Vlad : Urbi et orbi.
22/12/99

À l'orée de l'an 2 000, le flot d'insanités distillé par les media n'est pas près de se tarir. Bien au contraire, la marée monte et la cote d'alerte est atteinte, voire dépassée. Difficile d'y échapper : on commémore à tour de bras, on tire des bilans sur le siècle (triste) et sur le prochain millénaire (qui sera forcément meilleur). On prophétise, on se répand en bons sentiments. Un certain optimisme est de rigueur : il y a dix ans, le mur de Berlin est tombé, ce qui nous a libérés du « cauchemar marxiste ». Quant aux marchés financiers, ils ne se sont jamais mieux portés. L'Avenir, bien entendu, sera néo-libéral : les bons apôtres du F.M.I. y veillent. Pour le néocapitalisme, l'histoire n'existe plus. De manière sans doute à ce que le futur ressemble au présent. Les idéologies sont bien sûr périmées et, grâce à Bill Gates, mieux qu'avec Staline, nous connaîtrons enfin des lendemains qui chantent !
Bref, si l'on écoute l'O.C.D.E., l'euphorie est proche ! Seuls des esprits négatifs peuvent en douter…

pointg.gif (57 octets) Dans ce délire, les théologiens reviennent en force. Après tout, cet esthète muséographe et gaulliste —un dénommé Malraux— n'avait-il point décrété que le XXXIè siècle verrait s'accomplir le « retour du religieux » ?
Agréable prophétie pour l'Église catholique qui voudrait bien terrasser l'hydre de l'athéisme, du matérialisme, de l'hédonisme et j'en passe ! Plus difficile à dire qu'à faire. L'hydre a la peau dure et ses têtes repoussent !

pointg.gif (57 octets) Ce qui n'empêche point le pape de proférer des insanités dont le journal Le Monde (09/11/99) s'est fait l'écho. Lors de son dernier voyage aux Indes, le souverain pontife, du haut de son infaillibilité a développé sa prospective. Elle est suffisamment intéressante pour qu'on s'y attarde quelque peu. Le premier millénaire du christianisme avait été celui de l'évangélisation de l'Europe —qui s'est réalisée, nul n'en doute, dans la plus totale convivialité ! « Tuez les tous et Dieu reconnaîtra les siens ! » (1)
Le deuxième millénaire a vu l'évangélisation de l'Amérique et de l'Afrique dont les peuples, grâce au christianisme, ont été sauvés des puissances démoniaques, de l'idolâtrie et de la barbarie !
Quant au troisième millénaire, il sera celui de la "christianisation" de l'Asie. Rien moins que cela !

pointg.gif (57 octets) D'une part on s'étonne que rien ne soit prévu pour le quatrième millénaire. Mais sans doute, dans son infinie sagesse, l'Église compte-t-elle sur les progrès de l'exobiologie !
D'autre part, on est en droit de penser que les Asiatiques supportent déjà assez de malheurs sans en ajouter un de plus : le christianisme. À moins de considérer le droit à l'abrutissement comme un droit fondamental de l'être humain…
Enfin, les prétentions du pontife romain nous semblent quelque peu exorbitantes. Le pape se veut désormais le défenseur des minorités sur un mode résolument humanitaire et œcuménique :
« Aucun État, aucun groupe n'a le droit de contrôler soit directement soit indirectement les convictions religieuses d'un individu. Ni le droit d'imposer ou d'empêcher la manifestation de sa foi. »

pointg.gif (57 octets) Vibrant plaidoyer en faveur de la tolérance ! Mais pour le moins étrange. Surtout de la part d'une institution qui pendant des siècles a incarné l'intolérance extrême. Parce qu'elle détenait la vérité. Parce que la vérité est dans l'Église et point en dehors.
Dès l'Antiquité tardive et l'édit de Milan, l'Église, héritière de la bureaucratie impériale romaine, ne se prive pas du droit de persécuter les hérétiques, d'interdire les cultes païens ou de prohiber l'exercice de la philosophie —enfin, celle qui ne subordonne pas la Raison à la Foi (ainsi la fermeture de l'Académie, à Athènes, sous Théodose).
Au Moyen Âge, l'Église participe à la "barbarisation" des consciences. Elle a une responsabilité certaine dans la judéophobie, la haine du "juif perfide", du "peuple déicide" qui se propage en Europe avec les croisades ; et aboutit aux massacres (2).
La mort de l'hérétique est non seulement licite mais hautement souhaitable. Alors, qu'importe de tuer si c'est pour la plus grande gloire de Dieu. Lors de la prise de Jérusalem, nous raconte un chroniqueur, les chevaux des croisés, près du Temple, pataugeaient dans le sang, jusqu'aux genoux et à la bride. L'Église a légitimé la terreur et il n'est alors point question de mauvaise conscience ou de "repentance" comme à la fin du XXè s. ! Dommage que l'institution ait une mémoire pour le moins sélective… 

pointg.gif (57 octets) N'en déplaise aux nostalgiques de la contre-réforme, le libre exercice de la pensée est incompatible avec le dogme catholique romain. « Il faut s'abêtir » (Pascal). Non merci. In memoriam Giordano Bruno…
Le bilan est lourd, très lourd. « Deux mille ans et pas un seul nouveau dieu » pouvait dire Nietzsche. Nous n'avons pas besoin de nouveau dieu, bien au contraire. Mais deux millénaires de christianisme, c'est déjà beaucoup trop ! Alors, inutile d'en rajouter un troisième !

(1) Paroles apocryphes attribuées au légat du pape lors de la croisade contre les Albigeois, mais qui apporte un éclairage particulier sur l'esprit de croisade.

(2) cf. Arno Mayer : La "solution finale" dans l'Histoire, Éditions La découverte, 1990.