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L’ORDRE DE LA DISSECTION.
Johann Cariou.
Texte
extrait du livre Cancer : « TÊTES DE TURCS ! »,
Éditions L’Âge d’Homme, mars 2002.
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suis une devinette.
J’ai lu Will Self pour me tenir à l’instant. Ni devin, ni divin,
j’ai lu Dustan pour me tenir au courant. Every (Adidas)
has a story, moi aussi j’ai mon histoire, parfois j’échoue
à Ibiza, has-been du buzz, je mixe et je move dans mes Pumas.
Je n’ai pas l’art de précéder, j’accompagne le mouvement,
tendance mutant à retardement.
J ’aime mon magazine, il me rend in. À Beaubourg
en Docker je soigne mon mental, je respire Art & Culture et je
crache du carbone, des goûts et dégoûts, estampillés
Jack Lang, parfumé Helmut Lang. J’énumère les
termes et je suis beau, en costard Ralph Lauren.
Ainsi je vais, héroïque et démocrate, derrière
les fenêtres fermées des fêtes feutrées,
All together but all different (Kana beach), siroter des cocktails
allongés, scruter des femelles allégées, absorber
des ectasys d’origine contrôlée avant d’aller danser.
Je suis le roturier qui se rêve aristocrate, je suis la bohème,
je suis l’artiste, je suis l’anarchie, je suis la révolution
et le XVIème arrondissement. Je fréquente. Teufeur à
l’étouffée, je m’incline à chaque invitation,
à chaque installation, SVP VIP, jet-set version cégète,
label rebelle, Je suis une fête. Je pratique le people impunément,
grâce à ma garantie situationniste... Déchiré
défoncé, le temps des nuits je déserte les beaux
quartiers et vogue vers les secteurs chics et chocs, et je m’abîme
aux sons des downtempo, C’est le monde du travail (Cat.), cool
et fun, je danse et je danse, One life, live it (Camel), culture-clash
et playlist, vers l’aurore je m’imagine psycho-killer ou caillera,
au choix, dépeçage ou barricade. Et ma blonde en backstage
solde sa déprime à l’enculé dérisoire
de FG, liquidations digitales, voire fécales. Alors je deviens
une langueur de l’aube, je me surprends, entre deux sodomies, j’évoque
le mal du siècle, l’ennui mortifère de l’oppression
spectaculaire et ses cortèges désagrégés,
ethnocides, banlieues, apathie contemporaine, régimes minceur,
répression policière, misère sexuelle... Save
yourself / Inhale Oxygen (Diesel). Et dès potron-minet
je pars, esseulé débandé, tiède encore,
absorbé par la brume, abruti par les vapeurs, humilié
par la splendide négresse, j’espère un taxi, et je sens
la sueur.
Je suis le Bakounine des bimbos, la diva du dancing, le Bové
des branchés.
Face au vide je n’interroge pas le néant, je trompe l’ennui
avec purewhite Hennessy. Je cause courbes, tests et guests,
j’ai la névrose fashion. Syndrome arty au pays des oxydes,
plus efficace que l’absinthe, le gazeux est au cœur de la tendance
(n°55), j’émets mes sentences séditieuses au service
du bas monde. J’ai le standing Ikéa, la radio Nova, j’absorbe,
les sécessions et les interférences, Debord ultra-light
et underground officiel. Surf in the city, je glisse sur les symptômes
et chope la hype quand elle passe, puis en mes pages j’en présente
les prototypes standardisés, version clubbing, zapping, pudding.
Je suis l’organigramme de l’époque. Je suis une marchandise
sociologique, j’expose les produits et leur critique. Je situe les
saveurs de la vie, à la hausse, à la baisse, baromètre
des autopsies, j’examine, j’analyse, car donner n’est pas tout
(Nike), moi-même objet car cadavre, je suis mort et ma
vivisection assure ma conservation. Je suis la société
de conversation, l’ordre de la dissection.
Je suis, je suis, je suis...???
JE SUIS TECHNIKART.
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