l'attention
sur l'impossibilité de soutenir les théories racistes ".
La cause est entendue et je n’ai pas envie de revenir sur le fond
de l’affaire : COSTES N’EST PAS RACISTE, un point c’est tout.
Cela ne veut pas dire que Costes est innocent, bien au contraire.
Sa bévue, c’est d’avoir cru qu’il était possible d’isoler
les paroles de ses chansons et de les exhiber impunément
sur la Toile. Que les ganachons procéduriers de la LICRA ou
de la Ligue des Droits de l’Homme n’aient pas saisi la sublimité
costienne dans sa plénitude, il n’y a là aucune aberration :
c’est une conséquence logique, pour ne pas dire prévisible.
Imaginez que l’on vous soumette les paroles, juste les paroles, de
Ne me quitte pas sans que vous n’ayez jamais vu ni entendu
Jacques Brel ; on peut raisonnablement penser que vous
ne crierez pas au génie, que vous trouverez ça un peu
mièvre, voire niaiseux. Costes n’échappe pas à
cette règle. Reclure les paroles nues de ses chansons et les
exposer à la vue de cuistres qui n’auraient jamais dû
en avoir connaissance, c’est pire qu’un crime : c’est une faute
de goût. En se scotchant sur le Réseau, Costes est allé
au devant du monde alors que c’est le monde qui doit gravir le Mont
Costes. Son art est un art total, plénier, insécable,
multisensoriel. Lumières, sons et corps : Costes n’est
jamais meilleur que lorsqu’il tangue sous les souffles rauques des
fréquences sonores poussées aux frontières de
l’inaudible. Le théâtre et le cinéma sont les
deux espaces où il atteint l’apex de sa mission. Voilà
pourquoi je n’écoute jamais Costes chez moi (sauf Dans mon
HLM, un de ses meilleurs morceaux easy-listening) : j’ai
besoin de voir son corps trémulant de cahots illicites, brûlant
sous des zébrures multicolores et fugitives. Même entouré,
on ne voit que lui, les autres semblent n’être que des figurants ;
il les rend transparents (lorsque sa langue s’enfonce dans l’anus
de Marie-Anne, on continue de la voir se darder). C’est du public
qu’émerge parfois un autre corps. Un corps – anonyme,
imprévisible dans ses mouvements (ami ? ennemi ?) –,
un corps sorti de nulle part puisque seule la scène
existait avant l’intrusion de l’embusqué. C’est en ce sens
que l’on peut parler d’art terroriste : le show costien est une
invitation à se mettre en danger mais les rôles sont
distribués : c’est le spectateur et lui seul qui a la
possibilité d’entrer en scène et de faire vriller l’évènement.
La mécanique de Costes est réglée, il ne s’en
éloigne pas. Le spectateur est libre de pénétrer
la béance et de prendre l’initiative de convoquer le risque
hic et nunc.
Cela nous ramène au procès. J’écrivais un peu
plus haut que Costes était responsable de la situation dans
laquelle il se trouvait. Il n’est pas question pour autant de déserter
son camp. Il faut choisir : le Naïf ou les Salauds. Costes
mérite de gagner ses procès tout simplement parce qu’au
delà de sa précarité convulsive, il est le plus
près de la vérité en poussant les autres à
la faute pour les mettre à nu. Imaginez : Costes est à
la barre, nuageux, tremblotant, vêtu d’un chandail à
la Léautaud. Les avocats – joufflus, vitreux, obscènes
comme le gland violacé d’un charcutier dépressif –
s’échangent des bons mots. Silence. Le juge rappelle à
l’ordre puis déclame les paroles de Tapette à bicots,
qu’un imperceptible écho d’un dixième de seconde
gonfle subtilement : " On devrait coincer blanchette
tapette à bicots / le coincer dans un coin à plusieurs
et l'empaler sur un saucisson ce pédé à bicots ".
Sans transition, le juge tente de récupérer sa contenance :
" Monsieur Costes, ces propos peuvent être considérées
comme une provocation non suivie d'effet à des atteintes à
la vie et à l'intégrité de la personne. Vous
risquez donc en conséquence d’être condamné à...
etc ". Le soir même de l’audience, Costes se rend
chez ED l’épicier, en ramène toutes les formes possibles
de saucisson – saucisson de Strasbourg, saucisson sec, saucisson
à l’ail – et s’empale sur les victuailles pendant qu’un
expert de ses amis (le docteur Gougui) scrute les moindres
détails de l’expérience avant de livrer un rapport circonstancié.
Celui-ci indique que " les sodomies à la saucisse
de Strasbourg et au saucisson sec sont bien acceptées par l'anus
de Jean-Louis Costes et ne constituent donc pas une atteinte à
la vie et à l'intégrité de la personne ",
mais que la sodomie au saucisson à l'ail, " dont
le diamètre dépasse celui de l'anus "
provoquerait visiblement l'éclatement du rectum et la mort
du sujet. Le rapport est donc sans appel : L'extrait incriminé
est bien une " provocation non suivie d'effet à
des atteintes à la vie et à l'intégrité
de la personne ", mais uniquement dans le cas où
le saucisson est à l'ail ! Le rapport sera présenté
le lendemain au juge, obligé de se pencher sur cette étude
de cas : le saucisson à l’ail est-il une arme par destination ?
On ne me croira peut-être pas, mais cette " technique
de défense " – qui est aussi un modèle
inaltérable de performance artistique – a fonctionné :
Costes est acquitté pour cette charge. Ceci a un nom :
ça s’appelle le procès de rupture. Vergès
n’a jamais fait mieux. Moussaoui, le FLN algérien ou
Action Directe peuvent dès lors aller se rhabiller : ils
ont trouvé leur maître.
Costes sera jugé une cinquième fois dans les semaines
qui viennent. J’espère du fond du cœur que cette modeste présentation
incitera quelques lecteurs de Cancer ! à le soutenir
d’une façon ou d’une autre. Quoi qu’il en soit, nous indiquerons
sur notre
site les développements de cette désopilante
affaire.
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