Pour lire pas lu

Pour Lire
Pas Lu

 

   

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Leurs crânes sont des tambours...

Le journal qui mord et fuit...  

Prix : 2 euros 

 

  

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dossier
Made in CFJ

LES ÉCOLES DU PPA
Le sardon François Rufin a enquêté dans la promotion 2002 de l’école du PPA. Jour après jour, il a noté au mot près les propos des formateurs, des intervenants extérieurs, de la direction de l’établissement, les réactions des étudiants. Il en a tiré un livre, Les Petits Soldats du journalisme, Éditions Les Arènes, février 2003.

 

    
Sauf par provocation, proposer une couverture sur « la condition ouvrière » ne viendrait pas à l’esprit des étudiants, désormais ajustés aux attentes de leurs premiers lecteurs : les enseignants. Excités par « l’actualité » d’un « quartier de l’horreur pédophile 3», ces derniers expédient leurs ouailles à Outreau, une ville populaire du Pas-de-Calais. Des rues comme les autres. Des tours comme ailleurs. Des HLM ni mieux ni pires que partout. Avant le départ, pourtant, une intervenante du Nouvel Observateur (ancienne du CFJ) raconte la ville : « Ça puait la soupe aux choux, le pipi de chat, vraiment le quart-monde. » Un salarié du Monde (lui aussi ancien du CFJ) renchérissait : « Y’avait des obèses, des à qui il manquait des dents, on ne comprenait rien à ce qu’ils disaient. » Ce racisme social se retrouvera dans les colonnes des deux grands journaux « de gauche » du groupe QVM : « Sur le palier décrépi du troisième étage, Yann, trente ans, se tient à côté d’une porte qu’il vient de défoncer à coups de pieds. Son haleine empeste l’alcool. […] Sa jeune compagne, en pleurs, [a] le visage rougi, enlaidi par une incisive manquante. » (Le Monde, 12.01.02) « Monter les marches qui mènent vers les appartements […], c’est pénétrer dans un autre univers. […] Ici, on cuisine un chou au son criard d’une télévision. Là, un couple se dispute violemment. » (Le Nouvel Observateur, 24.01.02) Pour ces journalistes comme pour la totalité des étudiants de la promotion, les classes populaires appartiennent en effet à « un autre univers » (lire encadré).

  

  

  

  

LA SÉLECTION SOCIALE
DES LARVES DU PPA

Parmi les 54 élèves de la promotion 2002 du CFJ, aucun enfant d’ouvrier, de cheminot, de caissière : 54 élèves qui se ressemblent, dont les parents sont professeurs, médecins, magistrats, ingénieurs, commerciaux, etc. 14 Lorsqu’ils intègrent l’école du PPA, les apprentis journalistes sont déjà titulaires de maîtrises d’histoire, de DEA de lettres. Des bac+3 au minimum, des bac+5 à la pelle. Et surtout, des diplômés « Sciences Po ». Un tiers de l’effectif du CJF est enrôlé à la sortie de cet autre incubateur de vers à soie du PPA. Les épreuves d’entrée (cartographies, questionnaire d’actualité, dissertation sur l’état de la France) sont similaires. Les références culturelles, identiques. Les ratés de Sciences-Po finissent au CFJ, les autres à l’ENA. C’est l’historien catholique racorni René Rémond qui préside à la fois le jury du CFJ et la fédération des Instituts d’études politiques. L’objectif de l’enseignement est à peu près le même dans les deux institutions, comme le suggère Alain Lancelot, ancien directeur de Sciences-Po : « Nos étudiants apprennent à problématiser n’importe quel sujet, ils savent construire une argumentation et ils savent la mobiliser dans un temps court sans endormir leur auditoire. Croyez-moi, par la suite, on entend la différence. » Et La sélection sociale y est tout aussi drastique. Sciences Po « s’est encore embourgeoisé depuis dix ans », note le sociologue sardon Alain Garrigou. De 1987-1988 à 1997-1998, la part des enfants d’ouvriers est passée de 1,5% à 1% (contre 27% dans la population active française), celle des employés de 2,5% à 2% (30%), tandis que le sous-total des enfants de classes supérieures passait de 77 à 81,5% 15.

   

 

 

  

Petits soldats du journalisme

« Sans documentation, pas de journalisme », plastronnait en 1996 une brochure du l’école 4. Le CFJ se targuait alors d’une bibliothèque « exceptionnelle, souvent enviée et consultée régulièrement par les chercheurs et les historiens de la presse ». Le CFJ n’a plus ni bibliothèque ni documentation. Officiellement « en cours de transfert »… depuis quatre ans. En réalité, on a décidé de « réduire les coûts ». À la place des « 11 500 volumes, 209 périodiques, 2 000 dossiers thématiques » d’antan, on a installé « la direction générale, les ressources humaines, la gestion-comptabilité et la toute nouvelle rédaction en chef du site web du CFPJ » 5. Mais l’enquêteur de PLPL est formel : « Jamais cette bibliothèque n’a manqué à notre enseignement. Jamais un permanent ne nous a conseillé la lecture d’un ouvrage. Hormis la directrice du CFPJ, qui, lors d’une conférence de Roger Pol-Droit, philosophe au Monde, brandissait son dernier opus à bout de bras et nous haranguait comme une bonimenteuse : “Il vient de publier Les religions expliquées à ma fille, achetez-le, courez l’acheter en sortant de ces rencontres.6» L’absence de bibliothèque favorise la « pédagogie CFJ ». Pour livrer aux entreprises du PPA ses légions de techniciens efficaces et rapides, nul besoin de lire. Cela ferait chuter la productivité. Comment réaliser un reportage de 1 minute 30 secondes relatif à la situation en Côte d’Ivoire si on a consulté plusieurs ouvrages sur le sujet ? Une connaissance du dossier encouragerait à des raffinements qui encombreraient le format. Une seule issue : s’en tenir aux idées reçues.

La mythologie professionnelle ressasse la figure du grand reporter ou du journaliste « d’investigation » tenace, curieux et impertinent. Mais le CFJ préfère façonner des sténographes vissés devant leur écran et sachant dire « Oui chef ! » Le bon élève passe le plus clair de son temps dans les locaux et ingurgite un maximum de dépêches. CFJ-Notre Journal, le bulletin interne de l’école, chante ainsi l’apprentissage du journalisme moderne : « Tapotement constant sur les I-Mac bleus disposés en arc de cercle, course poursuite à travers les étages, discussions animées autour d’un café serré, ponctuées de bruyants fous rires, projets d’articles, rêves futiles de vacances, un Libé solidement accroché à la main… Scènes de la vie ordinaire d’un étudiant du CFJ. » Pas une de ces « scènes de la vie ordinaire » ne se déroule hors de l’école. Une élève : « Soit on se met dans un coin, pour qu’ils nous oublient, soit on simule l’activité… mais si tu sors, ils te repèrent. Moi, le soir, j’allais aux congrès, aux réunions politiques, et eux me reprochaient mon absentéisme. Du coup, je suis restée ici, à surfer sur Internet. »

Made in CFJ

La pédagogie de la soumission complète la formation du petit soldat du journalisme. Sous prétexte d’habituer les étudiants à l’autoritarisme de leurs futurs chefs moustachus et amateurs de cigares, la direction du Centre multiplie les mesures vexatoires. Tout retard, toute absence de zèle est dénoncée au directeur et sanctionnée par un « avertissement » ou par une menace d’exclusion. Une déviance millimétrique se traduit par un passage devant le conseil pédagogique pour « indolence ». Il faut assouplir les échines pour les préparer aux trépignements de Mouchard et aux contraintes de la précarité. Les UV (unités de valeur) sont accordées selon des appréciations subjectives et floues (« disponibilité », « écoute ») : un élève « opiniâtre et léger, un peu entêté, […] taciturne et rêveur » fut traduit en conseil de pédagogie. Verdict du directeur : « La deuxième année sera pour vous une période probatoire où on attend de vous que vous normalisiez votre comportement. » Pour la plupart, ce genre de réprimande est inutile.

« Est-ce que vous croyez qu’on peut interroger Monsieur d’Arvor sur son interview de Fidel Castro ? » Avant de s’autoriser pareille impertinence, Anne avait consulté le directeur. Il préconisa l’abstinence, tout en la laissant bien sûr libre de… Le lendemain, un encadrant, ex-rédac’chef du Monde (journal associé à TF1 lors de la dernière élection présidentielle), clarifia : « Évitez de le questionner sur son bidonnage à Cuba. C’est un peu convenu et ça risque de le blesser gratuitement. Chacun commet des erreurs dans sa vie. Inutile de remuer le couteau dans la plaie. » Chacun se le tint pour dit : après tout, TF1 est un employeur potentiel…. Un autre soir, après la venue du président du CSA d’alors, Laisse d’or de PLPL (n° 2-3, presque épuisé), le directeur félicita son troupeau : « Hervé Bourges vous a trouvé très bien, très sages. Il m’a même raconté, je vous fais une confidence, qu’il avait donné la leçon inaugurale, en début d’année, à l’ESJ de Lille. Vous savez qu’il est président de cette école… Et les étudiants lui avaient posé des questions, mais agressives, déplacées. Il a dû sermonner le directeur des études. Eh bien hier, il a pu comparer avec vous, et il vous a trouvé très très bien. »

Les journalistes-enseignants ne font eux-mêmes qu’obéir aux ordres. « La doctrine du CFJ, se défend le responsable, elle est établie là-haut. Elle dépend du CA et de la direction. Nous ne sommes pas le pouvoir décisionnaire. » Un Conseil d’administration où ne siègent ni étudiants, ni enseignants, ni syndicalistes. Seulement les mécènes bienfaiteurs du Centre, dirigeants de TF1, de France 2, de Canal+… Le responsable des « première année » a expliqué : « Ça fonctionne comme dans n’importe quelle entreprise. Si vous voulez influer sur l’école, donnez votre argent au CFJ et vous entrez au Conseil d’administration. »

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3. Libération, 11 janvier 2002.
4. Mémoires pour un cinquantenaire 1946-1996 (p. 137-141), édité en 1996 par l’Association des anciens élèves du CFJ.
5. CFJ-Notre Journal, n° 50, février 2000
6. Les cliniciens sardons ont repéré ce symptôme dés 1997 chez Edwy Plenel, animateur d’une émission de téléachat littéraire sur la chaîne Bouygues-LCI. PLPL a immédiatement lancé une étude sur les risques de contagion du téléachat moustachu. Le principe de précaution devrait être appliqué sans délai et avec la même rigueur que lors de l’épisode de la vache folle.
14. Questionnaire administré en collaboration avec PLPL et rempli par les deux tiers des promotions 2002 et 2003.
15. Source : Alain Garrigou, Les Élites contre la République, La Découverte, 2001, p.148. Le Roi du téléachat a interdit que le QVM mentionne l’existence de ce livre : Ramina « enseigne » en effet à Sciences-Po dont la bibliothèque commande tous les ouvrages d’Edwy Plenel sitôt qu’ils sont humidifiés par les langues de BHL et de Thierry Ardisson.