« Le
mammouth a décidément la peau dure. En sept mois,
quatre grèves et cinq manifestations nationales. Pourtant,
la mobilisation ne cesse de s’effriter depuis octobre »
Bienvenue sur le service public qui ment : vous regardez France
2, il est 20 heures le 6 mai 2003.
Pour
les journalistes, c’est à peine si les enseignants sont des
êtres humains. Ils ne protestent pas, ils « grognent »
– en attendant de « barrir » ? Quand des instituteurs
accueillent leur ministre en lui renvoyant à la figure son
livre de propagande comme à Rodez le 16 mai, Libération,
nouvelle police des mœurs, les rappelle à l’ordre moral :
« Certains enseignants exercent un vandalisme indigne
de leur mission sur des exemplaires du livre [de Luc Ferry],
pratiquent une grossièreté verbale vis-à-vis
du ministre, comme ce fut le cas pour Claude Allègre, qui
n'est pas le meilleur exemple donné à leurs propres
élèves, ou sabotent des examens cruciaux pour des
jeunes. » (17 mai 2003)
Le
parti de la presse et de l’argent (PPA) adore Luc Ferry. Normal :
il fut – et demeure – l’un de ses agents. Ancien éditorialiste
à L’Événement du jeudi, au Point,
à l’Express, à Challenges, membre
du comité de rédaction d’une feuille de chou dirigée
par Jacques Chancel, directeur de collection chez Grasset (où
il se goinfre de petits fours avec son ami BHL), Ferry a coutume
d’animer des débats au profit de grandes entreprise pour
la modique somme de 30 000 francs la séance (1).
Son premier acte de ministre fut de réclamer une augmentation
de salaire substantielle. La pensée de Ferry, c’est le programme
d’Alain Madelin orné d’une étiquette « philosophie » :
« La vérité est que, depuis l'après-guerre
au moins, aucune politique libérale n'a jamais été
tentée en France, même et surtout quand la droite était
au pouvoir […] Tel est " l'aveuglement français " :
pathologiquement attachés aux avantages que nous croyons
tenir de l'État, nous n'en percevons plus les effets pervers. »
(Le Point, 07.03.98)
Une
telle doctrine enchante Le Monde. Trop heureux de voir
élevé son poulain mondain au rang de ministre, ce
quotidien en assure la communication institutionnelle. Le 9 mai
2002, un portrait de Luc Ferry pulvérise les limites de la
flagornerie et ravale la Pravda au rang de fanzine contestataire :
« Intellectuel classique, penseur, […] philosophe
à l'œuvre considérable […] professeur "grandiose",
[…] une grande clarté d'écriture. […]
une véritable entreprise de refondation de l'humanisme, […]
un jalon important de l'histoire des idées en France […]
stable dans ses convictions philosophiques […] talent
protéiforme… ». Pour faire bonne mesure, Le
Monde commentera avec passion les innombrables prestations
télévisuelles du ministre. Après l’une d’elle,
le chroniqueur télé se déchaîne :
« Il était de toute façon très bon
ce ministre philosophe […] Il est vraiment bien ce Luc
Ferry. Il trouve les mots qu’il faut […] Quel habile homme
[…] Le grand Jules, avec son enseignement laïc, gratuit
et obligatoire, n’a aucune raison de se retourner dans sa tombe.
Lui aussi avait lu Kant. » (Le Monde, 04.10.02)
Deux semaines plus tard, Roger-Pol Droit, philosophe officiel du
Quotidien vespéral des marchés, publie un
article interminable à la gloire du dernier livre de Ferry :
« un vrai travail de pensée, […] une lecture
patiente, informée, honnête, de l'œuvre de Nietzsche
et de ses prolongements chez Deleuze. […] l'honnêteté
de la réflexion et la réelle ouverture de la pensée.
[…] il va nettement plus loin que dans ses précédents
essais. » (Le Monde du 18.10.02)
Un
conseil pour les prochaines manifestations : jeter Le Monde
à la face du sinistre ministre.

(1)Source :
Capital, octobre 2001
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