OtiUm N°3 |
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Le 17 mars 2001. | ||||||
« On
entendra ici, par "progrès de l’ignorance",
moins la disparition de connaissances indispensables au sens où
elle est habituellement déplorée (et, assez souvent, à
juste titre) que le déclin régulier de l’intelligence critique,
c’est-à-dire de cette aptitude fondamentale de l’homme à
comprendre à la fois dans quel monde il est amené à
vivre et à partir de quelles conditions la révolte en ce
monde est une nécessité morale. (…) Toutes les
données disponibles établissent que, dans les pays industriels,
la jeunesse scolarisée est de plus en plus perméable aux
différents produits de la superstition (de la vieille astrologie
au moderne New Age), que les capacités de résistance intellectuelle
aux manipulations médiatiques ou à l’embrigadement publicitaire
diminuent de façon inquiétante, et qu’une solide indifférence
à la lecture des textes critiques de la tradition a pu lui être
enseignée avec une efficacité remarquable. »
SOUS LES NUAGES EXACTEMENT, GROSSE AMERTUME. Non seulement, lundi matin, il tombait des cataractes, mais il fallait en plus acheter Libé ! C’est toujours la même chose : dès que je me trouve dans l’urgence de devoir m’informer matinalement (prendre connaissance des résultats de l’extrême gauche aux municipales en l’occurence) et qu’il faut prendre Libé, je fais la gueule à mon petit libraire. C’est systématique. Le manque d’habitude, je suppose, ou l’impression que je vais encore perdre mon temps, voire la crainte absurde que la gomina de July pourrait aller se répandre sur mes mains encore propres … Enfin ! J’ai récupéré un peu mes esprits sous l’abri bus, j’ai même esquissé un sourire à un autre client de la RATP aussi trempé que moi, puis, faisant fi de mes réticences idéologiques, j’ai commencé à feuilleter la chose tout en évitant les éclaboussures inopportunes. Et là, pof ! c’est tout pareil qu’hier : toujours pas de crise révolutionnaire ! C’est comme ça. En témoignent notamment les scores de ces listes dites « citoyennes », qui s’acharnent avec conviction depuis quelques temps à faire de l’a-politiquement correct. Dans ces listes, on trouve des militants « alternatifs » dont l’activité principale consiste à « faire de la politique autrement », mais qui se gaussent généralement des termes de classes sociales, prônent un vocable volontairement flou autour de « citoyenneté » ou de « démocratie participative », défendent contre les partis politiques toutes les organisations de type associatif et, lorsqu’il y a des élections municipales, se présentent pour offrir au premier tour un bref échappatoire à tous les déçus du PS et du PC… Comment ne pas les trouver suspects ? D’autant qu’on connaît la suite avant le deuxième tour : retour en grande pompe du prétexte fallacieux « il faut battre la droite » (la LCR s’en est fait une spécialité), réanimation de l’illusion selon laquelle on aurait encore à espérer des moins pires (Gauche plurielle), puis, devant la fatalité de l’alternative proposée et après quelques échanges de connivence, transfert des voix recueillies le 11 mars vers les notables du PS (exemple : les MOTIVÉ-E-S de Toulouse). Le résultat de tout ça : réconciliation électorale tant des adeptes de la branchouille alternative que des sympathisants des idées révolutionnaires avec les crétins socialistes de l’économie libérale ; adhésion des moins apathiques de ces fameux « citoyens » (du moins les plus festifs d’entre eux), non à l’intelligence politique, et encore moins à la conscience de classe, mais à la neutralité roublarde et bien-pensante des épigones de Mitterrand ; une sorte de mixture constituée à la fois du vote des insoumis, dont l’enthousiasme est sincère, et de celui des garants de l’imposture ringarde que l’on nomme la « social-démocratie » ; union, pour conclure, des plus sympathiques de nos compatriotes avec les gestionnaires actuels des affaires du patronat et de la bourgeoisie. Quel gâchis !… Décidément, on ne se méfiera jamais assez du Grand Capital et de ses représentants de « gauche » ! Alors que le ciel me tombait sur la tête sur les derniers mètres avant le boulot, je me posais cette question : comment les appellerons-nous plus tard ? Aujourd’hui, on sait parler des anciens soixante-huitards qui ont choisi aujourd’hui, pour la plupart, le renoncement comme art de vivre, mais demain, ceux qui aujourd’hui ont encore l’illusion de pouvoir faire « barrage à la droite, bordel ! » en cautionnant la politique du gouvernement Jospin, comment les désigner à ma fille qui aura 20 ans dans vingt ans ?… Avec quel nom rigolo ?
Réhabiliter
les illusions réformistes. Quand mes collègues séduits par les perspectives de la taxe Tobin me vantent leur vision d’un autre monde possible, c’est plus fort que moi, j’ai envie d’être désagréable. Je n’ai pourtant rien contre eux personnellement : certes, ce sont de petits-bourgeois éclairés, lecteurs assidus du Monde Diplomatique et de Charlie Hebdo, inconditionnels du sous-commandant Marcos, du Dalaï Lama ou même de Daniel Cohn-Bendit, mais ils sont quand même très agréables à côtoyer. Certains viennent même prendre le café avec moi, c’est dire, et c’est avec plaisir que nous évoquons nos difficultés à vivre ou que nous nous engueulons… Mais j’ai une objection rédhibitoire, vous avez deviné : ils ont tous un côté désespérément hostile à l’idée de révolution prolétarienne. Car voilà des « démocrates » de bonne volonté (mais c’est vrai que l’Enfer en est pavé…) et gonflés d’humanité résistante qui se contentent d’être « réalistes », de critiquer le libéralisme « sauvage » et de vouloir, en levant le petit doigt, réformer le capitalisme ; des « citoyens » éminemment sympathiques qui aimerait que la grande bourgeoisie s’impose à elle-même une taxe dérisoire sur le fruit de ses spéculations ; des militants responsables qui, pour convaincre, adressent régulièrement des suppliques polies aux gouvernements de la planète… L’effet anesthésiant du réformisme est admirable quand on y songe un peu : il parvient à faire prendre un engagement fastidieux (la réforme de la mondialisation) pour un combat de rupture avec le système ; il fait passer Atlanta et Millau pour des secousses osmotiques de bon augure et Bové pour un irréductible exemplaire. On finirait même par croire que la « nouvelle société civile » pourrait bientôt remplacer la classe ouvrière et émanciper l’humanité des « abus » perpétrés par les parasites de la finance internationale… Non, décidément, je regimbe : moraliser le capitalisme, ce n’est pas ma tasse thé !…
En
guise d’ouverture suffisante à l’éventualité d’un
changement qui est du domaine du possible. - Vous ne connaissez pas L’œil electrique ( www.oeil-electrique.org ) ? Pour y remédier, c’est simple : le marchand de journaux. Un canard somptueux, « collectif et interactif », avec plein de bonnes choses à lire. Bon, évidemment, ils essayent « autant que possible de promouvoir l’implication sociale, la solidarité, le commerce équitable, les idées de l’écologie politique, le développement durable et les valeurs mutualistes », mais c’est quand même très bien. Si votre kiosque ne l’a pas, posez une bombe dès ce soir. - Vous ne connaissez pas non plus La Quinzaine litteraire ( www.quinzaine-litteraire.presse.fr ) ? Vous filez un mauvais coton… Comme son nom l’indique, il s’agit d’un bimensuel consacré à la littérature. Histoire de lire autre chose que les organes officiels des maisons d’édition (MONDE DES LIVRES, LE CAHIER DES LIVRE de Libé, etc.). C’est le journaliste-éditeur Maurice NADEAU (90 ans), un ex-copain de Trotsky, qui la confectionne avec ses amis bénévoles depuis des lustres. On lit l’ensemble avec plaisir et grand intérêt. Je ne m’en lasse pas. Et si votre kiosque ne l’a pas… |
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