numéro 10

  

Pour lire pas lu

Pour Lire
Pas Lu

 

   

   

trait.gif (119 octets)

   

index général

  

Leurs crânes sont des tambours...

Le journal qui mord et fuit...  

Prix : 10 F 

 

 

  

trait gris

   

 

Cherchez sur

Ce   Site



   

Imprimez !
Imprimez
cette page !

 

Abonnements

  


Enfin pris ? achève les faux impertinents

Le nouveau film de Pierre Carles 

 

Daniel Schneidermann, le plumeau qui nettoie la télé

 

Dans un petit livre âcre et verbeux, Daniel Schneidermann définit ainsi la tâche dont il se croit habité : « Quand à moi, je vais poursuivre mon chemin de journaliste, c’est-à-dire continuer à marcher vers ce scintillant mirage : la Vérité. (1) » Comme le chemin risquait d’être long, la Vérité, compatissante, a bien voulu l’attendre au coin du bois. Il était dit que tôt ou tard elle jaillirait du bas-côté pour mordre Schneidermann à l’endroit le plus volumineux de son anatomie : ses chevilles. Avec Enfin pris ? le nouveau film de Pierre Carles qui sortira en septembre 2002, c’est chose faite.


Depuis longtemps déjà, les Sardons savaient à quoi s’en tenir sur le compte du producteur d’Arrêt sur images, l’émission du dimanche (sur France 5) qui assure sa notoriété : fausse impertinence érigée en prétention critique, déférence attendrie pour ses invités les plus dodus (Jean-Marie Messier), autopromotion frénétique pour les médiocres ouvrages qu’il publie à raison d’un camion d’invendus par an, voilà quelques-uns des traits marquants de celui qu’Arnaud Viviant, son ancien collaborateur, appelle le « petit roquet aux dents longues ». Toutefois, il n’était pas rare que des esprits méritants mais influençables avouent une certaine faiblesse pour le « critique » à qui ils savaient gré de « décrypter » la lessive télévisuelle —quand le Petit Roquet ne faisait qu’y ajouter ses propres bulles. Ses chroniques dans le supplément télé du Monde —un tapis roulant de platitudes acidulées, habillées de quelques imparfaits du subjonctif— alimentaient l’image de l’érudit matois et persifleur.

Mais c’en est fini des demi-teintes. Le vernis critique dont Schneidermann se badigeonne en permanence n’est plus mentionné aujourd’hui qu’à titre de circonstance aggravante. Par exemple, lorsqu’il prétend « analyser » le discours sécuritaire en conviant sur son plateau le maire RPR de Mantes-la-Jolie, Pierre Bédier, et le collectionneur de montres de luxe Julien Dray : deux partisans de la schlague policière et des maisons de redressement pour un simulacre de débat pluraliste (19.05.02). Ou encore lorsqu’il embauche pour son émission le benêt Philippe Vandel, ex-tête à claques chez Canal Plus, qui avait longuement bichonné Schneidermann à Nulle part ailleurs au moment où ce dernier faisait la tournée des plateaux pour promouvoir sa risible apologie du journalisme de révérence. Quant à ses chroniques dans le QVM, plus personne ne prend la peine de les déchiffrer —ce qui est dommage, d’ailleurs, tant sa « critique des médias » s’y exprime avec éclat. Pour preuve, cette élégie en hommage à Bernard Pivot, quand l’émission Bouillon de culture a rejoint la poubelle que son insignifiance réclamait : « D’abord, c’est tout simple, le cœur se serre. Il se serre de voir s’éloigner celui qui depuis notre adolescence incarnait un certain génie français à lier le plaisir et l’esprit, un bonheur d’harmonie et d’écoute, et ordonnait chaque semaine un spectacle de paroles tout en fluidité et en transparence. Fluide et transparent : ce fut une sorte de ballet, Apostrophes, puis Bouillon de culture, un long ballet et quelques milliers d’actes, enjambant les décennies. » (Le Monde, 1-2.07.01) Il est vrai que Pivot invitait assidûment le fat Schneidermann. Or, ce dernier souffre non seulement d’une hypertrophie des chevilles mais aussi d’une reconnaissance du ventre qui crie famine.

Parfois, ce mal qui le ronge le courbe littéralement en deux, dans une position qui bafoue la dignité de la personne humaine. Scandalisé qu’on puisse trouver « cyniques » ses camarades Alain Minc, BHL et Alain Duhamel, le Roquet aux dents longues s’exclame, nez au sol : « Des cyniques, oui, mais bien autre chose aussi. Des cyniques, mais dont le cynisme, toujours contenu, n’a pas dévoré le talent, la curiosité, la faculté d’indignation, la capacité de renouvellement. […] Qui a trié Alain Minc ? Ou Bernard Henri-Lévy ? Rien d’autre que leur habileté, leur talent, leur travail, leur sincérité. Personne d’autre. (2) » Et lorsqu’il délaisse la brosse la reluire, c’est pour actionner la laverie automatique et purifier à grandes eaux moussantes tout son corps de métier, à commencer par ses employeurs du QVM : « Il m’a toujours semblé, sur l’euro par exemple, ou sur le référendum concernant Maastricht, que les médias traduisaient la diversité des approches. Ce n’est pas sans débats internes. Au Monde, pendant la guerre du Golfe, cette pluralité s’est traduite dans les colonnes du journal, j’en ai un souvenir très précis. » (L’Humanité Hebdo, 04.06.98) Le pilonnage pro-OTAN des médias pendant l’opération du Kosovo ? « Le traitement a été très différent de celui de la guerre du Golfe. Beaucoup de dérives ont été évitées au Kosovo. » Parions qu’à la prochaine guerre appuyée par les amis de Schneidermann, ce dernier saura en tous points confirmer sa « capacité de renouvellement » en expliquant que le traitement, une fois encore, aura été « très différent ».

Cirer les godillots d’une corporation que l’on se fait gloire de « critiquer » —n’est pas sans évoquer le paradoxe du dératiseur faisant élevage de rats. La différence est que le Roquet aux dents longues, lui, n’est pas du tout incohérent. Jamais il n’entrera en contradiction avec la tâche qu’il s’est fixée : se tailler un magistère dans un domaine quasiment vierge de toute concurrence —« décrypter » la télé en faisant de la télé— afin d’accéder à une position susceptible d’impressionner ses invités de marque et d’être à son tour invité par eux. Ce faisant, il pourra en effet espérer tenir table égale avec des Minc, des Cavada, des Duhamel et des Plenel.

Pierre Carles

C’est cette stratégie de carrière que dévoile le réalisateur sardon Pierre Carles dans son nouveau film. Dernier volet d’une série entamée avec Pas vu pas pris et poursuivie avec La sociologie est un sport de combat, Enfin pris ? opère la jonction entre son approche de la sociologie de Pierre Bourdieu et sa démolition des médias (qui mentent), lesquelles convergent ici dans deux Arrêt sur images de grotesque légende. Le premier remonte à 1996 : invité à l’émission de Schneidermann, Bourdieu se retrouve à devoir ferrailler contre ses « contradicteurs » Jean-Marie Cavada et Guillaume Durand, qui lui coupent la parole, l’inondent de lieux communs et s’emploient, par bêtise plus que par fourberie, à rendre inintelligible l’exposé de ses thèses. Les extraits reproduits dans le film de Carles illustrent par l’absurde la démonstration du sociologue sardon : le cadre du « débat démocratique » est non seulement inapproprié à la diffusion d’une parole dissidente mais constitue un mégaphone permettant —consciemment ou pas— d’amplifier le caquetage des dominants. Le second Arrêt sur images date de décembre 2000. Quatre ans après avoir expliqué au sociologue sardon qu’il ne pouvait pas recevoir dans son émission un invité sans contradicteur au risque de trahir la démocratie, Schneidermann va prouver le contraire. Car ce jour-là, il reçoit un grand patron balladurien. Seul. La lettre qui suit lui sera alors envoyée par Pierre Carles : « C’est avec un grand intérêt que j’ai constaté que tu venais d’accorder à Jean-Marie Messier à Arrêt sur images ce que tu avais refusé à Pierre Bourdieu en 1996 : une émission entière pour s’exprimer sans contradicteur. Je te félicite d’avoir fait ce choix courageux. Je suis bien d’accord avec toi : on ne donne pas suffisamment la possibilité aux PDG de multinationale de s’exprimer à la télévision et il y en a vraiment assez de l’omniprésence de certains chercheurs en sciences sociales sur le petit écran. On n’entend qu’eux, on ne voit qu’eux, et je me demande si cette hégémonie, en fin de compte, ne nuit pas gravement à l’équilibre du pluralisme et aux exigences du débat démocratique, comme tu m’en faisais judicieusement la remarque il y a quatre ans au moment de l’invitation de Pierre Bourdieu à Arrêt sur images… J’espère que tu ne te laisseras pas influencer par certaines critiques qui suggèrent qu’il y aurait deux poids deux mesures à Arrêt sur images. Un petit conseil : laisse gloser les jaloux et les aigris, ignore leurs insinuations malveillantes et concentre-toi sur ton plan de carrière. Tiens bon, Daniel. »

Ah ! il était venu avec le sandwich !!

Enfin pris ? dévoile la servilité avec laquelle Schneidermann arrange son entretien avec Messier. Avant l’émission, le « critique des médias » favori des ménagères raffarino-fabiusiennes de moins de 50 ans s’engage auprès du Maître à ne pas évoquer le sujet —potentiellement explosif— des comptes de Vivendi. Le Roquet démontrait là une remarquable intuition de professeur de journalisme puisqu’un an plus tard l’affaire des comptes de Vivendi ferait les gros titres de la presse [lire notre dossier]. Schneidermann n’a jamais caché les bienveillantes intentions qu’il nourrit à l’égard de ses puissants convives : « Oui, j’accepte, quand ils le souhaitent, une conversation téléphonique préalable avec les invités d’Arrêt sur images, pour les avertir des sujets sur lesquels ils vont être interrogés et —horreur suprême !— m’enquérir parfois des sujets sur lesquels eux-mêmes souhaitent insister. Le procédé consistant à tirer de sa mallette une botte secrète pour déstabiliser son interlocuteur s’apparente à mes yeux au vol : on vole à son interlocuteur une réaction. Autant dire que je n’estimais pas que la censure par Canal+ du film commandé par Pierre Carles soit totalement injustifiable. C’est un film journalistiquement malhonnête, de mauvaise foi, qu’une chaîne était en droit de refuser de diffuser. (3) »

Cependant, l’empressement avec laquelle le Petit Roquet aux dents longues a joué au pédicure de Messier (la chaussette trouée du Maître était au centre des débats) ne s’explique pas uniquement par son souci bien connu d’« honnêteté ». PLPL est en mesure de révéler l’arrière-pensée que nourrissait Schneidermann au moment d’embrasser la cause du Patron (à défaut de ses chaussettes) : se faire bien voir d’un futur employeur éventuel. « Daniel a toujours rêvé de déménager son émission sur Canal+, car il jugeait l’audience de La 5e trop inférieure à son statut, témoigne une Sardonne qui a travaillé pour lui. C’est aussi la raison pour laquelle il s’est immédiatement désolidarisé de Pierre Carles quand celui-ci a été censuré par Canal+. Hélas pour lui, Messier et Lescure ne lui ont jamais renvoyé l’ascenseur. Et maintenant, avec les problèmes de Vivendi, l’affaire semble définitivement compromise. » Qu’il se console, un « scintillant mirage » l’attend à la rentrée, dans toutes les salles de cinéma sardonnes. PLPL sera là…

trait gris

1. Daniel Schneidermann, Le journalisme après Bourdieu, Fayard, 1999.
2. Ibid.
3. Ibid.