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est un domaine où l’ordre social dominant colle fidèlement
aux tables de loi du capitalisme triomphant — appropriation
et marchandisation quasi-immédiate par les classes dominantes,
industrialisation de toute activité humaine, recherche permanente
de profit, exploitation systématique, règne du besoin
superflu, sélection et exclusion par le pouvoir de l’argent,
matraquage publicitaire où chaque classe sociale constitue
une cible de marché, etc. — celui de l’Internet
(précisons ici que sont inclus dans cette technologie ses infrastructures,
ses différentes formes d’accès et son contenu) représente
actuellement le moyen le plus sûr et le plus efficace d’assurer
à cet ordre social une existence et une préservation.
Revigoré chaque jour un peu plus par les clameurs et l’admiration
béates de vos amis citoyennistes, Internet, selon votre édito
du mois de janvier 2004, « a chamboulé des pans entiers
de la vie politique, économique, sociale, culturelle, associative…
Au point qu’on peut désormais parler, à propos de l’état
de la communication dans le monde, d’un « nouvel ordre Internet » ».
Là où il faudrait y voir la continuité, voulue
par les nantis, d’un processus de déshumanisation leur garantissant
un retour sur investissement tant mérité, vous affirmez
bien au contraire, que « Rien n’est plus comme avant. L’accélération
et la fiabilité des réseaux ont changé la manière
de communiquer, d’étudier, d’acheter, de s’informer, de se
distraire, de s’organiser, de se cultiver et de travailler d’une importante
partie des habitants de la planète ». Quelle est donc
selon vous M. Ramonet, la partie importante des habitants de
la planète qui persiste à consommer tous les ersatz
fabriqués par l’industrie de la consolation et disponibles
sur le Web ? Les chômeurs qui peuvent désormais
« mettre à jour » en ligne leur exclusion ?
Les cadres boursicoteurs qui ont sacré Boursorama et consorts ?
Les politiciens innovants et modernes qui pratiquent le « Chat »
avec leurs cyber-citoyens à la recherche d’un consensus déjà
tout trouvé et qui se bercent d’illusions en s’auto-persuadant
que la cadavérique « cyber-démocratie » a
décidément de beaux jours devant elle ? Ou peut-être
(sûrement ?) vous, M. Ramonet, qui pourrez désormais
proposer à vos lecteurs alter-mondialistes, portés par
l’ivresse de la « cyber-résistance », un nouvel abonnement
« on line », avec « paiement sécurisé » grâce
à la solution « e-business » d’IBM, transnationale
pour laquelle, récemment, certaines pages de votre journal
se sont transformées en panneau publicitaire ?
(1)
« Rien n’est plus comme avant » car « tout
continuait, quoique rien ne fût plus comme avant; c’était
encore plus comme avant, car il y avait en moins l’illusion d’un après »
(2)
Voilà ce que l’on pourrait rétorquer au flot incontinent
de vos fadaises progressistes. Mais vous prophétisez sous la
caution des statistiques tristement célèbres du PNUD,
sur la sempiternelle fracture numérique : « Deux
chiffres résument l’injustice : 19 % des habitants
de la terre représentent 91 % des utilisateurs d’Internet
(…) Si rien n’est fait, » proclamez-vous, « l’explosion
des nouvelles technologies cybernétiques décrochera
définitivement les habitants des pays les moins avancés,
et en particulier ceux d’Afrique Noire (à peine 1 % des
utilisateurs d’Internet, dont très peu de femmes) ».
Puis, s’agissant de l'hypothétique création d’un « fonds
de solidarité numérique », vous démontrez
que la conscience universelle et l’inventivité institutionnelle
sont à la tâche : « Ce problème
ne peut laisser indifférent tous ceux qui veulent construire
un monde moins inégal. Il a été au centre du
sommet de Genève (3)
(…) Le président du Sénégal, M. Abdoulaye
Wade qui défend depuis longtemps le principe de ce fonds, a
proposé de contourner les États et a lancé l’idée
d’une contribution volontaire de 1 euro sur l’achat de tout
ordinateur dans le monde ».
Mais de quel problème s’agit-il M. Ramonet ? De celui
de ne pas voir pour l’instant les habitants du continent africain
qui crèvent de faim et croupissent dans la misère se
transformer en cyber-consommateurs potentiels et ne plus être
ainsi les cibles de guérillas mais bien celles du marketing
occidental ? De celui de renforcer la puissance de l’argent des
groupes de télécommunications et de l’industrie informatique,
récentes victimes il est vrai du cataclysme boursier de la
Net-Economie et qui doivent se refaire une santé (Ah la croissance !) ?
De quel monde parlez-vous ? De celui de la société
industrielle, qui avec ces usines en kits délocalisables, produit,
surproduit, exploite, fait souffrir, dégrade, pollue, tue,
assassine et se débarrasse de tout ce qui devient trop exigeant
ou trop revendicatif ? Parce qu’il faudra bien fournir la demande
« néo-techno-sudiste », venant de ces marchés
émergents, n’est-ce pas ?
En attendant que proposez-vous ? À l’instar de votre Taxe
Tobin, du vent, rien que du vent : « Ne faudrait-il pas
lancer, tout de suite, un formidable plan Marshall technologique ? ».
Proférant de telles conneries, vous voilà définitivement
« transform(é) en animal humain comme
on est en réalité au regard de l’économie toute
puissante. Il y en a donc pour déclarer aimer cela, pour s’exalter
d’être au nombre des animaux domestiques de ce maître-là. »
(4)

NOTES
:
(1) Lire à ce sujet
l’introduction pathétique que fait le Monde diplomatique
dans ce même numéro de janvier 2004 au courrier d’un
lecteur donnant son avis sur les pratiques publicitaires du journal.
(2)
Remarques sur la paralysie de décembre 1995, Éditions
de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1996.
(3) L’article mentionne au
tout début qu’il s’agissait du premier sommet mondial sur la
société de l’information organisé à la
demande de l’ONU
(4)
Baudoin de Bodinat, La vie sur Terre - Réflexions sur le
peu d’avenir que contient le temps où nous sommes - Tome I,
Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 1996.
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