RÉFÉRENDUM corse : LE PPA HUMILIÉ
« Tous perdants » ?

 

Le 6 juillet 2003 au matin, les médias (qui mentent) semaient des pétales de rose sur le chemin d’un isoloir qui, selon eux, conduirait le fier peuple de Corse vers les contrées radieuses de la réforme, la modernité, la démocratie, etc. Le soir de ce même 6 juillet, les journalistes fulminaient contre ces insulaires primitifs trop paresseux pour saisir la main tendue et sortir d’un archaïsme dans lequel ils croupissent depuis toujours. Entre-temps, la victoire du « non » (à 50,98 %) au référendum sur le statut de la Corse a humilié le Parti de la presse et de l’argent (PPA).

Les consignes étaient pourtant claires. « Je crois que si j’étais corse, je voterais oui », avait claironné Jean Daniel (Le Nouvel Observateur, éditorial, 24.06.03), tandis qu’Alain Duhamel, en campagne pour « l’expérimentation, la réforme, quelque chose de nouveau », prévenait qu’en cas de victoire du « non » « c’est surtout pour les Corses que ce sera à ce moment-là une déconvenue » (RTL, 04.07.03). Le Quotidien vespéral des marché (QVM, ex-Le Monde) et son directeur Ramina, alias Jean-Marie Colombani, avaient tout misé 1 sur ce « Pari Corse » : « Voter “oui”, le 6 juillet, c’est exprimer la conviction que l’on peut faire la Corse sans défaire la France » (éditorial du 28.06.03).

Le soir du résultat, Béatrice Schönberg, la voix tremblotante et la mine déconfite, parle d’un « enjeu mal compris » (France 2, 20 h, 06.07.03). Chez les Raministes, c’est la consternation. Pâle de rage, la chefaille du QVM éditorialise sur « l’échec Corse » et expose sa singulière conception de la démocratie : « En Corse, comme à Paris, ce premier référendum régional ne fait guère que des perdants. » (08.07.03) Avec l’art de transformer une minorité en majorité, Daniel Bilalian annonce au lendemain du résultat un « réveil douloureux à Ajaccio » (France 2, 13 h, 07.07.03), où le « non » l’a pourtant emporté à 52,28 %. « Pile je gagne, face tu perds », la philosophie électorale du PPA se résume à cette formule. Qu’une majorité se dégage au Danemark pour rejeter le traité de Maastricht, que les Irlandais votent contre le traité européo-capitaliste de Nice ou que les salariés d’EDF se prononcent contre la réforme libérale des retraites, les journalistes qualifieront d’« échec » la victoire du « non » 2. Comme lors des grèves de novembre-décembre 1995 ou du mouvement social du printemps 2003, l’alternative est limpid  : on est favorable aux projets gouvernementaux ou adversaire du progrès. Face à Émile Zuccarelli qui explique que la réforme était mauvaise, Jean-Pierre Elkabbach, apparemment tombé dans un profond sommeil, sursaute et hurle : « C’est-à-dire que la Corse ne veut pas de réforme ? ! » (Europe 1, 07.07.03) France Inter, TF1, Libération reprennent l’expression employée par Nicolas Sarkozy et Jean-Pierre Raffarin au soir du scrutin : la Corse a choisi « le statu quo » (07.07.03). Et, comme l’avait expliqué Alain Duhamel, « le statu quo en Corse, c’est le clanisme, c’est le clientélisme, c’est le conservatisme, et encore, pour être gentil ». (RTL, 04.07.03). De son côté, le plagiaire récidiviste Jacques Attali analyse en la victoire du « non » le symptôme d’une « démocratie en danger », puisque les « mouvements extrémistes, de droite comme de gauche », « Jean-Marie Le Pen et Marie-Georges Buffet », « étaient les figures de proue nationales du non » (L’Express, 10.07.03).

Le bon peuple se montrant régulièrement incapable d’utiliser le suffrage universel pour ratifier les décisions du PPA, on s’interroge sur l’utilité du vote. « La force participation électorale des Corses témoigne, certes, que les citoyens sont prêts à prendre la parole quand on la leur donne ; mais elle atteste aussi que ce n’est pas sans risque », regrette le QVM (éditorial, 08.07.03). Dès qu’on donne aux gueux la possibilité de s’exprimer, « immédiatement ils se querellent », s’étrangle Alain Duhamel (RTL, 24.06.03). Il faut dire que la victoire du « non » « manifeste la solide persistance de clans accrochés à l’actuel système institutionnel » (Claude Imbert, Le Point, 11.07.03), dans une île où « le grand nombre d’élus politiques favorise la persistance du clientélisme » (Jean-Louis Andreani, QVM, 9-07-03), et où sévissent encore « des formes archaïques de solidarité locale » qu’Alain Duhamel rêve d’éradiquer de ses petites mains potelées (RTL, 07.07.03).

Jean Daniel, qui a sans doute rédigé une thèse d’anthropologie corse dans son palace marocain, avance une autre hypothèse : les réfractaires souffriraient de troubles psychiatriques, un peu comme les enseignants grévistes décrits par les médias comme des « psychotiques » (lire PLPL n° 15, juin-août 2003). Le directeur du Nouvel Observateur décèle chez les Corses « ce que Lévi-Strauss appelle un “inconscient structural” qui les conduit à une véritable schizophrénie » et, finalement, à une « paralysie mentale » [sic] (Le Nouvel Observateur, 24.06.03). Cerise sur le gâteau, l’île est peuplée de fonctionnaires et de retraités — un cauchemar pour le PPA.

Le sociologue jaune Michel Wieviorka, victime d’une crise d’urticaire à chaque énoncé du mot « peuple », a vite fait le lien entre toutes ses démangeaisons : « La mobilisation contre la réforme des retraites […] ; le mouvement, plus large et complexe, des enseignants en mai et juin derniers ; le vote non en Corse, une île où la fonction publique pourvoit massivement l’emploi, ont mis en avant, pour l’essentiel, des catégories protégées par un statut. » (Libération, 14.08.03.) Lui même payé par l’État, il est aussi incompétent qu’il se montre bavard (et moustachu). Au fond, n’a-t-on pas fait preuve de naïveté en confiant les rênes de leur destinée à un ramassis de ronds-de-cuir ? Claude Imbert : « Il fallait une certaine candeur pour imaginer que les Corses répondraient dans le référendum […] à la question posée. » (Le Point, 11.07.03) Là encore, Purée Froide [Alain Duhamel] avait prévenu : « Il se trouve que, quand on interroge les Français sur un référendum, naturellement ils répondent à autre chose. Et que les Corses sont, de ce point de vue, très français. On leur demande donc quel doit être leur statut, ils vont répondre qu’ils sont furieux de la réforme des retraites. Comme en Corse il y a le pourcentage le plus élevé de retraités et de fonctionnaires, c’est donc extrêmement dangereux. » (RTL, 24.06.03). Une fois de plus, les fonctionnaires sont identifiés comme le « moteur du refus » (Libération, 07.07.03).

Après avoir rangé les petits fours et le champagne prévus pour célébrer la victoire du « oui », les médias (qui mentent), désormais persuadés que « la Corse n’inspire qu’elle-même, et rarement avec succès » (Claude Imbert, Le Point, 11.07.03), tâchent de consoler Nicolas Sarkozy avant que Malek Boutih et le Medef ne se portent à son chevet. Alain Duhamel en est certain : « Les Français se rappelleront beaucoup plus facilement l’arrestation de Colonna que le non corse. » (RTL, 08.07.03) Au QVM, Hervé Gattegno, un journaliste d’investigation par voie de fax qu’on qualifie souvent de « chien truffier d’Edwy », s’est chargé de cette mission. Il lèche le costume de « l’homme fort du gouvernement, touche-à-tout vorace, homme d’action et de dialogue à la fois […], Goldfinger de la droite forçant la réussite au culot, à l’énergie et au travail ». Hervé conclut par cette phrase qui dans vingt ans nous fera encore sangloter de rire : « Pour qui rêve de l’Elysée, chaque revers peut être une étape vers le succès. » (QVM, 08.07.03)

1 Tout, sauf la somptueuse villa corse de Ramina.
2 Rendant compte de la victoire du « non » au référendum organisé à EDF par la CGT avec l’appui de la direction, Le Figaro économie du 13.01.03 parle d’un « échec de la consultation des agents d’EDF-GDF sur la réforme du financement de leurs régimes de retraites ».