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uelques
rebelles en lévitation dans un monde chimérique continuent
de croire qu’un « débat » dans
la presse ou à la télévision, ça ne
se refuse pas. Pourquoi ? Parce que journalistes et animateurs
ont installé l’idée selon laquelle les forums
cathodiques et les pages « rebonds » constitueraient
des « démocraties miniatures », des
laboratoires du pluralisme. Lecteur sardon, concentre ton attention :
dans quelques minutes, PLPL aura ruiné cette illusion.
Le
sociologue Sébastien Rouquette a analysé la composition
socio-professionnelle des plateaux de près de 400 débats
télévisés diffusés entre 1958 et 2000
1.
Quels individus les animateurs sélectionnent-ils avant de
nous les présenter comme des « citoyens ordinaires » ?
En 1989-1990 les plateaux de débats télévisés
ne comptaient que 10 % d’ouvriers et d’employés
invités à s’exprimer, alors que ces deux groupes
représentaient plus de 60 % de la population active.
Les classes populaires étaient donc six fois moins présentes
dans les débats médiatiques dits « démocratiques »
que dans l’ensemble de la société. Lorsqu’on
les convie à débattre, ouvriers et employés
ne sont pas interrogés sur les « questions de
société » ou sur la situation internationale.
Ils doivent se contenter de témoigner de leurs expériences
personnelles qui seront « analysées »
par les experts et les journalistes.
Pour
les cadres et professions intellectuelles supérieures, la
situation est un peu différente : 53 % des invités
appartenaient à ce groupe, qui ne totalisait alors que 10 %
de la population active. Mieux : la moitié de ces bourgeois
éclairés qu’on nous présente comme des
« citoyens ordinaires » étaient...
journalistes ou artistes. Ce résultat inouï ne surprend
pas PLPL : le PPA a construit l’univers des
palabres télévisées à son image; puis
il a donné à ce dispositif le nom de « débat
démocratique ».
À
la fin des années 1990, la situation n’avait pas vraiment
changé. Et l’on peut imaginer les résultats
d’un comptage analogue dans les pages « débats »
du Monde ou dans celles de Libération lorsqu’on
sait que le filtrage social est beaucoup plus sévère
dans la presse écrite qu’à la télévision.
« 7 D’OR » ? NON, LAISSE D’OR !
Longtemps présentée comme un modèle de débats
de société, « La Marche du siècle »,
animée par Jean-Marie Cavada (France 3, 1987-1999) illustrait
la puissance de cette censure. Sur un échantillon de 477
invités, Sébastien Rouquette a dénombré
0,2 % de représentants syndicaux. Parmi les invités
en qualité de « professionnels » (conviés
à parler de leur métier), Cavada ne s’est pas
encombré des catégories populaires. Proportion d’ouvriers :
0,7 %; proportion d’employés : 0,7 %.
En revanche, les cadres et professions intellectuelles supérieures
comptent pour 74,6 % des invités ! Le rapport s’établit
donc à un ouvrier ou employé invité à
parler de son métier pour 50 cadres ou professions intellectuelles
supérieures. Le Parti de la presse et de l’argent (PPA,
que PLPL détruira) a salué la prouesse :
Cavada a reçu le « 7 d’Or » du
meilleur animateur de débats.
Michel
Field, ex-trotskiste de la LCR, avait alors pâli de jalousie :
le pourcentage d’ouvriers conviés à son émission
« L’Hebdo » (Canal +, 1994-1997)
au titre de « citoyens ordinaires » était
très exactement égal à zéro. Les représentants
syndicaux totalisaient pour leur part 2,5 % des invitations.
Ébloui par cette performance, Le Monde avait qualifié
les émissions de Field de « vrais débats
de société » réunissant « tous
les acteurs sociaux et économiques » 2.
Le chercheur Sébastien Rouquette sort de ses gonds :
« Cette arène collective n’a jamais
été démocratique ! » (p. 125)
Associer
« débats » et « démocratie »
ne berne que les fanfarons narcissiques. Embarrassés, ils
couinent : « Plutôt que de boycotter les débats,
saturons-les pour rétablir l’équilibre social. »
Vœux pieux pour tartineurs de formules creuses ! Rouquette
démontre que « quelles que soient les évolutions
sociales, la proportion des intervenants populaires ne bouge pas »
depuis 40 ans (p. 125) : ni les alternances politiques,
ni les évolutions économiques, ni la secousse de Mai
68 n’ont pu la modifier. La censure sociale opérée
par le PPA est donc un effet de structure. PLPL détruira
le PPA
1.
Sébastien Rouquette, L’Impopulaire Télévision
populaire. Logiques sociales, professionnelles et normatives des
palabres télévisées (1958-2000), L’Harmattan,
Paris, 2001.
2. Le
Monde radio-télévision, 02.12.96, cité
par Rouquette, op. cit. p. 64. |