Vlad : Carnage.
24/02/00
l
savait que, tôt ou tard, le coup de faux de la Camarde n'allait pas le rater. On aurait
presque pu entendre ses derniers appels, au téléphone, avec sa voix, comme une plainte.
Une pauvre voix, cassée, qui disait : « Je vais pas bien ».
Sous-entendu : j'en ai plus pour longtemps.
Il avait du vivre plein d'autres vies. Mais le temps, maintenant, l'avait cassé. Et,
comme une évidence sinistre, réduit à l'état de vieux. Socialement inutile. Réduit à
l'anonymat et à la solitude. Sa vie, qu'en restait-il ? Personne à appeler. Silence
radio.
« Vous savez, il y a longtemps qu'on ne sonne plus chez moi. », pouvait-il
dire. Il avait eu un sourire jovial celui du vieux qui se laisse pas
faire même quand la Faucheuse approche.
Ce jour de l'été dernier,
où C. appelons-la ainsi s'était montrée au balcon, radieuse et belle.
Les mouettes tournaient dans la cour. Les goélands aussi attirés par la
charogne et les ordures du marché. Sous un ciel bleu. Ce ciel bleu qui efface la peine.
Tu parles ! On souffre autant ici qu'ailleurs !
Ironie de l'azur. Celle d'une éternité dont nous sommes exclus. Pour la simple raison
que, tôt ou tard ce monde va nous engloutir. Nous et nos rêves. Et que rien n'y
changera. La mort est une débâcle, pas un comprimé d'X-stasy. Le seul remède serait de
mettre le feu. « Ce soir, on vous fout le feu. » Beau
programme qu'on ne laissera pas à des cons !
C. était venue, telle un
oiseau de passage. Belle, pas vraiment amicale, avec en elle toute l'angoisse du monde.
Une angoisse qui a ressurgi quand je lui ai montré, en face, une mouette en train de
décapiter, à coups de bec, la charogne d'un pigeon. Le sang coulait en direct. C.
pleurait presque.
On en était au crépuscule, celui d'un après-midi d'été, superbe comme d'hab., mais ou
le bruit du ventilateur n'arrivait pas à briser ce silence pesant qui était là, entre
nous. Un silence à couper au couteau. C. me les gonflait. Elle était du genre
« Tout prendre et rien donner ». Haïssable mais belle. Croyant que sa
personne la mettait au-delà du monde et de ses jugements. Diva jusqu'au bout des ongles.
Séduisante. Mais asphyxiante, par trop plein d'ego.
Pour arranger le tout, les gélules de couleurs variées avaient fait leur
travail merci aux sorciers modernes, psychothérapeutes et autres ânes bouffis
de leur propre sentiment d'importance. Soulager la Douleur ! Bande de cons !
Alors qu'il s'agit de soulager le monde de la Douleur !
J'ai viré C. je pouvais
plus l'encadrer. J'étais au bout de l'insomnie. Je lui ai laissé une poignée de dollars
pour la route. J'aurais pas dû
Peut-être que l'amour ne peut pas être l'addition de deux solitudes. Quant à
l'amitié
inutile d'en parler. Pour aller au-delà du bien et du mal il faut savoir
rester seul.
J'ai appris la mort du
Vieux. C'était il y a pas longtemps. Un vieux discret et cool, avec ses histoires qu'il
racontait pas.
La fin fut sanglante. Une agonie brutale, du sang sur les draps. Le corps qui se
décompose. Les mouches vertes sur le cadavre.
Cela se passait à un mètre de ma tête. Derrière le mur.
Quand j'ai appris ça, j'ai eu envie de Vomir. Pour C. et pour tout le reste.
Envie aussi de jeter l'ancre dans les eaux noires de l'oubli.
Mais il faut continuer