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  Blah-Blah

 
       
     

 À Ignacio Ramonet
 et à son nouvel ordre cybéral.

 
 

Daniel Vivas.
Daniel Vivas fut informaticien.
Janvier 2004.

 
 

    

S’il est un domaine où l’ordre social dominant colle fidèlement aux tables de loi du capitalisme triomphant — appropriation et marchandisation quasi-immédiate par les classes dominantes, industrialisation de toute activité humaine, recherche permanente de profit, exploitation systématique, règne du besoin superflu, sélection et exclusion par le pouvoir de l’argent, matraquage publicitaire où chaque classe sociale constitue une cible de marché, etc. — celui de l’Internet (précisons ici que sont inclus dans cette technologie ses infrastructures, ses différentes formes d’accès et son contenu) représente actuellement le moyen le plus sûr et le plus efficace d’assurer à cet ordre social une existence et une préservation. Revigoré chaque jour un peu plus par les clameurs et l’admiration béates de vos amis citoyennistes, Internet, selon votre édito du mois de janvier 2004, « a chamboulé des pans entiers de la vie politique, économique, sociale, culturelle, associative… Au point qu’on peut désormais parler, à propos de l’état de la communication dans le monde, d’un « nouvel ordre Internet » ».
Là où il faudrait y voir la continuité, voulue par les nantis, d’un processus de déshumanisation leur garantissant un retour sur investissement tant mérité, vous affirmez bien au contraire, que « Rien n’est plus comme avant. L’accélération et la fiabilité des réseaux ont changé la manière de communiquer, d’étudier, d’acheter, de s’informer, de se distraire, de s’organiser, de se cultiver et de travailler d’une importante partie des habitants de la planète ». Quelle est donc selon vous M. Ramonet, la partie importante des habitants de la planète qui persiste à consommer tous les ersatz fabriqués par l’industrie de la consolation et disponibles sur le Web ? Les chômeurs qui peuvent désormais « mettre à jour » en ligne leur exclusion ? Les cadres boursicoteurs qui ont sacré Boursorama et consorts ? Les politiciens innovants et modernes qui pratiquent le « Chat » avec leurs cyber-citoyens à la recherche d’un consensus déjà tout trouvé et qui se bercent d’illusions en s’auto-persuadant que la cadavérique « cyber-démocratie » a décidément de beaux jours devant elle ? Ou peut-être (sûrement ?) vous, M. Ramonet, qui pourrez désormais proposer à vos lecteurs alter-mondialistes, portés par l’ivresse de la « cyber-résistance », un nouvel abonnement « on line », avec « paiement sécurisé » grâce à la solution « e-business » d’IBM, transnationale pour laquelle, récemment, certaines pages de votre journal se sont transformées en panneau publicitaire ?
(1)

« Rien n’est plus comme avant » car « tout continuait, quoique rien ne fût plus comme avant; c’était encore plus comme avant, car il y avait en moins l’illusion d’un après » (2)  Voilà ce que l’on pourrait rétorquer au flot incontinent de vos fadaises progressistes. Mais vous prophétisez sous la caution des statistiques tristement célèbres du PNUD, sur la sempiternelle fracture numérique : « Deux chiffres résument l’injustice : 19 % des habitants de la terre représentent 91 % des utilisateurs d’Internet (…) Si rien n’est fait, » proclamez-vous, « l’explosion des nouvelles technologies cybernétiques décrochera définitivement les habitants des pays les moins avancés, et en particulier ceux d’Afrique Noire (à peine 1 % des utilisateurs d’Internet, dont très peu de femmes) ».
Puis, s’agissant de l'hypothétique création d’un « fonds de solidarité numérique », vous démontrez que la conscience universelle et l’inventivité institutionnelle sont à la tâche  : « Ce problème ne peut laisser indifférent tous ceux qui veulent construire un monde moins inégal. Il a été au centre du sommet de Genève (3) (…) Le président du Sénégal, M. Abdoulaye Wade qui défend depuis longtemps le principe de ce fonds, a proposé de contourner les États et a lancé l’idée d’une contribution volontaire de 1 euro sur l’achat de tout ordinateur dans le monde ».
Mais de quel problème s’agit-il M. Ramonet ? De celui de ne pas voir pour l’instant les habitants du continent africain qui crèvent de faim et croupissent dans la misère se transformer en cyber-consommateurs potentiels et ne plus être ainsi les cibles de guérillas mais bien celles du marketing occidental ? De celui de renforcer la puissance de l’argent des groupes de télécommunications et de l’industrie informatique, récentes victimes il est vrai du cataclysme boursier de la Net-Economie et qui doivent se refaire une santé (Ah la croissance !) ? De quel monde parlez-vous ? De celui de la société industrielle, qui avec ces usines en kits délocalisables, produit, surproduit, exploite, fait souffrir, dégrade, pollue, tue, assassine et se débarrasse de tout ce qui devient trop exigeant ou trop revendicatif ? Parce qu’il faudra bien fournir la demande « néo-techno-sudiste », venant de ces marchés émergents, n’est-ce pas ?

En attendant que proposez-vous ? À l’instar de votre Taxe Tobin, du vent, rien que du vent : « Ne faudrait-il pas lancer, tout de suite, un formidable plan Marshall technologique ? ». Proférant de telles conneries, vous voilà définitivement « transform(é) en animal humain comme on est en réalité au regard de l’économie toute puissante. Il y en a donc pour déclarer aimer cela, pour s’exalter d’être au nombre des animaux domestiques de ce maître-là. » (4)

 

NOTES :

(1) Lire à ce sujet l’introduction pathétique que fait le Monde diplomatique dans ce même numéro de janvier 2004 au courrier d’un lecteur donnant son avis sur les pratiques publicitaires du journal.

(2) Remarques sur la paralysie de décembre 1995, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1996.

(3) L’article mentionne au tout début qu’il s’agissait du premier sommet mondial sur la société de l’information organisé à la demande de l’ONU

(4) Baudoin de Bodinat, La vie sur Terre - Réflexions sur le peu d’avenir que contient le temps où nous sommes - Tome I, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1996.

 
   
    

  
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