e
12 mars 2005, lors d’une conférence organisée
à Londres, John Nichols, coordinateur d’un mouvement
américain de lutte contre la concentration capitaliste des
médias et contre l’Accord général sur
le commerce de services (AGCS), a évoqué les émissions
de « débats » entre frères siamois
qui pullulent aux États-Unis, mais aussi en France :
« Le déclin du journalisme d’enquête
sociale et l’essor de la communication et du bavardage sont
liés à l’obsession de rentabilité. Une
enquête, outre qu’elle peut être dérangeante
car elle risque de s’intéresser aux entourloupes d’un
personnage ou une entreprise puissante, coûte cher. Il est
beaucoup plus sûr et plus économique de remplacer ça
par un “débat”, plus ou moins agité, entre
journalistes cabotins capables de pontifier sur tout avec la même
assurance et en faisant des bons mots. » Dans la
salle londonienne, plusieurs abonnés à PLPL
ont tressailli : sans jamais avoir rencontré Laurent
Mouchard-Joffrin, Nichols ne venait-il pas de décrire le
« système Mouchard » ? Quelques
semaines plus tôt, en effet…
Quelques semaines plus tôt, le directeur de la rédaction du Nouvel Observateur avait débattu avec passion sur LCI. Pour Laurent Mouchard, auteur d’un essai calamiteux sur les guerres napoléoniennes, seule la date du 10 février 2005 a marqué l’histoire de l’humanité depuis l’emprisonnement de l’Empereur à Sainte-Hélène. Ce 10 février, Mouchard s’en souvient d’abord comme d’un coup de Trafalgar. Car France Inter — son France Inter, qu’il encombre chaque semaine de ses bavardages croisés avec Philippe Tesson – a eu l’outrecuidance de consacrer à un sujet joffrinien par excellence les treize premières minutes de son bulletin d’information. « Couleur crème ou rose ? Quelle sera la couleur de la robe nuptiale de Camilla pour son mariage avec le prince Charles ? » interrogea même la radio publique. Mais sans inviter Mouchard à répondre. Énorme scandale ! L’annonce du remariage du prince Charles avec Camilla Parker Bowles venait d’être disséquée par tous… sauf par l’homme qui se croit spécialiste des relations franco-britanniques depuis la bataille navale qu’il livra le jour de ses 21 ans, juché à califourchon sur un canard gonflable à l’effigie de l’amiral Nelson dans le petit bassin d’une piscine communale. « Je me vengerai ! », aurait juré Mouchard. Cela ne tarda pas. Le 19 février sur LCI, une émission « débat » réunissait, sous la houlette d’Anita Hausser (LCI), Irène Frain, Colombe Pringle, Catherine Pégard (Le Point) et Laurent Mouchard-Joffrin. Naturellement, comme John Nichols l’avait suggéré à Londres, le premier sujet évoqué fut le mariage de Camilla et de Charles. Le plateau n’avait fait appel qu’à des spécialistes : Colombe est journaliste à Point de vue, Irène à Paris Match, Joffrin s’est vanté de diriger un « Gala pour riches. » Entouré par trois femmes, Mouchard, pourtant mal servi par une barbiche aux fragrances douteuses et par le tic du hennissement permanent (le fameux « hé !, hé ! » joffrinien), ne put s’empêcher de faire le paon. En particulier quand l’une d’entre elles rappela la genèse de l’idylle royale — « Elle l’amène [Charles] au plumard parce qu’elle était très bonne. » Le directeur de la rédaction du Nouvel Observateur sort alors du bois. D’abord, Laurent étale sa science, espérant que ses amis Philippe Val et Pierre Rosanvallon seraient à l’écoute : « Hé ! hé ! les Windsor jouent un rôle considérable et un rôle, même pour les Français, assez légitime. Ils incarnent l’unité de la nation britannique. [Mouchard soupire] En France, on a pas ça. La monarchie britannique est d’une certaine manière plus démocratique [sic] que le système français. On pourrait presque dire que les monarchies dans les démocraties sont supérieures aux régimes sans monarque. […] Ils incarnent bien le peuple britannique. » Les discours de gauche n’ont qu’un temps, et Mouchard en vient au fait. Soucieux de clarifier un point essentiel, il questionne d’abord sournoisement ses consœurs de la presse people : « Il l’avait déjà demandée en mariage ? » Puis, conscient que sa question trahit sa méconnaissance du dossier, il ajoute piteusement : « Pourtant j’ai suivi, j’ai lu ça avec beaucoup d’attention dans la presse britannique et américaine. » | | C’est le moment pour Mouchard de dévoiler sa « Grande Théorie » (la GTM) : bien que très à gauche, la monarchie britannique ne serait pas assez nomade sur le dossier de la sexualité : « Le problème, c’est qu’en matière de mœurs ils sont un peu retardataires… » Sans le savoir, Joffrin vient alors de pénétrer sur un champ de mines. La sexualité de la monarchie britannique est en effet LE sujet qui enfièvre le journalisme moderne. Obligeante, Catherine Pégard le prévient : « Ils sont peut-être retardataires, mais ils sont très olé olé quand même. » Rien n’y fait. Ruisselant de fatuité, Mouchard ne veut rien entendre : comme il y a « retard français » en matière de libéralisme, il y a retard monarchique en matière de sexualité. Le directeur du grand hebdomadaire de la « gauche » écarte donc l’objection avec dédain : « Oui, ça on l’est tous [olé olé, ndlr]. Tout le monde l’est. Il y a une apparence, et puis il y a la réalité… » En d’autres termes, ces femmes journalistes par trop « intuitives » auraient mal assimilé les leçons d’Edgar Morin et Philippe Corcuff sur la « complexité des choses ». Aussitôt, l’une des meilleures camillologues françaises prévient Joffrin que ses provocations d’analphabète machiste le mènent tout droit à la catastrophe : « Dans cette liaison avec Charles, il y avait un aspect sauvage, presque torride. » Mais le pauvre Mouchard s’obstine : « Le drame de Diana finalement, c’est un mariage arrangé. C’est pas un mariage forcé, mais c’est un mariage arrangé. Normalement il [Charles] aurait dû se marier avec Camilla au départ. Oui, si le cœur avait parlé, ils se seraient mariés. Et ce sont les convenances qui ont empêché ce mariage… » Des murmures horrifiés montent sur le plateau à mesure que l’impétrant échafaude sa démonstration et que, prenant de l’assurance, il cesse enfin de crachouiller dans sa barbiche. Mesurant subitement la houle qui enfle, Mouchard opère un recul imperceptible : « En tout cas, c’est ce que j’ai lu. Diana a été choisie parce qu’elle correspondait mieux à l’idée que la monarchie se faisait de la princesse de Galles. » Là, c’en est trop pour Colombe Pringle. Sur ce sujet qui a nourri mille dossiers de son journal (Point de vue), un incompétent prétend lui en remontrer ? Passée du rose au grenat puis du pourpre au vermillon, elle explose, écarlate : « Non ! non ! ! non ! ! ! Là, je crois que quelque chose vous a échappé ! Il est tombé très très [elle appuie avec cruauté] amoureux de Parker Bowles, qui était en effet une femme altière, cavalière et différente de toutes celles qui l’entouraient auparavant. Et elle ne l’a pas aimé !! Elle aimait l’autre qui était un tombeur ! [Mouchard cesse de ricaner] Et elle voulait l’autre homme ! Il a servi d’instrument pendant longtemps. Au départ de cette histoire, Camilla ne voulait pas le prince Charles ! »
C’est
une exécution en direct. Toute la théorie du directeur
de la rédaction du Nouvel Observateur sur le « retard »
sexuel de la monarchie britannique se retrouve en miettes. Ses petits
yeux inexpressifs se figent, tels ceux d’un ragondin pépéiste
[du PPA, ndlr] aveuglé par les phares d’un camion-citerne
sardon. Anita Hausser cherche à atténuer le choc.
« C’est ce qu’Irène Frain nous
expliquait au début », rappelle-t-elle doucement
à Mouchard comme on calme un aliéné. Mais Colombe,
décidée à faire le coup de Blücher à
Waterloo, entend liquider définitivement les prétentions
camillologiques de Joffrin : « Ensuite, il [Charles]
a passé son temps à courir après. C’est
lui qui a réussi à boucler la boucle de son histoire.
Mais elle, elle a mené sa vie entre-temps ! »
Là où Mouchard avait détecté les « convenances »
hautaines et le « retard » érotique
des Windsor, il n’y avait en définitive que l’histoire
d’un amant éconduit, mais sexuellement vorace. À
présent déconfit et amorphe, Joffrin caresse sa barbiche
où s’amortirent tant de gifles… Pauvre Mouchard !
Après avoir donné en exemple la monarchie britannique,
après avoir souligné l’importance sociale et
politique des mœurs royales, après avoir bachoté
le sujet dans les tabloïds anglais, le directeur de la rédaction
du Nouvel Observateur signait sa capitulation devant deux
spécialistes de la presse people. |