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LES DÉCERVELEURS
... ou les perroquets du PPA

 

 


La régression sociale en retard

Mithridatisés par l’absorption massive de prose vermineuse, les archivistes de PLPL ne peuvent même pas lire qu’un tel est « en retard » sans une convulsion de dégoût. Car depuis vingt ans, toute divergence avec le modèle économique dominant est décrite et décriée comme un « retard ». Capitaine de la calamiteuse équipe de France de football, Marcel Desailly a confié au mensuel Capital (avril 2002) ses attentes vis-à-vis du nouveau gouvernement : « Il faudra augmenter les moyens des forces de l’ordre. Autre impératif : baisser l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu qui étouffent le pays. La France est vraiment en retard. En Grande-Bretagne, où je vis, on peut plus facilement créer des entreprises sans être accablé par les taxes. »

Récemment, pour expliquer le score de Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle, le patronat a sermonné : « Cette situation trouve ses origines dans le retard d’adaptation de nos structures collectives, notamment publiques. 12 » Suivant l’exemple donné par les poussah socialistes au soir du 21 avril 2002, le Medef invoqua « un manque profond de compréhension » des électeurs dû à « un déficit d’explication ».

Sous la plume des petits pions du PPA, le diagnostic de « retard » permet en effet de tout faire passer sous la toise des « avancées » du capitalisme libéral. Quand, en janvier 1998, Lionel Jospin refusa de satisfaire les revendications des chômeurs, Bernard-Henri Lévy avait salué le « courage » du premier ministre en expliquant : « On ne peut céder à des mots d’ordre qui, s’ils étaient satisfaits, ne feraient que retarder l’Europe. » (Le Point, 24.01.98) L’Europe est en effet le prétexte à combler tous les « retards » puisque chaque pays membre est tenu de s’aligner sur celui qui a manifesté le plus de fanatisme dans la régression sociale. La « gauche » rechigne à privatiser le peu qui reste de service public ? Jean-Marc Sylvestre maugrée sur France Inter : « La France est en retard sur le calendrier. Elle entrera donc dans la concurrence, mais sur la pointe des pieds. Le monopole d’EDF n’est donc pas brisé. » (16.02.99) De son côté, le Quotidien vespéral des marchés s’impatiente : « Avec un an de retard sur ses partenaires, Paris se conforme aux nouvelles règles européennes. Les députés devaient voter un texte minimaliste alors que plusieurs pays ont opté pour une déréglementation totale. » (QVM, 02.02.00) C’est bien sûr le statut d’entreprise publique d’EDF – pas ses déchets nucléaires – qui lui valent d’être « en retard »…

Georges-Marc Bénamou, devenu le boy de Lagardère, aurait préféré, à l’instar de ses confrères, que Lionel Jospin se nommât Tony Blair. La gauche, ironisait-il, « peut persister dans le refus hypocrite du social-libéralisme et continuer à être la plus retardataire d’Europe. » (L’Événement, 20.05.99) Chargé de l’éducation politique de Benamou, François Mitterrand avait gardé de son élève un souvenir nuancé : « C’est un garçon complexe et attachant, très disponible. Mais ce qu’il m’a remis est confondant. Il pose des questions de primate. 13 » Depuis, le très disponible primate a fait des émules. Toute personne refusant de s’adapter aux aspirations de la bourgeoisie et des journalistes bourgeois sera cataloguée « en retard ». Ne pas investir en Bourse via Internet est donc un signe d’arriération : « Les Français n’aiment pas beaucoup la Bourse. […] Ils sont, en plus, réfractaires aux nouvelles technologies. […] La France est ainsi très en retard par rapport aux États-Unis, bien sûr [sic], mais aussi par rapport à l’Allemagne. » (Le Point, 13.08.99) Ne pas être patron, c’est aussi être « en retard » : « Soixante et un pour cent des jeunes veulent fonder leur entreprise. [Mais] la France a un énorme retard à rattraper par rapport aux autres pays. » (Le Nouvel Observateur, 13.04.00)

C’est souvent à l’aune des « avancées » américaines que les journalistes apprécient le « retard français ». Interviewé par le QVM, un ancien commissaire des RG devenu patron d’un société de sécurité proposait une piste pour rattraper le « retard » : « C’est bien sûr du côté du marché privé de la sécurité que la demande va s’orienter. […] Or, dans ce domaine, la France est en retard par rapport aux États-Unis, où le rapport est de 2,5 agents privés pour un agent public. Cela présage de l’avenir… 14» Un avenir radieux.

En 1999, quelques « retards français » subsistaient. Le « retard à la propagande d’entreprises » fut dénoncé dans Libération par le conseiller en communication de Lionel Jospin, Stéphane Fouks, qui allait réussir à ruiner électoralement la campagne socialiste (sans le vouloir) après l’avoir ruinée financièrement (à dessein) : « Les entreprises françaises prennent conscience qu’elles ont un énorme retard de communication par rapport à ce qui se passe dans les pays anglo-saxons. […] Les groupes français doivent combler ce retard à marche forcée. » (L’Écho des start-up, 19.08.99). Deux ans plus tard, Ramina pourrait bramer à la « une » du QVM : « Nous sommes tous américains ! » (13.09.01).

Après les attentats du 11 septembre 2001, Jean-Marie Messier détecta un nouveau retard, le « retard à la récupération de la contestation » : « On découvre combien les Occidentaux sont en retard. Ils n’ont pas voulu voir les désorganisations, les inégalités de développement, l’absence de contre-pouvoir, tout ce qu’avaient souligné les mouvements anti-mondialisation. » Le patron de Vivendi concluait : « Il faut établir un vrai dialogue entre les cultures si l’on veut éviter un choc de civilisation 15 » Pour débattre de quoi ? D’un monde devenu plus complexe.

Poussières de l’air du temps

« Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est accepter la complexité de la situation et accepter la complexité des politiques nécessaires et cesser tous les tabous, tous les discours idéologiques qui font perdre un temps considérable et ne servent à rien. » Le 4 février 2001 sur France Culture, Jean-Claude Casanova, ex-conseiller de Raymond Barre et éditorialiste associé au Monde, ramassait en une phrase les poussières de l’air du temps. Alain Minc ne peut pas écrire dix pages sans hoqueter : « La société est plus complexe. 16 » Chaque éditorial du Quotidien vespéral des marchés précise : « La réalité est sans doute plus complexe. » (QVM, 06.04.02) Et René Rémond, l’une des épluchures les plus racornies de Sciences-Po, n’ouvre encore la bouche que pour bredouiller : « C’est aujourd’hui une banalité de dire que la complexité est le maître mot des réalités sociales. 17 » C’est assurément le maître-mot d’une génération d’intellectuels-journalistes parvenus et paresseux. Formés à la domesticité dans les écoles du PPA, ces vils godelureaux sont gavés au berceau : « L’étudiant sortant de Sciences-Po doit être capable de penser la complexité et les dynamiques du monde, à la fois un et divers, dans lequel il va exercer ses activités », expliquait le programme des « enseignements » de 1997 18.

Les nigauds de la complexité

Pour Jean-Marie Colombani [Ramina], il faut être « tous américains » car « la réalité américaine, elle est diverse, elle est complexe » (France 5, 07.04.02).
Pour Edwy Plenel, directeur de la rédaction du Monde et Roi du téléachat sur LCI, il fallait lire la biographie de BHL sur Sartre : « C’est un éloge, justement, de l’erreur, de l’ambiguïté, de la complexité. » (LCI, 14.01.00)
Pour Maurice Szafran, Laisse d’Or de PLPL, il fallait aussi lire BHL : « Le Sartre de Lévy fut salué comme un livre important, redonnant du sens et de la complexité. » (Marianne, 22.10.01) Lire ensuite le journal du plagiaire servile Alain Minc : « Le plus influent conseiller du capitalisme français laisse apparaître une vision politique complexe, nuancée. » (Marianne, 11.02.02)
Pour Josyane Savigneau, rédactrice en chef du Monde des livres et Laisse d’Or de PLPL, il faut lire le livre du renégat Hervé Hamon car l’auteur « apprécie la vie dans sa complexité » (QVM, 09.03.00).
Pour Daniel Schneidermann, « il y a un journalisme dans lequel moi je me reconnais : le journalisme du « c’est plus compliqué que ça » » (Bouillon de culture, France 2, 28.05.99).
Pour le PS, il faut lécher les classes moyenne qui lisent Minc, BHL et Hamon car « cette partie de la population, dont le sentiment profond est qu’elle mène une existence toujours plus dure et toujours plus complexe, est le socle même sur lequel repose notre démocratie » (Dominique Strauss-Kahn, La Flamme et la cendre, Grasset, 2002).
Pour Laurent Mouchard-Joffrin, il ne faut pas interdire les licenciements car « les emplois détruits d’un côté sont recréés ailleurs dans un jeu incessant, complexe et souvent douloureux. L’interdiction du licenciement est évidemment intenable » (Le Nouvel Observateur, 16.09.99, à l’annonce des licenciements chez Michelin).
Pour Zaki Laïdi, demi-cervelet du consultant footballistique Daniel Cohn-Bendit, un intellectuel est « un réseau de spécialistes capables d’analyser professionnellement les réalités complexes du monde » (Libération, 11.01.01)
Jeu : pourquoi Zaki Laïdi refuse-t-il de « réduire les enjeux de la libéralisation du commerce mondial à un affrontement entre les partisans du « tout marché » et les adversaires de cette évolution » ?
Car « la réalité est plus complexe » (Libération, 24.12.01).

Pour Le Monde, trois mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, « Il est sain, normal et heureux que cette question de la sécurité soit au cœur de la campagne électorale qui s’annonce. Il est de bonne pratique démocratique que partis et candidats s’affrontent sur le sujet : l’affaire est complexe » (éditorial 29.01.02)
Pour PLPL, les choses sont simples : les patrons plastronnent, la gauche capitule et les médias mentent.
    

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12. Communiqué du bureau du Conseil exécutif du Medef, 29 avril 2002.
13. Pierre Favier et Michel Martin-Roland, La Décennie Mitterrand. IV - Le déchirement, Seuil, 1999, p. 626.
14. Le QVM-Économie daté du 9 octobre 2001.
15. Cité par le QVM daté du 31 octobre 2001
16. Alain Minc, Le Fracas du monde, Seuil, 2001, p. 10.
17. Cité par le sociologue sardon Alain Garrigou dans Les Élites contre la République, La Découverte, 2001. Le PPA a évidemment censuré tout compte rendu sur cet ouvrage.
18. Ibid.