Musiques | |||||||||
Entrevue | |||||||||
| Mekimanipulki | ||||||||
Réalisée par mél par Miguelito Lovelace en janvier 2005 | |||||||||
oulon, septembre 2004. À côté d'un détestable centre commercial moderne et bétonné, un OVNI. Ou plutôt une installation, mettant en scène des instruments, des tôles, et d'autres objets détournés de leur utilisation première. Rencontre avec Yannick Lemesle de Mekimanipulki ce jour là, rencontre qui sera suivie de l'interview ci dessous pour tout apprendre de ces « Chercheurs de sons ». Pour commencer cet entretien, et pour ceux qui n'ont pas eu la chance de voir Mekimanipulki (10 représentations en 5 ans), comment décrirais-tu ton travail musical en général, et la machine en particulier ? La musique c'est l'organisation des sons et je pars du postulat que le son est une matière approchable par quiconque reste « ouvert » quelles que soient sa culture, sa condition sociale ou ses convictions. Ce n'est que lorsqu'on codifie ces sons en « musique » qu'ils deviennent à mon grand regret l'objet de « castes » bien définies. C'est donc pour créer le moins de barrières possibles à l'écoute que depuis de nombreuses années je tente de composer à partir du son lui-même, de sculpter et d'approcher le son comme matière première de la sensation, de la sensitivité. Qu'il s'agisse d'un son de violon ou de tôle, j'essaie d'en exploiter toute la richesse harmonique, ce principe guidant ainsi tout mon travail de composition. Je n'ai en quelque sorte rien à faire d'autre qu'à écouter et transcrire cette richesse. C'est cette démarche qu'on retrouve dans Mékimanipulki. Cette unité de production sonore est composée de différents modules manipulés par deux opérateurs, Olivier Miguet et moi-même, qui élaborent une pièce sonore inattendue, en fonction de la réalisation de différentes tâches de travail préétablies, d'interactions avec les badauds auditeurs et les sons de la rue ou du lieu dans lequel la machine est installée. Ce sont les sons produits au moment T qui construisent la pièce sonore, elle n'est pas décidée au préalable et nous surprend même en tant qu'interprètes à chaque fois. Dans ta plaquette, tu décris le spectacle de la machine comme une interrogation sur la condition ouvrière. Quelle est la place de la politique dans ton oeuvre ? Te vois-tu comme un artiste engagé dans son époque ? Je répondrais simplement à ta question en te disant que je ne suis qu'un ouvrier musicien, je « bricole » des sons c'est tout. Pour moi il n'y a pas d'art sans philosophie ni vision du monde dans lequel on vit et à mon avis, nous avons juste besoin de poser cette question car de plus en plus souvent on confond « art » et « consommation du divertissement ». L'art c'est la politique. Dans tous tes actes, tu pratiques la politique et logiquement tu tentes d'être en accord avec tes idéaux sur tous les plans. Par exemple, pour ma part, je ne conçois pas de pratiquer la musique comme je le fais — c'est à dire en essayant de poser des questions que ce soit sur notre perception auditive du monde ou sur nos façons d'organiser nos vies — sans pratiquer l'écologie, la « bien-bouffe », ou le respect social de chacun. J'essaie vraiment d'être en accord avec mes idéaux dans tous les domaines, même si ce n'est pas totalement réussi, en tout cas, je n'oublie jamais de penser aux gérants pétroliers et pharmaceutiques de notre monde. De même, tu sembles concerné par la défense du statut d'intermittent du spectacle. Comment vis-tu cette condition et sa possible disparition ? Cette question rejoint la précédente et ce n'est pas tant le régime de l'intermittence en tant que tel qui me préoccupe mais plutôt la disparition d'une catégorie de gens à qui l'on donne les moyens d'avoir le temps de réfléchir sur notre société, de critiquer (poser des questions) notre mode de vie. La disparition de l'intermittence est à traiter au même rang que celle de l'Assédic, de la culture dans l'éducation ou dans les médias. Heureusement que le contrepoint dans l'histoire nous donne un peu de temps de cerveau disponible pour.... En étant rapide, on peut « classer » mekimanipulki dans une vaste catégorie de musique contemporaine. Comment te vois-tu par rapport aux autres compositeurs (Schaeffer, Henri, etc...) et plus généralement quelles sont tes influences musicales ? Ah, les catégories ! Je suis autodidacte et j'ai approché la musique comme beaucoup de gens quand j'étais au lycée à travers différents groupes de rock que j'ai formé avec des amis dans les années 80. À l'époque c'était ce que l'on appelait la new wave et j'écoutais des groupes comme The Cure, Tuxedomoon ou les Residents puis ensuite des gens comme Fred Frith, John Zorn ou Glenn Branca. J'ai trés vite compris à cette époque que l'essentiel de la musique ce n'était pas un style musical mais quelque chose d'assez abstrait et impalpable qui nous touche dans la matière du son, dans son énergie. Alors je me suis mis à écouter toutes sortes de musiques avec une préférence pour celle où je ne m'ennuyais pas au bout de 20 secondes d'écoute, mais qui était capable de me tenir en haleine et en constante surprise jusqu'à la fin. Je me suis tout naturellement orienté vers les musiques d'autres cultures, notamment les musiques Tziganes (que j'ai découvert avec un voyage en Roumanie en 90), de Mongolie ou d'Ouzbékistan que j'écoute toujours beaucoup, puis les musiques dites contemporaines ou électroacoustiques, dans la mesure où elles ne sont pas produites dans la pure tradition du conservatisme de conservatoire et des musiques dites avec pédance « savantes ». J'ai alors découvert le travail de John Cage, Edgar Varèse, Conlon Nancarrow, Pierre Henry et Schaeffer, etc. Enfin pour répondre à ta question : comment te vois-tu par rapport aux autres compositeurs ? Je te répondrais que je ne me vois pas par rapport à ... mais que j'écoute. Dans la musique contemporaine, on parle souvent de trouver l'image sonore représentative du monde moderne. D'aucuns considèrent que la musique industrielle et le rap synthétisent mieux que certains contemporains l'essence de ce monde actuel. Te sens tu concerné par cette approche ? La musique représentative du monde moderne c'est celle qui n'existe pas encore, celle que l'on entend est représentative du passé et toujours faite ou écoutée « a postériori ». Entre le tout électronique de la techno et les approches électro-acoustiques contemporaines, tu suis une voie que je trouve très intéressante : des sons issus d'instruments palpables mais retravaillés par des samplers et autres effets : peux-tu nous en dire plus ? Je dois t'avouer que je suis un paresseux et que je n'ai jamais eu le courage ni la volonté de me consacrer à un instrument unique pour en devenir un virtuose et être capable d'en jouer avec des nuances infinitésimales. J'ai donc fait le choix (le non-choix) d'en bidouiller plusieurs notamment violon, clarinette, basse, accordéon, guitare électrique et de ce fait de les pratiquer pas toujours de façon très « catholique » (si la religion s'en mêle) pour en tirer des sons qui m'intéressent. J'ai eu également recours, dans le développement de ma propre pratique instrumentale forcément limitée, à différents subterfuges rendus possibles grâce à la technologie (samplers, enregistrement, traitement sonore). C'est cette expérience personnelle qui a ainsi guidé mon travail et effectivement m'amène constamment à l'expérimentation sonore et la recherche de sons. Pour cela, j'affectionne différentes dispositions dans mes créations mais je pars presque toujours de la réalité acoustique d'un son que je transforme après processus. De temps en temps j'ai également recours à la synthèse sonore (l'électronique), mais de plus en plus je crée, comme dans Mékimanipulki, ce que l'on pourrait appeler des séquenceurs acoustiques, des instruments acoustiques mécaniques capables d'interpréter des boucles sonores de façon autonome ou simplement de nouveaux instruments comme le mellophone ou le métalharmonique. Un autre point te singularise : la non-recherche de la justesse absolue. Tu n'as pas peur de la fausse note, l'erreur peut être fertile. Le revendiques-tu ? L'erreur n'existe pas en musique, c'est la pensée humaine qui en définie les règles, qui dit ce qui est juste ou pas. Le son lui est ce qu'il est. Est ce que le rossignol a conscience d'être en accord avec le chant que produit le merle ? Il chante c'est tout. La nature est parfaite dans son hasard, dans ce qu'elle est aléatoire. Dommage que nous tentions toujours de la maîtriser. Tu veux laisser une grande part de liberté à l'auditeur, sans vouloir tout maîtriser. Ainsi, tu incites les spectateurs à se déplacer autour de la machine pour obtenir à chaque déplacement une écoute différente. En quoi est-ce important pour toi ? Je te répondrai en citant Pierre Schaeffer, dont le travail et les analyses sont des références auxquelles j'adhère complètement : « Est ce que la musique commence quand on la fait ou quand on l'entend ? ». Tu m'as dit avoir donné des concerts pédagogiques dans des écoles. Étaient-ce des démonstrations de la machine, ou des travaux radicalement différents ? Lorsque nous jouons la machine dans une ville, on essaie lorsque c'est possible de présenter ce travail à des enfants car il est important de leur poser les mêmes questions qu'aux adultes et je les crois tout à fait aptes et suffisamment ouverts, peut-être plus encore, à les recevoir. Par ailleurs je donne des concerts dans des collèges, que l'on peut qualifer de pédagogiques. Ils abordent l'évolution de la musique durant le XXème siècle et sont axés sur le rapport entre musique et technologie car il me paraît essentiel, comme l'est ou devrait être le rôle de l'école, d'ouvrir la vision, d'offrir l'éventail le plus large possible sur la perception du monde aux enfants. Je suis tout particulièrement attaché au fait qu'ils puissent comprendre ce qu'ils écoutent aujourd'hui, en tout cas qu'ils puissent appéhender d'où vient cette musique et grâce à qui et à quoi. J'ai cette démarche car je me souviens, étant moi-même enfant, avoir toujours démonté mes jouets pour voir comment ils fonctionnaient. Aujourd'hui encore, dans beaucoup de domaines, j'ai toujours horreur de ne pas pouvoir comprendre comment ça marche, en tout cas cela me permet de ne pas adhérer à ce que l'on ne m'explique pas. J'ai fais et je fais également quelques ateliers d'une autre pratique musicale. Dans tous les cas, mon rôle est d'encourager à la curiosité et à la critique pour que chacun puisse s'épanouir, s'accomplir. Travailles tu sur d'autres projets, et si oui, lesquels ? Je viens de terminer la réalisation d'un CD avec Michel Bayard, auteur et comédien, intitulé Les petits Fantômes qui est un recueil de textes écrits et lus par lui et dont j'ai élaboré le décor sonore, et nous travaillons actuellement pour le transposer en spectacle vivant. Je suis également entrain de composer une pièce sonore pour violon intitulé Violineries. Une violinerie est une expérience sonore essentiellement centrée sur le violon, proposée à l'auditeur sous la forme d'une pièce oscillant entre écriture et improvisation, aléatoire, sérieux et humour, c'est une expérimentation élaborée à partir du signal sonore du violon injecté dans un dispositif électroacoustique permettant de transformer, de traiter, de répéter, de déformer, de produire, de reproduire, de détruire, d'oublier, de conforter, d'annihiler, de jouxter, de triturer, de juxtaposer, de synthétiser... le son de ce même violon dans une ambiance violet pourpre... Et je rénove aussi une maison en « pisé » avec des matériaux en terre et écologiques.... Quant aura t'on la chance de revoir la machine ? Pour se faire une idée on peut toujours en attendant écouter la pièce sonore sur CD Mékimanipulki, pièce sonore pour une unité de production et deux opérateurs qui est une adaptation de la machine en direct et un travail spécifique réalisé de façon studio (disponible chez www.metamkine.com, chercher Yannick Lemesle) car pour l'année 2005, il n'y a pas encore de dates arrêtées mais je vous invite à vous tenir au courant sur notre site www.acontrario.org (encore en construction). |