| Mon fils et moi, nous souhaitions visiter un jour la Bretagne. Nous éprouvions le regret de navoir quà peine effleuré la lisière de cette belle province, lors de notre promenade littorale de 1998 (cf LD 269 sq). Une occasion providentielle se présenta lorsque monsieur Bruno R, de Paris, nous proposa doccuper quelques jours la maisonnette que sa soeur possède, avec deux amis également parisiens, au nord de Lorient. Nous acceptâmes. Le samedi 1er juillet, nous quittâmes notre retraite charentaise de la Croix-Comtesse, où nous avions pris quelques jours de repos. Nous franchîmes sans problème majeur les 400 et quelques kilomètres qui nous séparaient de notre destination. Le pire moment fut la traversée de Nantes, où nous nous égarâmes. Enfin nous arrivâmes vers 16 heures, par beau temps, à la maison de Kerbourg. Elle est située en pleine campagne, sur la commune de Meslan, à quelques kilomètres au sud dun village plus important, le Faouët. Les hôtes qui devaient nous accueillir, soit Bruno et lun des copropriétaires, Michel, nétaient pas encore là. Nous en profitâmes pour visiter les environs. Nous découvrîmes dabord le lieu-dit les Roches du Diable, un vallon encaissé où le cours de lEllé est encombré et surplombé de grands rochers ronds et moussus. "Cest trop top", lâcha Samuel, par quoi il voulait dire que lendroit lui plaisait. Il me plaisait aussi et nous nous promîmes dy revenir. Puis nous allâmes traîner à Meslan. Dans léglise déserte régnait une paix joyeuse. Les bancs et le sol étaient parsemés de prospectus relatifs à un mariage qui avait eu lieu le jour-même. Sam vint me faire part de sa découverte du panier de la quête, abandonné dans un coin. Craignant que le drôle ne nourrît quelque intention sacrilège, je mempressai dobserver que la chose était amusante, certes, mais quen aucun cas il ne conviendrait que nous nous emparions de cet argent. Le soir, nous trouvâmes nos amis. Le dimanche 2, nous ne foutîmes pas grand chose. Avec Bruno et Sam, nous allâmes inspecter un escarpement criblé de nids dhirondelles, que javais repéré près de la nationale. Puis nous retournâmes aux Roches du Diable. Lendroit plut à Bruno, qui cependant ne semblait pas vouloir sy éterniser. Plus tard nous prîmes un pot à Quimperlé. En rentrant, japerçus un pic épeiche sur un piquet. Le lundi 3, au réveil, ouvrant la porte de la maison, je levai un pivert posé dans lherbe. Le matin, je fis des courses au Faouët avec Bruno. Comme il ny avait rien de bien excitant chez le marchand de journaux, je suggérai à Bruno que, pour nous divertir, nous achetions un magazine dextrême droite. Il en parut choqué, inattendu tabou, et refusa. Dans laprès-midi, nos hôtes repartirent pour Paris. Samuel et moi nous rendîmes à la plage de Guidel, où abondaient les coques doursin. Je convoitais un beau jerrycan blanc, denviron 25 litres, qui gisait échoué, mais mon fils sopposa à ce que je le ramasse, arguant que je lui faisais honte avec mes manières de clodo. Peu après cependant, une brusque averse chassa tout le monde, et je profitai de la débâcle pour memparer du bidon. Le soir, nous vîmes deux piverts se poser dans un arbre derrière la maison. Le mardi 4, je fis du ménage dans la maison, rangeant du mieux que je pouvais les journaux et la vaisselle dispersés dans lunique pièce du rez-de-chaussée. Il y avait un recueil intitulé 186 succès de la chanson française des années 50 à nos jours (Albi, 1999). La couverture était tapissée des noms des chanteurs. Parmi eux je notai cette coquille : Eddy Piaf. Laprès-midi nous fîmes une excursion dans le sud. Nous visitâmes les alignements de Kerzhero, où nombre de menhirs ont été salopés par des tags fluo. Nous descendîmes la belle presquîle de Quiberon, puis nous avançâmes jusquà Locmariaquer pour y voir le dolmen de Mane Lud et le grand menhir brisé. Au retour, nous aperçûmes de la voiture les alignements de Kermario et de Carnac, intacts semblait-il, mais il est vrai protégés par des clôtures. Le mercredi 5, nous fîmes une tournée des chapelles du coin. Les trois premières, à notre bonne surprise, se présentèrent par ordre croissant denchantement : Saint-Georges, Saint-Fiacre et surtout Sainte-Barbe. Après quoi Saint-Guénolé ne pouvait plus rien pour nous. En redescendant de la chapelle Sainte-Barbe, il y avait à flanc de colline, dans un endroit isolé, une vieille fontaine au bassin rempli de monnaie. Le jeune païen minterrogea dun ton suppliant, et je fermai les yeux sur son petit pillage. Le jeudi 6, nous nous rendîmes à Brest, où je souhaitais retrouver les deux adresses où javais résidé, de 1960 à 1963, alors que javais entre quatre et sept ans. Sur la route nous nous ébahîmes quelques minutes devant les rochers du chaos de Huelgoat, puis devant les monts dArrée, dont le charme nest pas proportionnel à leur faible altitude. Nous fîmes halte à Landerneau, qui nous parut bien terne, malgré la présence dun choucas et dune sittelle près de léglise, et à Plougastel, où rien ne nous retint que le remarquable calvaire. A Brest, nous trouvâmes facilement ma seconde adresse, 77 rue Jean Macé. Limmeuble, aussi triste et ingrat que je limaginais, mapparut bien sûr plus petit quil nétait dans mon souvenir. Nous errâmes quelques minutes dans le quartier, je retournai voir mon école rue dAlgésiras, et nous allâmes flâner une demi-heure dans la rue de Siam. Puis nous franchîmes la Penfeld pour essayer de retrouver, dans le quartier de Recouvrance, ma première adresse, rue Mermoz. Ma mère navait pu me retrouver le numéro et mavait seulement dit que nous avions habité à gauche en haut de la rue. Or celle-ci, gravissant deux pentes opposées, était dotée de deux hauts, mais ni dans lun, ni dans lautre je nai rien reconnu. Nous quittâmes Brest par la route de la corniche, derrière les arsenaux. Nous nous arrêtâmes prendre un pot dans un petit bar comme il faut, sans bruit, sans musique, sans client, sans rien : La Salette. Puis, désireux de voir au moins un cap, nous poussâmes jusquà la pointe Saint-Mathieu. Nous y fûmes surpris par labsence totale de vent. Un petit troglodyte jaillit des falaises pour aller se poser sur le mur dune ruine. Le soir, nous trouvâmes Michel, revenu à Kerbourg. Le vendredi 7, après-midi, Sam et moi allâmes glander sur la plage du Pouldu, puis sur des falaises voisines. Le port de Doëlan nous parut joli. Sur la route, en rentrant, je photographiai un lierre mort, grimpant haut sur un poteau, et dont la ramure ressemblait étonnamment à celle dun sapin. Le samedi 8, Sam et moi retournâmes faire nos adieux aux Roches du Diable. En fin daprès-midi, Michel nous emmena visiter lendroit paisible où il pêche, au bord de lEllé. Il y avait là aussi des troglos parmi les fougères. Le soir, nous prîmes un pot tous les trois dans un bar du Faouët, en regardant les paisibles joueurs de billard. Tout près de là, sous la halle de la place, se tenait un fest-noz. Pour qui a une idée du volume sonore des fêtes populaires daujourdhui, il était inattendu que la musique ne fût pas plus bruyante, presque discrète. Le dimanche 9 juillet, enfin, je parvins à arracher ma progéniture à lensorcellement breton et nous repartîmes. Nous quittions avec regret la petite maison au linteau certes si bas que jy prenais chaque jour, si je puis dire, mon pain quotidien, mais par ailleurs pleine de charmes. Pour atténuer ma mélancolie, je rapportais dans mes bagages quelques trésors, de clodo peut-être mais des trésors quand même : le beau jerrycan de Guidel, un sac en jute synthétique trouvé dans le champ dà côté, un bout de tuyau en pvc ramassé à la décharge de Meslan, deux petits pavés de granit, un pied de thym, une pousse de hêtre et une de sycomore, une joubarbe, un orpin. | |