"Sous
couvert d'information impartiale, Le Monde
se permet une déformation, une désinformation,
une mésinformation systématiques pour induire
en erreur ses lecteurs et ceux des journaux suiveurs. Toute
une technique de falsification, dans chaque rubrique, est
mise au service d'une cause inavouable." Cette citation
ne date pas d'hier : elle a été publiée,
en 1952, dans une brochure intitulée Le Monde auxiliaire
du communisme. Rédigé pour l'essentiel
par Boris Souvarine, cet opuscule est financé par Georges
Albertini, ancien collaborateur notoire.
Ce
pamphlet donne la trame argumentaire d'une longue lignée
de libelles dirigés contre Le Monde. Il mêle
les affirmations sur la vénalité du directeur
et les accusations sur ses liens avec les puissances étrangères :
Hubert Beuve-Méry est tour à tour stipendié
du gouvernement tchécoslovaque ("l'homme aux
6 000 couronnes"), soupçonné pour
un "voyage mystérieux en Russie soviétique
avant la guerre" et convaincu d'une "mission
discrète au Portugal pour le compte du gouvernement
du maréchal Pétain". Despote, le directeur
du Monde manipule ses journalistes : "Tous
les rédacteurs du journal attestent que M. Beuve-Méry
lui-même révise la prose de ses collaborateurs.
C'est M. Beuve-Méry qui "arrange" les textes,
autrement dit qui les déforme, les altère, les
tripatouille pour les mettre au service d'une information
dirigée dans le sens qui convient au parti pris adopté
par lui dans la guerre froide."
Dès
cette époque, des opinions divergentes, quoique semblables
sur le fond, se coalisent contre Le Monde. Les
gaullistes affirment "qu'il est toujours du côté
de la majorité au pouvoir, dont il propage les vues
et excuse les erreurs". Pire, selon les gaullistes,
la direction du Monde "est entièrement entre les mains
d'hommes appartenant à un parti de la troisième
force et à un seul : le MRP." Les communistes,
par la voix de Roger Garaudy, dans L'Humanité
du 16 mai 1951, déclarent : "Le Monde
n'est pas le journal d'un parti, c'est le journal
d'une classe, le journal de la classe de la grande bourgeoisie
capitaliste."
Au
travers d'une douzaine de livres, Le Monde et
ses directeurs successifs sont depuis un demi-siècle
les cibles d'attaques croisées des extrêmes.
Le quotidien subit des charges au canon lorsqu'il se
porte bien et que son indépendance rédactionnelle
et financière est assurée : de 1951 à
1956, après la crise qui a permis la création
de la Société des rédacteurs et la consolidation
du pouvoir d'Hubert Beuve-Méry ; entre 1970
et 1977, lorsque Le Monde, alors dirigé par
Jacques Fauvet, atteint un sommet d'audience en incarnant
le désir de réforme de la société française ;
sous la direction d'André Fontaine, lorsque Le Monderéaffirme
son indépendance, enfin depuis quelques années,
à la suite du redressement opéré à partir
de 1994. En revanche, lorsque Le Monde va mal, les
attaques faiblissent...
FORCÉMENT
COUPABLE
La
première vague d'attaques est prolongée en
1955 par un polémiste de la mouvance catholique intégriste,
Jean Madiran, au travers de deux livres, Ils ne savent
pas ce qu'ils font et Ils ne savent pas ce qu'ils
disent. Centrés sur l'amitié forcément
coupable entre les dirigeants de La Vie catholique
et le directeur du Monde, ces livres cherchent à
alerter l'épiscopat et le Vatican : "Le
déjeuner hebdomadaire de M. Beuve-Méry avec
Mme Sauvageot et ses collaborateurs atteste que le
directeur prosoviétique du Monde est aussi le directeur
de conscience politique de la presse catholique de grand
tirage. Il s'agit d'une mainmise organisée
sur l'opinion catholique." Ce cycle se termine
en 1956 avec le fiasco du lancement du quotidien Le Temps
de Paris, financé par des industriels afin d'asphyxier
Le Monde.
La
deuxième vague est plus fournie. Elle débute en
1970 par un livre rédigé par deux communistes,
Aimé Guedj et Jacques Girault, et atteint un pic en
1976 avec le livre de Michel Legris, "Le Monde" tel qu'il
est, envoyé gracieusement à plusieurs dizaines
de milliers d'anciens élèves des grandes écoles
françaises. Cette phase est close par l'échec
de J'informe, quotidien du soir éphémère
concurrent du Monde, lancé par une coalition
de financiers pompidoliens.
Une
dernière vague se dessine à partir du milieu des
années 1990, lorsque le redressement financier de l'entreprise
et la restauration de l'indépendance du quotidien
sont accomplis. Elle s'inscrit dans la longue durée
des attaques qui ont scandé la vie du Monde,
singularité bien hexagonale vue de l'étranger.
Le
précédent "Pour Lire Pas Lu"
Le
Monde réduit à l'aventure d'un dangereux
"trio" : le livre de Pierre Péan et Philippe
Cohen reprend une thèse popularisée depuis septembre 2000
par Pour Lire Pas Lu, plus couramment appelé
PLPL, "bimestriel sardonique contre les organes
du spectacle de l'ordre mondial capitaliste", animé
notamment par le journaliste Serge Halimi. Dès son
premier numéro, entièrement consacré au Monde,
Jean-Marie Colombani était devenu "Raminagrobis",
Edwy Plenel "Le roi du téléachat" et Alain
Minc "Le nabot malfaisant", puis "Le plagiaire
servile". La "laisse d'or" du numéro 10
de PLPL (juin-août 2002) fut attribuée à
notre collaborateur Nicolas Weill pour son "sionisme
militant", dans un article commençant ainsi :
"Weill est vil, Weill est veule, Weill est vilain".