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L’intergroupe des purulences
Chevènement, Maurras & Cie

 

 

Bruno Deniel-Laurent.
Rédacteur en chef de

19/12/01
      

 

 

1999, souvenons-nous : « Droite, gauche ! Droite, gauche ! En avant ! », Pasqua rêvait du grand Pôle, il se voyait déjà le rassembleur des mythes français, le cavalier des quatre canassons de la moisissure patriotique — L’Unité nationale ! L’Homme providentiel ! la Nation en danger ! L’Ennemi intérieur ! Mais casserolé sur sa droite, flanqué d’une cohorte d’ex-gudards et de barbouzes méridionales, le gros porc à l’accent chantant n’a pas convaincu les pleutres, et personne ou presque n’a répondu à son coup de trompe. L ‘échec de la manœuvre n’a rien de surprenant : les réacs de gauche, déjà conspués par les appareils, auraient été bien bêtes de se carboniser, et les réacs de droite en quête de respectabilité se sont dit qu’il suffisait d’attendre un peu, que l’Appel viendrait bientôt d’horizons moins chargés... 2001 : « Ce n’est pas la droite, ce n’est pas la gauche, c’est la République qui entre en campagne ! Chevènement président ! ». La farce présidentielle exige son troisième homme — concept à la mode —, elle l’a trouvé, ce sera le « Che ». Communistes « critiques » et royalistes-républicains, médiologues et mariannistes, Cercle Saint-Just et NAR, les rancissures se reconnaissent, s’assemblent, et confortées par les sondages, elles se surprennent soudain à rêver. Pire que Chevènement, ce sont les chevènementistes, et les nouveaux venus sont encore les plus insupportables : Bigeard et son béret de parachutiste, Dutourd et ses saillies de fin de banquet, les époux Aubrac, François Taillandier, Poujade ! oui, Poujade lui-même, le parrain politique de Le Pen ! Ajoutons à cette improbable cohorte quelques archéo-gaullistes, deux ou trois bolcheviques égarés et on a là une des plus belles hardes de vieux cons que la France ait porté depuis des lustres. Sans doute même peut-on donner raison à Bernard-Henri Lévy — une fois n’est pas coutume — lorsqu’il discerne dans cette engeance « pêle-mêle, la crispation nationaliste, les nostalgies identitaires les plus bizarres, la haine de l’Allemagne, celle de l’Amérique intérieure, la méfiance très scrogneugneu à l’endroit du libéralisme et de la culture démocratique, une certaine fascination pour l’ordre ; bref, un vrai concentré de maurrassisme ». Les maurrassiens, justement... Ils sont soudain des dizaines à rejoindre le Boulanger de Belfort, prêts à toutes les circonvolutions pour camoufler leur ignominie passée, jubilant de se retrouver enfin du bon coté du manche. Le fennec Renouvin (Nouvelle action royaliste), passé depuis longtemps de l’extrême-droite au centre-gauche, doit se poiler en voyant arriver dans le morutier chevènementiste quelques nouveaux transfuges de l’Action française — décontaminés par leur passage au RPF ou à Immédiatement — et notamment le gracile Sébastien Lapaque qui l’avait pourtant copieusement rondiné dans le numéro 13 de la revue maurrassienne Réaction : « La rééducation politique de Bertrand Renouvin s’est faite en deux temps. Par chacune de ses prises de position, il a d’abord dû faire savoir qu’il n’y avait plus la moindre virgule dans ce qu’il écrivait qui fût inspirée par Maurras. Pour gagner auprès des puissants ne serait-ce qu’un strapontin, il faut savoir rompre avec les maîtres infâmes. (...) Régulièrement, un intello-flic vient d’ailleurs lui rappeler ses origines politiques abjectes. Souvenons-nous d’Alain-Gérard Slama, faisant récemment encore de Bertrand Renouvin le continuateur d’Edouard Drumont, de Maurice Barrès et de Charles Maurras (...). Après vingt d’ans d’efforts, dix manifestations antiracistes, cinq fêtes des Potes, et vingt reniements, il est dur, très dur de se faire envoyer cela à la figure (...). Il s’est donc prêté sans plus de résistance à la deuxième phase de sa rééducation. Ne plus se réclamer de maîtres interdits, ne plus prétendre contester quoi que ce soit (...). Alors, il s’est soumis ; extérieurement, mais surtout intérieurement ». Il serait plaisant de savoir à quel niveau de « rééducation politique » s’est plié le redresseur de torts Sébastien Lapaque pour se faire accepter par ses nouveaux amis. On se doute qu’il doit hésiter à se réclamer de Charles Maurras le « maître interdit », maintenant qu’il déguste ses petits fours en compagnie de la gauche de la gauche ; quant à savoir s’il est désormais « soumis intérieurement ». Gageons en tous cas qu’il doit lui être « dur, très dur » de se reconnaître aujourd’hui dans le portrait du renégat qu’il savait si bien dessiner à l’époque…

Un dessin -honteusement piraté- de Willem

 En attendant, comme on le voit, ça brasse bougrement chez Chevènement. On caresse les communistes dans le sens du bouc, en flattant vicieusement leur « patriotisme » (1) ; les socialistes « qui n’ont pas oublié la magistrale synthèse jauressienne » sont appelés à la rescousse, et histoire d’entrer de plain-pied dans le Troisième millénaire, « ceux qui se reconnaissent dans la tradition républicaine du radicalisme » sont aussi invités à la grande partouze souverainiste. Que les blanquistes et les bonapartistes se rassurent, le « Che » saura bien leur lancer un vibrant appel à eux aussi…

 Le « Che » veut donc mettre à sac « les Bastilles du mensonge et du conformisme ». Fort bien. Le problème est qu’il les remplace par les forteresses de l’erreur et de l’archaïsme. Et il est plus grave en politique de se tromper que de mentir. Car il est une réalité, douloureuse peut-être, mais insécable : La France est morte, elle est déjà une charogne putréfiée, et le fantasme pathétique des souverainistes est d’asperger un peu d’onguent sur son cadavre. La nostalgie permet d’écrire de poignants poèmes ; c’est beau et enchanteur, la nostalgie, mais l’appliquer à la politique, vouloir en faire un mythe mobilisateur, surtout dans l’actuelle stase de l’interrègne, c’est délectablement criminel. Devant la domination globale de la marchandise, face à la construction de forces supra-étatiques souveraines, confrontées à la recomposition de l’espace géopolitique, les États-nations d’Europe n’ont plus d’autre choix que de fonder face à ces super-puissances un bloc uni, synergique, continental et — tranchons le mot — souverain. Les nationaux-républicains sont des réactifs — et je reste poli ; toute leur argumentation, et c’est pourquoi elle est séduisante et déconcertante, repose sur l’exhibition de faits indubitables et présentés comme des catastrophes évitables — le déclin de la paysannerie, de l’artisanat, de la francophonie, de cette putain « d’exception culturelle » — et sur la critique conjointe de l’actuel processus d’unification européenne, évidemment responsable des maux sus-décrits. Sur certaines questions — l’idée de souveraineté où la critique de l’alibi humanitaire —, il est évident que la réflexion « républicaine » de Gallo, Coûteaux ou Debray est pertinente. Mais comment prendre au sérieux une pensée qui base son argumentaire sur une priorité — la souveraineté — tout en basant celle-ci sur le maintien d’entités incapables de l’exercer ? Soyons clairs : si la forme que prend actuellement l’institution européenne — disons pour simplifier « libérale-libertaire-fédéraliste» — doit être critiquée sans faiblesse, il n’empêche que le fond doit pour l’instant primer sur la forme. Peut-être est-il trop tard pour rediriger le processus d’unification, mais ce n’est certainement pas en opposant aux erreurs des fédéralistes les vieilles lunes jacobines, en ralliant le ban et l’arrière-ban des blettissures nationalistes, que le défi faustien qui se présente aux Européens pourra être relevé. Comme l’écrit cruellement Dantec, « pour jouer un rôle dans ce concert mondial, encore fallut-il avoir le courage de se constituer en tant que nation. Autant dire couper les liens avec Maman-Patrie et Papa-État, sans compter les Frangins-Nihilismes de chambrée, revenus tout juste de leur service militaire, et les Sœurs-Chiennes-de-Garde, épiant sans cesse le moindre de vos gestes ou de vos mots (…). Aussi pour que l’Europe se constitue en tant que nation, il aurait fallu oser dissoudre les États-nations qui la constituent, et la divisent. Il aurait fallu oublier quelque peu la confortable matrice post-révolutionnaire, revenir à une conception impériale de la souveraineté (…). Ce que les prétendus « fédéralistes » franco-allemands nous concoctent, avec leur pitoyable « Fédération d’États-nations », ce n’est ni plus ni moins qu’une situation baroque et ingérable (…). Des Régions. Des Districts. Des Superdistricts. Des Communautés. Des Machins comme disait de Gaulle. Bref l’enfer bureaucratique modèle Nations Unies. Et au passage un des meilleurs arguments en faveur des nationaux-souverainistes de toutes obédiences. »

 Pour l’instant, la farce bat son plein. Maurrassiens-progressistes contre libéraux-nihilistes ; Chevènement le Megret light d’un coté, Chirac le clown farceur et Jospin l’atrabilaire de l’autre ; l’americanophobie brodée de ressentiment contre l’americanophilie cousue de lâcheté. C’est l’éternelle joute feutrée des enthousiasmes béats. Jospin soulage discrètement Le Pen — ce sera peut-être lui le Troisième con. Laguillier houspille Hue le stalinien sympa. JF. Kahn vitupère. Bayrou rame. Dutourd amuse la galerie. Lapaque rote en buvant son Chinon, histoire de faire peuple. La France est morte. On entend la sonnerie aux morts. Lang rit. Gallo pleure. Retenons notre souffle.


1. Le « Che » n’a pas hésité dans l’un de ses meetings à déclarer que « Le mouvement ouvrier rencontra la nation à travers les communistes dans la Résistance et pour la Libération ». Singulier raccourci historique : faut-il rappeler que le Parti communiste français prenait à cette époque ses consignes à Moscou, et qu’il ne se battait pas « pour la France » mais plus précisément « contre un ennemi de l’Union soviétique » ?

 

     
    

  
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