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  Chutes de sens.

 
 Frédéric Madre 
 

 
(deux) 13/12/01
    

 

 

   
e lien est un trou dans la page, je m’en approche, attiré par la membrane qui le recouvre, ces mots, cette image qui transforment ce qui s’y trouve en ce que j’espérais, rien d'autre finalement. Je ne vois plus que ce que je voulais voir, où que j’aille je n’obtiens que ce que je cherche et je rencontre inexorablement toujours les mêmes. Je parcoure sans cesse les mêmes lignes infinies de trous distribués sur les serveurs du monde, si je clique c’est par ennui, une confirmation. Je sais qu’il ne me restera qu’une impression de vide immense et béant et le goût d’y revenir encore. Je connais bien ça.

 Revenir au point de départ. Tout est loggé et conservé réglementairement, tout est mis à plat dans une succession de références ternes et cliniques comme si on avait tracé au rotring sur une carte d’état major le périple d’un forcené. L’examen de la carte a posteriori ne donne rien. Il manque les trous, vous voyez bien. Le web n’est pas une juxtaposition de pages visitées qu’on pourrait afficher sur un mur, c’est une suite non ordonnée de chutes de sens. Ce n’est que le désir qui comble ces trous, en eux-mêmes absents.

 Le sens s’empile et se dépile, tout est vrai à un instant donné et pendant cet instant uniquement. Je clique et je suis happé par une reconfiguration nouvelle de la vérité. Il n’y a pas plus d’information où je vais que là d’où je viens, c’est le passage d’un nœud à un autre qui est l’information. (Ouais). Le web est un organisme dont la capacité de recomposition dynamique de sa propre matière lui confère sa survie. Le lien est son organe vital, il aspire à lui un nœud existant et l’enveloppe d’un contexte corrigé. Le lien ne mène jamais vers une suite, il déplace le sens. Le reste est effet de style.

 Ici, l’objet est de dire ce qui me plait et ce qui me déplait. C’est-à-dire ce qui est vrai et ce qui est faux. (Vous savez parfaitement ce que je veux dire). Il y a des contre-sens, qu’on appellera le faux, ces contre-sens nous amuseront. Il y a de la beauté, on en parlera peu faute de temps car un nœud faux contamine le réseau. Ce nœud est dangereux, il doit alors être détruit. On ne s’emploiera ici qu’à le dénuder. On pourrait aussi attendre. Ou regarder ailleurs.

 La page de liens est une figure de style du web, sa nécessité historique découle de la reconnaissance que l’on veut exprimer, de l'entourage dont on dispose, mais tout autant de la volonté de circonscrire un sous-ensemble auquel on se rattache. S'inscrire dans un cercle et s'y enfermer. Il est parfois plus facile de comprendre un site en consultant sa page de liens qu’en l’explorant lui-même, la page de liens est un sas mal étanchéifié dont l'empreinte confère un goût au reste du site comme une tranche de concombre négligente peut le faire à une salade de tomates. Un weblog ne comporte que des liens vers des pages externes, un site d'art contemporain ne comporte que des liens tournés vers lui-même. On peut aimer le concombre. Le lien n'a pas d'âge, il renouvelle à chaque fois l'instant de la publication, c'est lui le fautif et non pas la page qui, elle, disparait dès qu'elle est publiée.

 Un portail est une exposition de trous insensés dont l'objet n'est que de centraliser les attentions sur lui-même. L'objet du portail n'est pas de distribuer, il est de concentrer. Il recontextualise tout à son propre sens car le portail vampirise et s'approprie tout contenu externe. Le portail est la surface d'un trou noir qui réordonne la matière absorbée et la rejette sous forme de lignes de coupe abstraites mais régularisées, consommables suivant un format qui lui est propre. Cette fonction devient vraie au sens du web lorsque le portail ne fonctionne pas comme un service mais assume tyranniquement les limites d'un cercle qu'il a choisi de tracer en effaçant toutes les autres possibilités. Le portail aide à la reconnaissance, il est fondamentalement un lieu de confirmation sur lequel on clique par devoir, si l'on veut. Revenir au point de départ. Je déteste le concombre. Cliquer ici, merci.

    

  

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Frédéric Madre

 
   

  
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