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Pendant
cinq ans, de 77 à 82, Joe Strummer connut la gloire à la tête de The
Clash. Un groupe radical et mondialement populaire, moderne et précurseur
dans ses métissages : l'une des incarnations du rock les plus galvanisantes,
il contribua à changer le cours de son histoire. De cette fournaise
intense, Strummer est ressorti carbonisé. Depuis, il n'a plus donné
que des nouvelles épisodiques, échos grésillants d'une lointaine station
de radio.
omme
s'il avait choisi le silence et la sagesse d'une superstar filante,
retournée volontairement à l'anonymat. Rattrapé par son statut d'icône
et par le cinéma, on peut aujourd'hui le voir en pilote d'avion fantôme
dans le film de F. J. Ossang, Docteur Chance. Joe Strummer
s'explique sur son étrange trajectoire.
Bien sûr, parmi les quatre membres de Clash, Topper Headon était un
musicien plus accompli, Paul Simonon plus mystérieux et plus sexy,
Mick Jones ultracool. D'ailleurs, pour de nombreux fans de Clash,
il était de bon ton de préférer Mick comme il fallait choisir Keith
chez les Stones : Mick et sa frange brunette, Mick et ses fringues,
Mick et ses girlfriends, Mick et ses talents d'arrangeur. Pourtant,
c'était quand même bien cette petite teigne de Joe
Strummer qu'on préférait en notre for intérieur. Il avait certes les
dents pourries et projetait une certaine austérité idéologique, mais
quand même : il suffit de revoir quelques extraits du film Rude
boy, de se souvenir de leurs concerts guérillas ou tout simplement
de réécouter les disques : l'âme de Clash, sa conscience, son moteur
à explosion, sa dynamo, son foyer ardent, son sacré coeur, c'était
bien Strummer. Lui écrivait les textes, chantait les trois quarts
des chansons, tenait la position centrale sur scène. Là, dans le chaudron
de l'émeute blanche, on ne regardait que lui, ou quasiment : arc-bouté
sur son pied de micro, guitare serrée au poing comme un oriflamme,
le corps en transe, la bouille éructante, secouée de spasmes. Découpe
mi-Bashung mi-Rotten revisitée Cochran, port altier, col relevé, genou
battant la chamade, Joe Strummer était la rage faite homme, toute
l'énergie du monde
en chair et en nerfs... Un Gavroche punk qui menait son groupe comme
on monte aux barricades, le chevalier des hormones adolescentes, le
héraut des rébellions fantasmées. Rarement, dans le rock, avait-on
vu figure aussi électrocutante. Mais si Strummer était génial, se
dégageant absolument de l'ordinaire gueulard du rock, c'est qu'il
maîtrisait son abandon, domestiquait ses tripes, canalisait son chaos,
ce qui avait pour effet de décupler sa rage viscérale, de la rendre
plus efficace encore.
Joe
Strummer a carbonisé sa jeunesse. Après l'aveuglante lumière des années
Clash, il n'a plus goûté que l'ombre de sa campagne anglaise. Là,
il a pu digérer au calme le post-clashum, se refaire une nouvelle
cuirasse, commencer une nouvelle vie. C'est un homme tranquille que
l'on retrouve des années plus tard, en paix avec lui-même et extrêmement
lucide sur son aventure, les traits à peine changés, la silhouette
légèrement empâtée. Très content d'avoir été, mais très heureux d'être
et ne regrettant rien.
Avec
Clash, tu étais l'un des musiciens les plus exposés au monde. Depuis
une quinzaine d'années, tu vis dans l'ombre. Comment passe-t-on si
brutalement d'une lumière si intense à un retrait quasi total ?
Joe
Strummer J'ai pas mal pensé
à cette question et j'en suis arrivé à la conclusion suivante : j'ai
dit ce que j'avais à dire. J'ai eu ma période, j'ai craché ce que
j'avais à cracher. Tout simplement. C'est un processus qui me semble
totalement naturel. Quand je bois un coup avec mes amis et que les
langues se délient, ils me bassinent régulièrement là-dessus : "Allez,
Joe, tu dois revenir, sortir un disque, remonter sur scène, qu'est-ce
que tu attends ?" Je réponds toujours très poliment mais souvent,
j'ai envie de leur dire "Vos gueules, lâchez-moi avec ça ! Qu'est-ce
que vous en savez ? Vous n'êtes pas à ma place." Clash était tellement
de son temps, c'était un groupe intimement lié à son époque. Clash
n'aurait pas pu exister avant ou après. Une fois notre temps passé,
c'était comme se retrouver échoué sur une plage, après le retrait
de la vague : vous êtes sur le sable, vidé, lessivé, à sec. Et la
mer est loin.
En
88, tu as pourtant sorti un album solo, Earthquake weather.
J'ai
essayé de repartir, de trouver de nouveaux musiciens, de reformer
un groupe, de tourner de nouveau à travers le monde et tout le toutim.
Mais je ne le sentais pas, quelque chose clochait. Lors de cette tournée
en Amérique, on avait fait imprimer des T-shirts la quincaillerie
habituelle. Et voir "Joe Strummer" imprimé sur les T-shirts me gênait
terriblement. C'est une chose de voir un nom de groupe, The Who, The
Doors ou The Clash, mais mon propre nom... Ça ne va pas : c'est comme
si ton nom devenait une marque de lessive. Ça me mettait mal à l'aise.
Et on revient à mon idée initiale : Clash avait eu son temps de parole,
nous avions dit ce que nous avions à dire, il fallait savoir se retirer,
laisser la place pour les suivants, qui avaient aussi leur mot à dire.
Tout le monde ne peut pas être Elton John ou les Rolling Stones, tout
le monde ne peut pas continuer ce business éternellement. Il n'y a
pas assez de place pour tout le monde de toute façon, il faut bien
que certains soient régulièrement lâchés sur le bas-côté. Moi-même,
j'ai d'une certaine manière été poussé sur le côté, mais j'y ai volontairement
contribué. Depuis Clash, je cherche un but, une direction, un objectif
valable... Parfois, je me dis que je vais écrire un bouquin, je ne
sais pas... je cherche ce qui serait le plus intéressant, le plus
pertinent. En attendant, je survis avec des petits projets modestes
: un rôle ici, un peu de musique là, une musique de film, etc. J'ai
par exemple accompagné les Pogues en tournée, ce qui m'a occupé deux
ou trois ans. Je ne sais pas pourquoi, mais jouer devant des foules
immenses, être un rocker célèbre ne me manque pas du tout. Apparemment,
ce ne doit pas être une attitude très normale, car mes amis ne me
croient pas (rires)...
Généralement,
les musiciens dans ton cas reforment leur groupe pour des motifs financiers,
ou bien s'accrochent pour des raisons d'ego.
C'est
vrai que parfois, l'ego en prend un sale coup : je dois faire face
à la vérité et admettre que j'ai sabordé mes chances, que je n'ai
pas joué mon coup jusqu'au bout, que je n'ai pas mené Clash de toutes
mes forces vers une carrière monumentale. Mais je me tourne vers mes
enfants et me demande "Seraient-ils plus fiers de leur père si Clash
avait poursuivi ? L'aimeraient-ils plus ?" Franchement, je ne le crois
pas. Et puis, ma "carrière" n'est pas encore finie : elle a juste
pris d'autres chemins, un autre rythme.
Tu
es l'une des très rares rock-stars à avoir délibérément abandonné
son statut et ses privilèges.
En
gros, je me fais le reproche de ne pas être suffisamment cultivé,
de ne pas posséder le savoir et les informations suffisants pour me
permettre d'être un porte-parole. C'est très dangereux quand des gens
qui ne savent rien parlent tout le temps à voix haute le plus souvent
pour proférer des conneries. J'estime ne pas être suffisamment cultivé
et informé pour me permettre de faire le tour du monde en braillant
"Hey, hey, donnez-moi le micro et écoutez-moi !" Il vaut mieux
avoir un bagage conséquent avant d'aller chanter sur le monde qui
nous entoure. Je préfère la boucler et occuper mon temps justement
à me cultiver, à rattraper un peu ce qui me manque. Ça me rend beaucoup
plus heureux. A un moment, j'avais décidé de prendre exemple sur le
football. Que fait un footballeur quand sa carrière de joueur est
terminée ? Certains deviennent entraîneurs, d'autres managers de club,
d'autres commentateurs, etc. Si on applique ce principe en musique,
un musicien devient par exemple producteur. Là, je me suis rendu compte
que sur le plan de la technologie, j'étais nul. Je pouvais écrire
une chanson, gratouiller ma guitare, mais le studio, les micros et
tout ça, zéro ! J'ai alors décidé d'apprendre tout ça. Mais comme
d'habitude, j'ai fait tout ce qu'il ne fallait pas faire (rires)...
Au lieu de prendre des cours, j'ai tout fait tout seul, en autodidacte.
J'ai occupé une grande partie de mes dernières années à ça : j'ai
travaillé sur un 4-pistes, puis un 8-pistes et maintenant, j'ai un
24-pistes dans ma cave, j'ai pris goût à manipuler toutes ces machines.
Le problème, c'est qu'au milieu de cette longue période d'apprentissage,
les ordinateurs ont déboulé ! Tout ce que j'ai appris ne sert pratiquement
plus à rien. La technologie progresse plus vite que moi. Mais j'ai
décidé de continuer avec mes magnétophones, maintenant que je les
maîtrise. Et puis, dans un enregistrement, j'aime bien les erreurs,
les imperfections. Ce qui m'inquiète avec la technologie digitale,
c'est que la musique soit homogénéisée, que tous les disques sonnent
pareil, deviennent comme des yaourts au bout d'une chaîne. Que la
musique devienne trop parfaite, c'est un risque des nouvelles technologies.
Tu
n'a jamais cessé de t'intéresser au rock. N'était-ce pas frustrant,
parfois, de ne plus être dedans, de ne pas sortir de disque ? Sans
être obligatoirement une star, ne désires-tu pas être un artiste qui
travaille régulièrement, tout simplement ?
J'ai
fait des choses régulières : un album solo, une tournée avec les Pogues,
l'apprentissage de la technologie, mais aussi la musique du film When
pigs fly de Sarah Driver, une copine de Jim Jarmusch. Rien que
ça m'a occupé une année entière.
Inconsciemment,
penses-tu que tu as adopté cette position de retrait pour être en
conformité avec une certaine éthique qui était celle de Clash ?
Non...
C'était plutôt que je savais ce que valait Clash et... "Si tu ne
peux pas faire mieux, alors ne fais rien." Je ne savais pas comment
suivre un truc aussi énorme que Clash. Quand j'ai fait mon album solo,
je me suis rendu compte que seul, je ne ferais jamais mieux que Clash.
J'ai préféré laisser passer du temps, attendre que ma musique évolue
car dans la lignée musicale de Clash, je n'avais aucun espace de manoeuvre
: on ne pouvait que me comparer défavorablement. Clash était un truc
trop définitif, insurpassable. Alors j'attends... j'attends que ma
musique évolue, prenne une direction ferme. Le monde est suffisamment
lesté d'albums médiocres, sans nécessité. Je préfère être sûr que
ma musique arrive à une certaine maturité, qu'elle aille dans une
vraie direction, qu'elle ne soit pas un petit caprice de saison. Et
jusqu'à présent, je n'en ai jamais été sûr, c'est pourquoi j'ai préféré
ne rien sortir. Je ne tiens pas à faire perdre du temps aux gens.
En outre, si je fais une tournée et que je vous vends un ticket Joe
Strummer, vous voudrez entendre London calling. Et c'est normal.
Je suis comme vous : si j'allais voir, par exemple, les Bee Gees,
je réclamerais Massachusetts (rires)... Mais je n'ai pas envie
de rejouer note pour note London calling. Je suis pris en tenailles.
Et là, les ordinateurs reviennent sur le tapis : ils ont changé l'essence
de la musique. Il y a des choses fantastiques dans le hip-hop, la
techno, etc., et peut-être qu'au lieu de les fuir, je devrais commencer
à intégrer les ordinateurs, à m'intéresser aux technologies digitales.
En même temps, je garderai toujours une dose de scepticisme vis-à-vis
de l'informatique. Quand je vois qu'aujourd'hui, flip flap, on peut
faire un disque en quelques minutes... C'est quand même un peu rapide,
non ? Mais cet esprit est dans la lignée de l'éthique punk, ça permet
d'arracher la musique aux griffes de toutes ces multinationales surpuissantes,
de ces studios ultra-équipés et très chers. La house est une des meilleures
choses qui soient arrivées à la musique ces derniers temps.
Pourquoi,
alors que tu reconnais que faire l'acteur te met mal à l'aise, avoir
accepté un rôle dans Docteur Chance ?
J'ai
été quasiment obligé de répondre positivement à Ossang parce qu'il
n'aurait jamais accepté un "non" de ma part. Je lui ai d'abord dit
non, au téléphone. Il m'a alors répondu qu'il viendrait me voir à
Londres. Je l'ai supplié "Non, s'il te plaît, ne viens pas !"
Finalement, il est venu, nous avons dîné... Il était tellement habité
par sa vision, possédé, obsessionnel. C'était impressionnant. Aujourd'hui,
ce genre de feu intérieur est rare. Tout le monde est tellement normal,
blasé, routinier, dépassionné... Et là, j'avais devant un moi un dingue,
mais au meilleur sens du terme : je me devais de lui dire oui, impossible
de faire autrement. Je n'avais pas vu ses précédents films, mais il
faut reconnaître qu'en Angleterre, rares sont les endroits où l'on
montre des films intéressants, différents. Généralement, on ne peut
voir que les quelques films hollywoodiens du moment.
Pourquoi
cette réticence à accepter ce genre de proposition ?
Je
pense que le monde est suffisamment pourvu en daubes. Ma petite part
de travail consiste à ne pas rajouter une couche supplémentaire de
médiocrité : je ne devrais pas accepter ces petits rôles car je suis
un acteur très limité pas plus que je ne devrais sortir un disque
moyen... Le monde est déjà tellement encombré de mauvais disques,
de mauvais films ou de mauvais bouquins. Il vaut mieux essayer de
se concentrer sur un travail solide, de longue haleine. Beaucoup de
chanteurs deviennent acteurs : c'est un processus très courant. Mais
après Mystery train de Jim Jarmusch, j'ai décidé d'arrêter
ces bricolages de dilettante. Ensuite, j'ai rencontré Aki Kaurismäki
à Londres : encore un type complètement allumé, extraordinaire. Donc,
j'ai fait cette petite apparition dans J'ai engagé un tueur.
Mais dans ma tête, c'était "Non, non, non !" Aujourd'hui, je suis
heureux d'avoir participé à Docteur Chance : ce film, c'est
quelque chose !
Pourquoi
penses-tu que des cinéastes veulent Joe Strummer ?
Peut-être
qu'ils se rendent compte que j'ai travaillé dans un domaine proche
du cinéma indépendant... Et peut-être que mon visage, ma dégaine sont
appropriés à leur univers, un univers dérivé du film noir. Et puis
ils savent que je ne suis pas cher (rires)...
En
toi, ne recherchent-ils pas une icône plutôt qu'un acteur ?
Sans
doute. Je suis presque comme un personnage de dessin animé... Je n'ai
pas tellement envie de devenir une figure de dessin animé mais, de
temps à autre, on ne peut pas éviter de l'être. Cela dit, Ossang possède
une vision très ample, un imaginaire beaucoup plus riche que celui
d'un dessin animé. J'ai beaucoup appris avec lui. Je ne possède absolument
pas son bagage culturel, sa connaissance encyclopédique de la culture
européenne. Chaque jour, il me parlait par exemple des poèmes de Georg
Trakl, des films de Murnau, des peintures de Kokoschka, etc. Moi je
répondais "Hein, mais qui est ce type ?!" Ossang possède cette
culture profonde que nous devrions tous posséder... Et en plus, il
connaît parfaitement le rock'n'roll. Ce que j'ai appris de plus important,
c'est à quel point l'Angleterre a été submergée par la culture américaine
depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'Amérique nous a envoyé
de grands disques et de grands films, mais le déferlement a étouffé
la culture anglaise. C'est sans doute à cause de la langue commune,
mais en France, les gouvernements ont aussi protégé votre culture,
subventionné votre cinéma ; en Angleterre, on a laissé le cinéma agoniser
lentement. Je me suis rendu compte à quel point je ne connaissais
pas les poètes russes, les cinéastes allemands, les romanciers italiens,
tous ces artistes européens géniaux mais oubliés, enterrés par la
mégaculture américaine.
Le
film mi-fiction mi-documentaire consacré à Clash, Rude boy,
t'avait-il déjà donné l'envie de travailler avec l'outil cinéma ?
Oui,
mais j'ai vite réglé cette question. J'ai essayé à cette époque, en
79 ou 80, de tourner mon propre film, un muet en 16 mm et en noir
et blanc. Et j'ai tout fait de travers ! Je n'avais pas pensé à engager
un scénariste, un chef-opérateur, ni à financer quelque peu le projet...
J'avais acheté une caméra 16 mm, écrit un embryon de scénario idiot
puis j'ai tourné et essayé de le monter moi-même... C'était terrible
: ce film était une vraie merde. Une vague histoire de gangsters,
très médiocre, et j'avais réussi à entraîner Paul (Simonon),
Mick (Jones), nos potes et nos petites amies comme acteurs
dans ce mauvais plan (rires)... C'était un gros labo connu
qui possédait le négatif. Un jour, dix ou quinze ans plus tard, je
les appelle pour prendre des nouvelles, le labo était fermé depuis
huit mois ! Je demande ce qu'on a fait de mon négatif ; passé un délai
de trois mois après la fermeture, tous les négatifs non réclamés par
les ayants droit avaient été détruits ! Mon film était détruit ! Quand
j'ai entendu ça... j'étais très heureux et soulagé (rires)...
Depuis cette expérience, j'ai compris que le métier de cinéaste n'était
pas pour moi.
Avant
Clash, quelle était ta situation, ton milieu social ?
J'ai
eu une vie étrange. Mon père était orphelin, en Inde. Ses parents
représentaient les chemins de fer en Inde et sont morts là-bas. Quand
mon père est décédé, j'ai revu un tas de papiers personnels et j'ai
découvert qu'il était devenu citoyen britannique seulement deux ans
avant ma naissance sans doute à cause de la mort précoce de ses
parents. Cette situation de citoyenneté tardive a fait que mon père
était encore plus anglais que les Anglais. Après la guerre, il a rejoint
le Foreign Office, mais à l'échelon le plus bas. Il a ainsi vécu un
peu partout dans le monde. Je suis né à Ankara et, après deux ans
en Turquie, nous avons vécu deux ans au Caire, puis deux ans à Mexico,
puis à Bonn... Aux alentours de mes 9 ans, mon père nous a envoyés,
mon frère et moi, dans une pension en Angleterre. C'était la première
fois que je mettais les pieds en Angleterre. Pendant ce temps, mon
père fut envoyé en poste à Téhéran pendant cinq ans. C'était dur,
parce que le gouvernement ne payait qu'un seul voyage par an : du
coup, je ne voyais mes parents qu'une fois par an pendant ces années-là.
Tout cela a créé une relation bizarre entre eux et moi. Je n'étais
pas très bon à l'école, j'étais du genre à rêvasser en regardant par
la fenêtre. Mon père avait étudié durement et était plutôt rigide
sur cette question. Il n'avait aucune patience avec moi. Les rares
fois où je le voyais, ça ne se passait pas très bien avec mes mauvais
carnets de notes. Je m'habituais à ne pas les voir et quand arrivait
le moment du voyage, je n'avais pas trop envie d'y aller, c'était
bizarre... Je me marrais plus à l'école, avec mes copains.
C'est
pendant ces années de pensionnat que tu as découvert le rock'n'roll
?
Oh
oui, on était complètement fanatiques ! Je me souviens qu'on se passait
vingt fois par jour Trout mask replica de Captain Beefheart.
Mon meilleur pote était le futur batteur de 999. On était dingues
de musique. Je m'intéressais aussi beaucoup à la peinture. Plus tard,
j'ai fait une école d'art, mais je n'étais pas très doué. A cette
époque, j'ai commencé à prendre un peu de LSD et du coup, les professeurs
d'art m'ont semblé très académiques. Tous les dessins des étudiants
me semblaient identiques et moi, je traînais avec la mauvaise bande,
ceux qui tripaient au LSD. On a fini par laisser tomber cette école.
Avais-tu
un but précis à cette époque, une ambition ?
Ce
qui est sûr, c'est que je n'ai jamais pensé une seule seconde à devenir
musicien. A l'école, on avait une guitare et on s'y essayait. Cream
était un peu le groupe du moment. Les solos de Clapton partaient dans
tous les sens. Nous, on essayait de jouer Spoonfull et ça sonnait
très basique : doum, dam, doum, dam... Et juste après, on réécoutait
la version de Cream et ça faisait whizzzzbloooomzzzzzwooooshshebaaaang
! Evidemment, on se disait "Putain, on n'y arrivera jamais !"
Juste après l'école d'art, je suis tombé sur un certain Timon Dogg.
Un super musicien qui faisait la manche dans le métro de Londres.
Là, ça ressemble à une histoire de blues du Mississippi. Au début,
je ramassais la monnaie pour lui, puis il m'a appris quelques accords
et je l'ai accompagné à la guitare rythmique... C'est comme ça que
j'ai vraiment débuté dans la musique. J'ai même joué des morceaux
de Chuck Berry à l'ukulélé l'ukulélé n'a que quatre cordes, c'était
donc plus facile à apprendre au début. Avec Timon Dogg, on a même
joué dans les rues de Paris. C'était dur, on dormait dans le square
du Vert-Galant. Il nous a fallu un mois pour gagner l'argent pour
le bateau du retour.
Pendant
toute ton adolescence, tu étais livré à toi-même, sans tes parents
?
Oui.
Quand ils sont revenus en Angleterre après un dernier poste en Afrique,
j'étais le mauvais fils. Notre séparation avait été trop longue. Et
puis mon frère s'était suicidé à l'âge de 16 ans. La notion de foyer
familial n'avait jamais existé pour moi. Je ne connaissais pas non
plus cette notion essentielle qu'est l'appartenance à un quartier.
Beaucoup de gamins grandissent dans un quartier, connaissent les voisins,
ont des copains de longue date qui grandissent avec eux, etc. Ils
ont le sens de la communauté. Quand mes parents sont revenus, ils
ont emménagé dans un pavillon à Croydon : pour moi, c'était juste
une baraque et une rue parmi d'autres. Je préférais zoner à Londres.
C'est
en zonant à Londres que tu t'es retrouvé impliqué dans ce qui allait
devenir la scène punk ?
En
revenant de Paris, nous avons refait la manche à Londres. Ça devenait
de plus en plus dur parce que la police du métro nous emmerdait et
nous interdisait de jouer. On était toujours sur le qui-vive, toujours
prêts à détaler. Là, je me suis dit que je ferais mieux de monter
un groupe.
Comment
survivais-tu pendant cette période ?
J'avais
quelques petits jobs, mais vraiment les plus pourris qui soient
nettoyer les chiottes de l'Opéra national par exemple. Mon pire souvenir
de ce boulot, c'est tous les mégots de cigare que l'on retrouvait
au fond de l'urinoir. Il y avait un cendrier à droite, un cendrier
à gauche de la cuvette, mais non : les mecs balançaient leur putain
de cigare dans la cuvette ! C'était pas un problème de ramasser les
mégots ; ce qui était insupportable, c'était cette attitude, ce côté
"On se croit tout permis parce qu'on est riche et puissant". Et puis
j'entendais les cantatrices vocaliser toute la journée : depuis cette
époque, je ne supporte pas l'opéra.
Tu
vivais au jour le jour ou attendais-tu que quelque chose se passe
?
Pendant
cette période de l'Opéra, j'avais un plan : j'avais décidé de monter
mon groupe, les 101ers. J'avais juste besoin d'une guitare décente.
J'essayais d'économiser, mais avec ces jobs sous-payés, c'était impossible.
Finalement, j'ai fait un mariage blanc, ce qui m'a rapporté 100 livres.
Avec cet argent, j'ai acheté une Fender Telecaster. Depuis, cette
Fender ne m'a plus quitté je jouais encore dessus pas plus tard
que la semaine dernière. Avec cette guitare, notre groupe commençait
à sonner correctement. Nous bricolions nous-mêmes notre matériel.
J'ai construit des bafles avec des tiroirs trouvés dans une décharge.
Mon pied de micro, c'était une platine retournée dans laquelle j'avais
planté un manche à balai ! Je devais caler le tout avec deux briques.
En allant à notre premier concert, j'avais mon manche, ma platine,
mes deux briques... Les gens nous regardaient de travers : "Mais qu'est-ce
que c'est que ces gugusses ?!" (rires)... J'ai dû emprunter
du fric à un gros dealer de drogue, c'était la seule façon d'acheter
des amplis. Je peux vous assurer qu'on s'est démerdés pour le rembourser
(rires)...
Tu
écrivais déjà tes chansons ?
Après
avoir acquis la Telecaster, ma première chanson fut Keys to your
heart. La première chanson que l'on compose est fondamentale :
c'est un immense pas que l'on franchit d'un seul coup. Après, les
chansons suivantes viennent plus facilement. Keys to your heart
fonctionnait et c'était un grand soulagement, une grande satisfaction.
Nous avons loué le premier étage du pub du quartier, nous avons photocopié
l'annonce de notre concert et l'avons affichée sur toutes les portes
du coin majoritairement des squatts. C'est comme ça que nous avons
vraiment appris : en jouant devant un public. Le mercredi, nous connaissions
six morceaux ; puis le mercredi suivant, nous en avions rajouté deux
; et le mercredi suivant, nous avions dix morceaux à notre répertoire,
etc. Au début, nous avions cinq spectateurs ; un mois plus tard, le
pub était archi-plein.
As-tu
vécu le mouvement punk à 100 % de l'intérieur, ou avais-tu aussi un
certain recul, une distance analytique ?
Il
n'y avait rien de plus punk que les 101ers pour être plus précis,
nous étions prépunks. Je me souviens d'avoir lu dans le magazine Time
Out le mot "punk" pour la première fois à propos d'Eddie & The
Hot Rods. Je me suis demandé "Qu'est-ce que ça veut dire ?" La phrase
exacte était "Eddie & The Hot Rods est actuellement l'un des meilleurs
groupes punks de seconde division à Londres." C'était vers 1975.
Un peu plus tard, j'ai vu un groupe qui s'appelait les Sex Pistols.
Ils ouvraient pour nous, je les ai rencontrés pendant le soundcheck.
Je savais qu'avec les 101ers, nous bossions comme des brutes sans
gros résultats : la route, le van, les répètes, Londres-Sheffield,
Sheffield-Londres, le van, le squatt et ainsi de suite. On suait sang
et eau depuis deux ans et ça ne nous menait nulle part. Quelque chose
clochait, mais je ne savais pas quoi. En regardant le concert des
Sex Pistols avant nous, j'ai compris que nous étions finis : nous
étions un groupe de bar, un pub-rock band, rendu obsolète par une
minute de Sex Pistols ! Les autres membres des 101ers n'ont pas compris,
ils n'ont pas su, ou pas voulu l'admettre. Moi, j'ai commencé à traîner
au 100 Club, là où bourgeonnait la scène punk et j'y ai rencontré
les futurs membres du Clash. Mes copains de 101ers détestaient les
punks, s'exclamaient dégoûtés "Ils ne savent même pas aligner trois
notes" les insultes habituelles. Ils étaient complètement à
côté de la plaque.
As-tu
tout de suite saisi l'essence du punk ?
Il
n'y avait pas besoin de longues analyses. Il était évident que les
punks avaient l'énergie, la vérité du moment et que la question de
la technique instrumentale était hors jeu. Vous écoutiez les groupes
punks et vous pensiez tout de suite "Mais bien sûr ! C'est ça le truc
!"
Aujourd'hui,
que penses-tu du Joe Strummer de l'époque ?
Je
ne pense pas beaucoup à ce genre de question. Parfois, je me dis que
Clash a vécu des moments géniaux, comme quand il y avait une émeute
dans la salle et que nous persistions à jouer au milieu du chaos.
Et parfois, je me dis qu'à certains moments, nous aurions dû faire
le contraire... Globalement, je suis très fier de Clash, de nos disques,
de ce que nous avons représenté. Nous étions très naïfs sur le plan
du business, mais dans le domaine où ça compte vraiment, l'artistique,
je ne regrette vraiment rien.
Etais-tu
ambitieux, avais-tu la volonté que le Clash marque son époque ?
Souvent,
je me pose cette question "Pourquoi voulais-tu devenir célèbre ?"
Quand je jouais du rhythm'n'blues avec les 101ers, je me souviens
clairement avoir pensé que j'aimerais marcher dans les rues de l'ouest
de Londres et que les passants se disent "Hey, c'est le mec du groupe,
là." Et quelques années plus tard, pendant la période de Clash, en
marchant sur Westbourne Park Road, je me suis dit le contraire : "Pourvu
que les gens arrêtent de me regarder et de me casser les couilles"
(rires)...
Comment
as-tu réagi à l'énorme succès du Clash ?
Lorsque
vous y arrivez, vous ne vous en rendez pas compte. Je ne me souviens
même pas avoir été choqué par le fait que quelle que soit la ville
du monde où on allait, on y était célèbres. Et puis on travaillait
tellement dur qu'on ne s'est pas vus au pinacle on n'avait pas le
temps. J'aurais aimé prendre ne serait-ce qu'une minute de recul pour
regarder ça en observateur, y réfléchir, l'analyser. Mais on n'avait
qu'une seule chose en tête : ce qu'on allait faire après, la chanson
suivante, le concert suivant... Il n'y avait aucun répit. Le lendemain
même de notre retour de la tournée américaine de London calling,
on entrait en studio pour enregistrer Sandinista. On y passait
nos nuits et nos jours, on n'en sortait jamais.
Comment
êtes-vous passé de London's burning à London calling et
au patchwork extraordinaire de Sandinista ? D'un groupe punk
basique à la richesse musicale de vos derniers albums ?
La
première raison, c'est Topper Headon, notre batteur. Topper
avait joué dès l'âge de 15 ans avec des groupes de soul noirs américains
qui venaient faire la tournée des nightclubs en Angleterre. Avec le
punk, la plupart des batteurs n'étaient capables que du strict minimum
alors que Topper avait une technique très fine. Ce fut une chance
extraordinaire, sans laquelle on n'aurait jamais pu imaginer tenter
autant de choses différentes et progresser si vite. La deuxième raison,
c'est que nous avions tous nos oreilles grandes ouvertes : on écoutait
de la musique en permanence. Et puis Mick Jones était un arrangeur
très brillant : il avait le génie pour sentir qui devait jouer quoi
et quand. Une grande partie de la qualité de nos disques est due aux
arrangements et au sens du son de Mick. Lorsque notre musique s'est
ouverte, notamment sur London calling, beaucoup de gens nous
ont maudits pour ça. Je me souviens qu'à Helsinki, une bande de skins
nazis nous a agressés. L'un d'eux m'a plaqué contre un mur en me serrant
le cou... et il pleurait : parce que sa grand-mère aimait ça !!! C'était
la trahison ultime. On a connu beaucoup de réactions comme celle-là.
Tu
disais que tu ne te sentais pas capable d'être un porte-parole. Que
penses-tu aujourd'hui de l'aspect politique de Clash, de vos textes
engagés ?
Je
crois qu'il y a là un gros problème. C'est compliqué. L'esprit de
nos textes était tourné vers un idéal socialiste mais le problème,
c'est que l'expérience communiste avait abouti à des Etats policiers,
à des dictatures. On n'avait pas de réponse à ça. Nous, nous rêvions
d'un marxisme humaniste, d'égalité et de justice sociale. Or, le socialisme
réel avait donné Staline ou Mao, des despotes. C'était le vrai problème
de nos textes. Si on se pique de chanter des textes politiques, il
vaut mieux donner des solutions aux gens. Evidemment, nous étions
jeunes, fougueux, nous n'étions pas de grands penseurs... Malgré cela,
nous aurions dû proposer des issues à notre public, nos textes auraient
dû aboutir quelque part. Quand j'admirais le système social-démocrate
en Suède, les Suédois se foutaient de ma gueule en me montrant à quel
point leur vie était ennuyeuse. C'était un gros avantage des tournées
: on rencontrait beaucoup de gens de tous les pays, de toutes les
cultures, on apprenait beaucoup sur le monde. Mais au bout d'un moment,
il m'a fallu admettre que je ne savais plus quel était le système
politique ou social idéal. Certes, on avait envie de changer le système.
Mais pour le remplacer par quoi ? Quand on veut détruire un système,
on a intérêt à avoir une solution de rechange qui marche. Au bout
du compte, je ne dois pas me voiler la face : c'est peut-être à cause
de cette confusion, de cette impasse idéologique que le Clash a fini
par exploser. On avait tout dit, on avait craché notre dégoût de ce
qui n'allait pas dans notre société, mais on ne pouvait pas aller
plus loin, on n'avait pas de solution constructive à proposer. A moins
de se répéter éternellement dans le vide, il valait mieux arrêter.
C'est peut-être un jugement sévère sur moi et sur le groupe, mais
je crois qu'il est lucide.
Malgré
ces impasses, ne crois-tu pas que vos textes ont quand même réveillé
la jeunesse anglaise et commenté brillamment les années Thatcher ?
Sans
doute. Les années Thatcher étaient celles de la rapacité, de l'appât
du gain. Le marxisme, l'humanisme étaient des valeurs complètement
obsolètes. J'étais complètement perdu dans ce monde tournant autour
de la réussite financière. A un moment, je me suis dit qu'il valait
mieux que je ferme ma gueule et que je me recroqueville dans ma tanière.
Cette question des textes, de la relation à la société, pose celle
du rôle de l'artiste. C'est une charge énorme que de proposer des
solutions pour que le monde soit meilleur, plus juste, moins violent...
Est-ce que cette charge n'est pas trop lourde pour un artiste ? On
peut tous décrire une situation ; mais proposer des solutions ? C'est
pourquoi je pense que le rôle d'un artiste est de décrire l'époque,
de mettre la réalité sous le nez des gens pour qu'ils ne l'oublient
pas, de veiller à ce que le public soit toujours en éveil. Mais ce
n'est pas à l'artiste de proposer des remèdes aux maux du monde :
c'est une tâche trop complexe, trop lourde pour un seul homme.
Malgré
tout, ne penses-tu pas que Clash a quand même changé des choses ?
Sûrement,
mais je ne sais pas exactement comment, ou à quel degré. Je ne peux
que me baser sur les réactions de nos fans. J'ai dû entendre des milliers
de gens me dire "Quand j'ai entendu le Clash, ça a changé ma vie."
Le groupe a eu un effet sur la vie de certains individus. Maintenant,
ce n'est pas pour autant qu'on a changé le monde.
Les
Sex Pistols ont changé ta vision de la musique. L'ironie, c'est que
Clash est devenu finalement un groupe plus dense, plus riche et sans
doute plus important dans l'histoire du rock que les Pistols.
Je
ne sais pas si on peut comparer. Les Pistols furent une brève mais
brillante explosion et leur impact sur le rock a été énorme. Je pense
que leur trace restera indélébile. Dans notre cas, ça s'est passé
de façon moins explosive, plus sur la durée, nos textes étaient moins
nihilistes, notre musique plus diverse... Les deux resteront dans
l'histoire du rock. Clash, ça a été une histoire de chance, un concours
de circonstances : au bon endroit au bon moment ! Cela dit, je ne
retire rien à nos mérites, on a bossé comme des damnés. Je crois que
si un spectateur d'aujourd'hui voyait un concert de Clash à son sommet,
il serait tétanisé, électrifié.
Quelles
relations as-tu actuellement avec les anciens membres de Clash ?
J'ai
perdu contact avec Topper Headon, mais je vois régulièrement Mick
et Paul... Tout le monde va bien, nous avons tous fait plein d'enfants.
Que
penses-tu de la scène musicale d'aujourd'hui ? Manque-t-elle d'un
groupe politisé comme Clash ?
Il
y a beaucoup de gens intéressants. Je ne me permettrais pas de critiquer
qui que ce soit. Si je débutais aujourd'hui, dans ce monde post-rideau
de fer, je ne sais pas si je serais capable d'écrire des chansons
politiques. Chez nous, en Angleterre, le parti travailliste est encore
plus conservateur que le parti conservateur ! En Amérique, républicains
et démocrates, c'est quasiment la même chose. C'est très dur de décrypter
le monde politique d'aujourd'hui, de prendre position. Dès qu'un type
est élu, quel que soit son parti, il devient complètement imbu de
son pouvoir. Blair est pire que Major, parce qu'on croyait en lui.
En Angleterre, les gens commencent à dire "Au moins, avec Thatcher,
on savait qui on avait en face, il n'y avait pas tromperie sur la
marchandise." Pour être élus, les hommes politiques doivent convaincre
la masse la plus large possible d'électeurs. Cela signifie que Blair
a été élu avec des voix de gens fondamentalement conservateurs. Il
est donc obligé de mettre de l'eau dans son vin, de tamiser sa politique
pour continuer de plaire au plus grand nombre. Mais les seuls gens
heureux de ce processus sont Tony Blair et ses hommes ! Je suis sûr
que Churchill, lui, était une vraie personne, qu'il ne parlait pas
la langue de bois, que le peuple sentait cette présence humaine. Aujourd'hui,
Blair lit un discours écrit et récrit par vingt-cinq conseillers en
communication. On a le sentiment que Tony Blair est un hologramme
! Moi, j'aimerais bien voter pour une vraie personne.
A
quoi travailles-tu actuellement ?
J'ai
vu Docteur Chance au Festival de Londres et je me suis rendu
compte que le film ne serait plus jamais montré en Angleterre parce
que nous n'avons pas suffisamment de salles d'art et essai. Ça m'a
rendu très mélancolique : si notre pays ne peut pas montrer de tels
films, ça veut dire que nous nous faisons bouffer, que nous perdons
notre culture et notre ouverture culturelle. J'aimerais y remédier,
du moins à ma petite échelle. Avec Julian Temple, nous avons décidé
d'essayer de fonder The Black Lamp : je ne sais pas si on y arrivera,
mais l'idée est de mettre un projecteur et un écran dans un camion,
de parcourir le pays pour montrer des films d'auteurs dans ces vieux
entrepôts abandonnés comme il en existe partout. Une sorte de cinéma
pirate itinérant. Mais je doute qu'on y arrive : il faudrait passer
au-delà d'un tas de barrages financiers, juridiques, surmonter des
conflits d'intérêt, etc. Mais ça vaut le coup d'essayer. A part ça,
je vais faire la musique du prochain film de Julian Temple, ça va
m'occuper quelques mois. Sinon, j'ai toutes ces bandes diverses dont
je vais essayer de tirer un album, des chansons enregistrées avec
des gens comme Horace Andy ou bien le leader de The Grid. Il y a de
bonnes choses mais très variées, partant dans tous les styles, et
je n'ai pas encore trouvé une direction forte, une cohérence pour
les assembler... Il faut que je travaille là-dessus parce que ce serait
vraiment dommage de ne jamais les sortir. D'habitude, je ne l'admets
pas mais... ça devient parfois très frustrant, tous ces projets qui
traînent, qui capotent ou restent en attente : je travaille, je fais
de la musique et rien ne sort. J'aimerais le présenter au public.
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