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  À nos faux amis.

 
 Frédéric Madre 
 

 
13/03/01
    

 
  

n a de ces habitudes compulsives que l’on ne sait plus réprimer et qui finalement nous épuisent, de ces trucs que l’on répète encore et encore, sans savoir pourquoi, en se disant à chaque fois que c’est mauvais pour moi et que demain, j’arrête. Alors, je l’avoue, je lis régulièrement les articles d’Uzine2, les discussions sur altern.org ou les communiqués d’Iris, les interviews dans Libération, et je suis tous les liens du Portail des (feux) copains. Je l’avoue cela ne m’apporte aucun plaisir, si ce n’est pervers, et finalement ne fait que détruire mon moral, pourtant nourri d’espoir, à petit feu.

Non pas que j’en ai quoi que ce soit à faire du web qui se dit indépendant, alternatif ou non-marchand en tant que tel comme je n’ai rien à faire du monde de l’art auquel on m’attache malgré moi et que je maudis. Non pas que j’en ai encore quoi que ce soit à faire, me dis-je, et pourtant j’y reviens toujours.

C’est sans doute ce qui fait pas mal de cette nonchalance maladive, que les personnes qui s’expriment ici — car c’est malheureusement devenu une affaire de personnes et plus (jamais ?) d’idées — se soient établies en hérauts d’un truc auquel je participe, auquel le site dans lequel j’écris là participe, auquel tous ceux qui réalisent leur webzine dans leur coin participent, une frange particulière de ce truc là, une frange que l’on aurait aimé appeler de gauche. Un truc dont, pour le coup, j’ai beaucoup à faire.

Ah, la gauche. Oui, je me fais du mal encore un fois et c’est là le fond du problème, la gauche qui n’est qu’un ramassis de bons sentiments inaboutis et de concessions perpétuelles accordées à des amis éternellement irréprochables, canonisés à jamais. Sur le web comme partout, les icônes de notre combat nous représentent qu'on le veuille ou non, elles ont au moins acquis auprès de nous une valeur historique que nous respecterons toujours.

Mais les faits sont plus têtus qu’un lord-maire et les évidences s’accumulent à un tel point qu’on peut mesurer les paroles à la pratique :

Quand le maître du Minirezo feint de découvrir subitement que l’homme-moderne a mis en ligne les piquants dialogues (anonymisés) de la CPML refusant de soutenir Costes, entraînant de ce fait l’exclusion lente et douloureuse de l’homme-moderne et apportant ainsi sa modeste pierre à la dissolution de la CPML, il se disqualifie comme penseur/fédérateur du web indépendant et, en même temps, il renforce la position d'Arno*, éminence grise de sa propre indépendance.

Quand altern.org ferme son service d’hébergement gratuit afin d’obtenir le soutien forcé des masses d’hébergés qui forment l'assise de son commerce, et ceci à deux reprises, il se disqualifie objectivement comme soutien logistique du web alternatif tout en assurant à Valentin Lacambre une aura irraisonnée qui dépasse encore et pour longtemps le cercle de ses simples clients.

Quand IRIS, prise de panique devant les blagues amusantes et avatardes du rigolo Sagwarum sur sa liste de discussion, bloque cette liste pour la rouvrir quelques semaines plus tard en version modérée (comprendre censurée), elle se disqualifie comme porte-parole de l’internet non-marchand et solidaire mais démontre l'autorité de Meryem Marzouki sur ses troupes, autorité qu'il ne restera plus qu'à officialiser dans la république.

Quand Uzine2, plate-forme de discussion ouverte, censure les propos d’un type dont on découvre sur le tard l’affiliation au GRECE au seul titre de cette appartenance, ils se disqualifient en bloc comme exemple de la liberté d’expression sur internet tout en démontrant, faut-il croire, collectivement leur appartenance au grand peuple brouillon de la gauche.

Nul n’est besoin d’en rajouter (oui, il y en a d’autres comme ça), mais toutes ces choses mises bout à bout dépeignent une image bien différente des discours ronronnants et vides. Ça s’accumule, c’est fait de tous petits riens, amplifiées par la presse ou laissées habilement de côté ces choses là sont notre histoire.

À ce titre, l’affaire Costes est particulièrement emblématique. Je me souviens du refus total de défendre cet artiste pourtant clairement innocent et je me souviens des arguments terribles des uns insinuant qu’il fallait préserver nos intérêts, notre respectabilité, en ne défendant pas Costes même si il avait raison. Je m’en souvenais d’autant plus fort en voyant les défenseurs défaillants se pavaner en
bonne position photogénique aux différentes audiences du chanteur malpropre, je m’en souvenais encore et ce souvenir là faisait de la peine, quand par la suite on vit ici et là, les mêmes, leurs amis (car il ne s’agit que de ça) s’offusquer que le front national (épouvantail favori des moineaux du centre gauche) s’approprie la décision de justice formulée contre Costes. Ce n’est même pas qu’on avait envie de dire qu’on vous avait prévenu et que la liberté d’expression doit être défendue aussi ardemment pour tous, ce n’est même pas qu’on ait envie de se moquer de l’arroseur arrosé, une figure qui fait toujours rire malgré soi, mais c’est que ce retournement d’opinion qui fait dire à ces petits penseurs qu’une loi qui aide l’extrême-droite est une mauvaise loi met en lumière un fonctionnement idéologique que l’on répudie et qui est à la base des malentendus qui se font jour actuellement.

Oui, le problème de la gauche et de l’internet dont on parle ici est bien celui-là, l’absence de cohérence dans le discours et les actes politiques, l’absence de vision du monde, l’absence d’objectifs refondateurs de la société, l’absence de théorie idéologique, de conscience de classe, en somme. Le mouvement brownien des même petits concepts vides aux noms ronflants et si fédérateurs (solidaire, alternatif, indépendant, etc.) est un leurre dangeureux lorsqu’il n’est pas associé à une pensée radicale plus profonde et, surtout, lorsqu'on n'est plus capable d'expliquer ce qu'ils veulent dire.

Alors, grâce à cette respectabilité acquise contre la liberté et non avec ou pour elle, grâce à cet engagement feutré et respectueux éprouvé au gré d'entrevues parlementaires ou ministérielles auxquelles on participe avec les patins sur les chaussures, grâce à cette capitalisation d’image rassurante, que grâce à tout ça, et aussi à pas mal de notre négligence, ceux que nous avons cotoyés ou épaulés deviennent les gardiens du stade dans lequel nous chanterons, mais pas trop fort et après autorisation préalable, les restes de nos utopies, ce n’était que prévisible. On aurait dû être plus précis et plus durs avec nos représentants, qui finalement ne savaient pas forcément ce qu’ils disaient ou nous laissaient penser qu'on avait bien compris ce qu'ils défendaient.

Mais, voilà on s’attriste un peu quand même de voir l’innocence des uns s’écraser contre la rouerie des plus anciens, on s’attriste un peu de devoir se mêler de ça car finalement on a pas grand chose à voir avec, si ce n’est une illusion partagée un moment, si ce n’est des insultes qu’on a laissé passer au nom de l’union, si ce n’est un très vague et très lointain sentiment de possibilités d’actions communes, si ce n’est le désir qu’on pouvait avoir de faire autre chose sur internet que reproduire les fonctionnements d’une société que, finalement, on préfèrerait détruire, plutôt que d’y rêver à des amitiés feintes et déprimantes. Alors demain on arrête, les amis.

  

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Frédéric Madre

 
   

  
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