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1855, Theodoros fut couronné roi d’Éthiopie. Il bénéficiait
d’une prophétie tirée d’apocryphes du XVIème siècle
qui le consacraient à la fois comme fléau de dieu et instrument
de sa miséricorde. Son avènement devait marquer la fin des
haines et des discordes, l’instauration de la paix. La prophétie
s’avéra fausse et l’histoire finit dans le sang...
Le
roi établit dans sa citadelle de Magdalâ le dépôt
de ses trésors. Il fit régner sa justice à coup de
sabres, à coup de lances, à coup de fusil. La prophétie
devait-elle se réaliser ? Comme le dit un proverbe éthiopien,
« le jour finit par arriver où la citadelle croule. »
Il
vint un jour où le roi prit goût aux supplices. Il faut dire
que, face au chaos, le roi n’avait pas le choix. Proscrire et tuer, incendier
les maisons où, comme une fois, mille sept cent prisonniers avaient
été enfermés. Des soldats armés de lances
et de fusils les empêchaient de fuir; dans la fumée
et bientôt l’odeur de chair brûlée. Le roi à
son avènement avait pu être aimé mais, maintenant,
venait le temps de la colère. Celui du jugement. Le roi était
pris en aversion. Une complainte écrite en amharique décrit
ses exactions : les soldats du roi tuent, égorgent le
bétail, pillent le grain. le peuple des hauts plateaux d’Éthiopie
n’a plus qu’à dire « saccagez nous aussi les entrailles, à
fin que j’aie aussi la paix ! »
Le
Roi fait razzier les récoltes, tuer les opposants. Tous les produits
de ses pillages furent entreposés dans la citadelle de Magdalâ : les
croix et l'or, les trésors des églises, les soieries, les
manuscrits précieux, par centaines… La chronique de Théodoros
II écrite par Walda Maryam (1)
nous parle d'autres cas meurtriers !
Le
roi devint d'une cruauté inouïe, tout contradicteur devait
être passé au fil de l'épée.
Mais le roi commit une erreur fatale : s'attaquer aux européens,
sans avoir assuré ses arrières ! ce qui lui aurait
peut-être évité la défaite. Les éthiopiens
sont un peuple courageux, ce qu'ont pu apprendre les chiens colonialistes
italiens lors de leur mémorable dérouillée d'Adoua !
Theodoros fit mettre aux fers les blancs et proposa un marché au
Sel'tan des troupes anglaises qui était venu lui régler
son compte. Les présents —du bétail volé— ne
furent point acceptés. Puis, nous dit la chronique, dans la nuit
qui suivit, « la nuit fut entourée d'un nimbe qui ressemblait
à du sang, ce qui parut être le présage de la fin
du Roi ».
Les
éthiopiens avaient pour eux leur courage, leurs vieux fusils et
leurs lances ; les anglais, leurs canons à tir rapide.
La gueule des canons fut braquée sur Magdalâ ! Ses troupes
anéanties, le Roi « n'ayant plus personne à qui
lui obéir, errait comme un homme ivre ». il tua encore deux
anglais, en attendant l'heure où il devait mourir ! Les obus
anglais eurent raison des portes de Magdalâ. Mais Theodoros « jugea
qu'il valait mieux mourir que de tomber prisonnier, et se condamnant lui-même,
(…), il se fit sauter la cervelle d'un coup de pistolet. »
Le
Roi d'Abyssinie entra dans la légende. Cela se passait, dans le
vieux calendrier éthiopien en l'an 7360 (1868).
Il
y a l'Éthiopie réelle et l'Éthiopie mythique…
À L'Éthiopie mythique se rattachent les croyances de ceux
qui ont pour emblème le lion de Juda et ses couleurs : le
vert, le jaune, le rouge. Les couleurs du culte rasta, où,
à coups de chalice, la communication directe avec Jah permet aux
descendants des esclaves de se libérer de l'oppression de Babylone.
Comme pour rétablir le lien avec l'Afrique perdue, il s'agit ici
pour un peuple de récupérer sa mémoire, même
si elle est mythifiée. Pour cela, sur la bande-son, il y a le rythme
lourd des tambours Nyabinguis —le retour aux racines en quelque sorte.
Ou le son hypnotique de la basse, cette basse dont les pulsations cognent
directement au cœur, base du reggae sound. Merci à Lee « Scratch »
Perry, le vieux sorcier qui inventa le Dub ! Le reggae, quand
il est authentique, nous dit qu'il y a la guerre à Babylone et,
d'une certaine manière, nous le pensons.
Même
si pour nous, Haïlé Sélassié n'est pas une sorte
de dieu vivant, mais un imposteur. Même si la bible et ses livres
apocalyptiques, bible des rastas, nous semblent un tas d'inepties.
Nous exécrons tout autant le racisme des petits-blancs vis-à-vis
des noirs que le racisme anti-blancs de certains africanistes ! Disons
qu'être politiquement correct ne fait pas partie de nos préoccupations.
Quant à l'aliénation mystique, sous toutes ses formes, elle
nous insupporte ! Bon, mais après tout, les rastas
nous semblent quand même plus cool que les sectes black
muslims du genre Farrakhan. Nous n'aimons pas les idéologues
suprématistes, quels qu'ils soient !
À
propos des rastas, nous avons relevé une histoire qui nous
plait dans un livre de Nick Cohn déjà évoqué
dans ces chroniques. L'histoire d'un rasta qui, à Londres,
Hyde Park Corner, revendique la restitution des trésors pillés
par les anglais à Magdalâ : « dix mille manuscrits
sacrés, lingots d'or, bijoux, disséminés à
Oxford, Cambridge, au château de Windsor, au Victoria & Albert
Museum. » L'Angleterre coloniale a massacré les éthiopiens
avec ses fusils à répétition ; elle leur
a aussi volé leur mémoire comme l'ont fait les autres chiens
de guerre : italiens, français, belges ou russes, vis-à-vis
d'autres peuples. Les blancs ont justifié leurs massacres au nom
de leur civilisation mais, autant le rappeler, le colonialisme est la
loi de la mort, du pillage puis de l'oubli ! L'Afrique ne s'en est
toujours pas relevée. Quant à nous, nous ne croyons pas
au caractère sacré de Ras Tafari, ni aux prophéties
de Marcus Garvey, même si Burning Spear, entre autres, nous semble
hautement recommandable. Disons cependant que le combat du rasta
McLean nous semble digne de respect, même s'il paraît douteux
que l'Angleterre restitue ce qu'elle a pillé ! Nous pouvons
respecter les rastas car leurs mythes sont aussi porteurs de rébellion.
Il y a cependant des limites à la notion de respect ! Pas
de respect pour les tueurs, pour Babylone, sa voracité, son culte
de l'argent-roi. Pas de respect pour cette putain vérolée
dont on attend qu'une seule chose : qu'elle crève !
Sans trop d'illusions cependant, car une telle agonie risque d'être
longue !
(1)
Chronique de Theodoros II, roi des rois d'Éthiopie, Éditions
Mots, 1982.
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