Vlad : Code Noir.
08/11/99
e XVIIIème siècle se « gargarise de Vertu » comme l'affirme justement L. Sala Molins (1). Mais l'exaltation de la Vertu et la mise en uvre des valeurs propres à la philosophie des Lumières ne sauraient faire oublier ce fait : exalter la « Vertu » sert aussi, parfois, à occulter l'immonde : en l'espèce, le Code Noir (2) édicté par la monarchie française en 1685, en vigueur jusqu'à l'abolition de l'esclavage la « vertu » a des silences éloquents.
Pendant trois siècles, un continent a subi un génocide, celui conséquent au « trafic de bois d'ébène », comme on dénommait la traite négrière. Silence détonant : l'Afrique se vide de sa substance humaine cependant que s'accumulent les fortunes des négociants, des armateurs, des négriers, à Nantes, Bordeaux, La Rochelle ou ailleurs. C'est un peu l'origine, si peu avouable ! De ce charme discret de la bourgeoisie qui paie sa bonne conscience de la mise à mort de « l'inférieur », du nègre, et bientôt du prolétaire ! On peut disserter sur Voltaire, Crébillon, Raynal ou Montesquieu. Aux Antilles ou en Guyane hollandaise, le nègre a droit à toutes les attentions de l'humanisme occidental : exécutions, mutilations, marquage au fer rouge. Le nègre est bestial, la cause est entendue. Pour son éducation, il faut s'en remettre à la violence de la loi.
C'est l'objet du Code Noir, d'où son intérêt majeur. Il est le monument de l'Horreur juridique. Le bâtard sinistre de la religion catholique, apostolique et romaine et d'une monarchie qui préfigure l'État moderne. En l'espèce, la domination du Léviathan, celle de l'État : « Le plus froid de tous les monstres froids » (Nietzsche).
Le Code Noir comporte un intérêt majeur. Il fonde en droit celui des maîtres le non-droit absolu celui des esclaves. L'esclave n'a pas droit à l'état de droit qui va fonder la mythologie démocratique. L'esclave n'existe pas en tant que sujet ; il n'est pas reconnu en tant que personne mais en tant que meuble, objet. Comme tel, il n'a qu'un seul droit : se taire, souffrir et se résigner, ce à quoi la religion s'emploiera avec plus ou moins d'efficacité en le privant du recours à la mémoire, aux dieux de l'Afrique. Il ne s'agit pas simplement de détruire le corps par le travail forcé, dans les plantations, mais aussi de détruire l'âme. De toute manière, ce qu'affirme la théologie de la norme blanche c'est que le noir est suspect, objet d'une malédiction originaire justifiée par le mythe biblique : la malédiction de Cham. Par naissance, le noir est coupable ; il est extérieur au règne de la Loi, de la morale. À peau noire, âme noire, dépravée, immorale, car uniquement dévolue à la satisfaction immédiate des sens : le noir pêche par bestialité. Le noir est inconstant, perfide mais aussi dangereux car susceptible de « contaminer » la blancheur de l'âme blanche. Le Klu Klux Klan s'en souviendra !
Pour l'esclavagiste c'est cette dépravation du nègre considéré comme étape
intermédiaire entre l'orang-outang et l'homme qui justifie le traitement de rigueur
qu'on lui réserve. L'esclave est un sous-homme : il doit être « civilisé »,
c'est-à-dire neutralisé, ce qui revient au même.
Au moyen du baptême tout d'abord, s'il n'est pas mort avant. (3) La justification du
baptême est triple, d'après un texte du XVIIIème s. qui exclut toute ambiguïté : la
« sûreté publique » mais aussi « l'intérêt des maîtres » doivent être confortés
pour le « salut de l'âme » des esclaves. (4)
Il ne suffit point cependant que le nègre soit abruti par le travail et la religion ; il
doit être aussi soumis par la peur. Les maîtres aussi ont parfois peur et à ce titre,
le catalogue des peines prévues pour l'esclave récalcitrant est éloquent. Quand la
sédition menace, le bras séculier doit frapper (a 16). Toute assemblée d'esclave est
dangereuse : elle est synonyme de complot, de « marronage ». La mort sanctionne la
révolte (a 33). Le fugitif aura droit à toute la bienveillance du maître blanc :
marquage au fer rouge, mutilations puis pendaison. Ce à quoi les prêtres ne trouvent
rien à redire : l'important n'est point d'être esclave en ce monde. Mais de n'être
point « esclave du démon » dans l'autre !
Avec leur bénédiction et sous leur surveillance vigilante, l'esclave, réduit à l'état
de marchandise humaine doit se taire et se résigner. Pas toujours d'ailleurs !
Le
Code Noir fut aboli en 1794. Mais la grande nation française rétablit l'esclavage et la
traite par la loi du 30 floréal de l'an X (1802). L'universalité des droits de l'homme,
sous le pouvoir de Bonaparte, peut bien souffrir quelques exceptions, surtout si
l'intérêt des maîtres est en jeu. Il reste que si la liberté aura, plus tard, le
dernier mot, la fin de l'esclavage n'est pas celle de l'esclavagisme. Désormais,
juridiquement libre, l'esclave est contraint de vendre sa force de travail. L'esclave
deviendra travailleur salarié.
Mais le salarié moderne, il est libre de quoi au fait ? Et quand ce même salarié pour
cause de crise du travail devient excédentaire, inutile, « assisté » et exclu ? Qu'en
est-il alors de sa liberté et de sa dignité, si chères à l'humanisme démocratique ?
On attend toujours les réponses
1. Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, PUF, 1996.
2. Le Code Noir, L'esprit frappeur, n°27, juin 1998, 10 francs.
3. À Nantes au XVIIIème s., le taux de mortalité sur les navires négriers peut monter jusqu'à 34% de l'effectif transporté.
4. p. 97 op.cit. 1.