En attendant les barbares...
    

 
  Vlad Vlad  
 

Tangenziale A 15.

 
 

Daté 25/07/2001.

 
 

    

 32°C. On crevait de chaleur sur l’autoroute. Il y avait ce ciel plombé, noir, zébré d’éclairs, au fond sur les plaines. Et, en arrière plan, dans le mental, trop d’insomnies ou de sommeil chimique —juste assez pour avoir la dose de cauchemars nécessaire. Avec un réveil direct à trois heures du mat’ en version électrocutée. Qu’importe. T’es là, sur l’autoroute, et il y a bien ce qui ressemble à un sentiment de liberté. La nuit tombait, en ce 24 juillet 2001, quelque part en Europe.

 La seule utilité du voyage, même s’il peut être tuant et morne, cela fonctionne ainsi : prendre (un peu) de distances face à soi-même et aux autres. Ici, dans ce nœud d’autoroutes, il était l’heure de se demander ce que l’on recherchait. Des lieux improbables où il était plus facile (tu parles !) de se demander où on allait —nulle part sans doute. Sinon, dans un accès de romantisme noir, d’en arriver au constat de l’inéluctable : ce qui était n’adviendra plus.
« On ne descend jamais deux fois le même fleuve », et alors ? pourvu que la douleur se calme. Toujours ça de gagné.
Provisoirement…

 Quelques illusions de moins, c’est toujours bon à prendre. Il fallait juste trouver le décor et, pour cela, les kilomètres d’arcades des rues de Bologna, sous un violent orage d’été, n’étaient pas ce qu’il y avait de pire.

 Nous aimons les cités-labyrinthes ; car l’image du labyrinthe nous renvoie à nous-mêmes ; aux visions d’un combat, parfois meurtrier, à la recherche du fil conducteur, le fil d’Ariane, histoire de déjouer le piège des monstres. Le problème est qu’Ariane est perdue et qu’il n’y a plus de fil conducteur…

 Rien de très grave. Il suffirait de marcher éveillé, sans trop se perdre dans les fantasmagories de l’Ombre ; celles d’un décor d’Apocalypse, signé par un peintre anonyme du XVIIème s., plus ou moins oublié. Rien à foutre du Ciel. Là, c’est l’Enfer.

 Tout cela aurait pu nous rendre tristes. Mais la ville, dans son décor théâtral, d’orage, de feu et de nuit, nous offrait le meilleur.
C’est à dire rien !

 Peut-être n’étais-je là qu’à poursuivre des fantômes, dont je connaissais les noms, réactivés par différentes substances, comme un texte occulté réapparaît sur un palimpseste : images de celles que tu aimas, disparues et figées dans un moment qui ne peut s’abolir.
Tout cela n’est pas grave ; Aurélia est perdue à jamais ; sombrer dans le chaos ne sert à rien. Il faut se libérer de la maladie du souvenir.
Même si cela est douloureux.

 C’est beau, l’immédiat. Même si l’on a parfois des difficultés à y croire. Le Hasard n’est pas forcément meurtrier. Fortuna imperatrix mundi.
Il y eu le sourire de cette fille, Piazza di nettuno, j’étais là pour ça, après tout. Après, il y eut la poussière du jour, le fracas des camions sur l’autoroute.

 Pourquoi avoir peur ? Il faut continuer, tout en sachant qu’à tout moment le fin peut advenir, brutale, calme, sanglante, on ne sait plus, la passion seule peut nous sauver, avant d’aller droit au Néant.
Qu’importe. Je t’aime ; tout en sachant que je ne te reverrai jamais.
Donne-moi ta force. Un jour, peut-être, il y aura l’aurore…