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Les
Sharoniards
C’est
réglé comme du papier à musique. Chaque fois que la droite et l’extrême
droite israélienne sont au pouvoir, chaque fois que les Palestiniens
sont pourchassés et tués, les essayistes médiatiques acquis aux
politiques du gouvernement de Jérusalem mettent en garde contre…
l’antisémitisme supposé des adversaires de la colonisation. La technique
n’interdit pas – au contraire ! – de jouer au partisan
d’une paix menacée par les « extrémistes des deux camps ».
Le premier qui résiste, l’autre qui opprime ; les uns
armés de pierres, les autres d’avions de guerre.
Les
« terroristes » sont exclusivement ceux qui manient les
armes les plus rudimentaires. Et qui n’ont pas l’appui de l’Occident.
Exemple parmi mille autres, entendu à France Info, à 12 heures le
17 décembre 2001 : « Ce matin, un membre du Hamas
a été tué par l’armée israélienne. Le terroriste tentait d’échapper
à une arrestation par Tsahal. » Ici, « terroriste »
est devenu synonyme de « membre du Hamas désirant n’être ni
arrêté ni torturé par l’armée d’occupation israélienne ». Une
armée qui, elle, n’est jamais qualifiée de terroriste.
Tract
publicitaire
Car,
dans les médias, même Sharon, ancien chef terroriste qui conduit
une politique de terreur contre les Palestiniens, serait devenu
une sorte de brebis, un pépé Gandhi. Le journal pro-américain Quotidien
vespéral des marchés [QVM, également appelé Le Monde]
a ainsi publié un tract publicitaire (gratuit) d’une page titré
« Sharon, le serein ». On y lisait : « En
quinze mois, le “bulldozer”, l’homme de Sabra et Chatila, est devenu
un chef de gouvernement habile, poli, encensé par les Israéliens
1. »
Bernard Guetta, ancien journaliste au QVM et éditorialiste
prétentieux sur La Peste France Inter 2
ne prétend pas le contraire, déclarant le 14 décembre 2001 sur LCI : « Arafat
s’effondre. Il s’effondre, disons-le, répétons-le, martelons-le,
sous le poids de ses propres erreurs et absolument pas du fait de
la politique de Sharon. » Dans cet exercice de ripolinage
de l’assassin Sharon, un autre scribouilleur du QVM, Triple
Crème [Alexandre Adler] se montre néanmoins le plus frénétique.
Sur France Culture, où Adler anime une émission hebdomadaire en
compagnie de Ramina [Jean-Marie Colombani, directeur du QVM],
Triple Crème a prétendu le 15 décembre dernier : « Personne
ne veut se débarrasser d’Arafat. C’est des bruits [sic].
Vous avez un homme, Arik Sharon, qui n’arrive même pas à maintenir
la paix, même minimale, même sur le territoire d’Israël, qui donc
se retrouve devant des attentats qui font 10, 12, 15 morts. Il lui
faut faire quelque chose. Le quelque chose qu’il fait ne va pas
très loin [sic]. À moins de considérer que détruire deux
hélicoptères ou tirer dans une gendarmerie qui était préalablement
évacuée de ses occupants est une mesure d’une grande dureté. Personnellement,
je ne le crois pas. »
Quand,
dans le cours de cette malfaisante émission, un journaliste américain
objecte à Adler, timidement, que les Israéliens devraient peut-être
se montrer plus souples, Triple Crème sort de ses gonds, vociférant
et postillonnant tout à la fois : « Vous voudriez
que les Israéliens descendent leur exigence et qu’ils montrent que
la violence est payante pour eux ! […] Sharon est un
militaire parfois brutal parfois hésitant [sic], mais ce
n’est pas un idéologue. »
En
matière de défense des thèses israéliennes, France Culture est une
radio accomplie. Le 23 décembre 2001, Philippe Meyer consacre l’émission
« Répliques » au monde arabe. Aucun spécialiste du monde
arabe n’y participe. L’écrivain chevènementiste Max Gallo reconnaît
qu’il ne connaît pas le sujet mais qu’il va faire part de ses « lectures ».
Les autres participants à ce « débat » sur le monde arabe
sont Éric Dupin, spécialiste des sondages de politique politicienne
à Libération, et Jean-Claude Casanova, économiste barriste
et éditorialiste pro-américain au Monde. Après un éloge du
dictateur tunisien Ben Ali, formulé par le tandem Casanova-Gallo,
le chevènementiste prétend que « la colonisation a apporté
un minimum d’infrastructures » à l’Algérie avant que ce
pays ne « bascule dans l’islamisme » à cause de
la collectivisation de l’agriculture. « Quarante ans après
l’indépendance, il ne faut plus s’interroger sur la responsabilité
du colonialisme », complète promptement Chaliand. « Je
suis tout à fait d’accord », opine Gallo. Une fois achevé
ce « débat » passionné, chacun part déjeuner. Et PLPL
s’interroge : peut-on imaginer, sur France Culture ou
ailleurs, un débat sur le monde hébraïque sans qu’un seul juif ou
spécialiste du judaïsme y participe, et qui se conclurait par l’idée
que l’antisémitisme doit tout à la politique israélienne ?
Naturellement – et heureusement – non ! En revanche,
les Arabes ont toujours besoin d’« un minimum d’infrastructures »
intellectuelles, venues de l’extérieur, pour comprendre qui ils
sont et ce qu’ils font.
Palestiniens = comédiens ?
Au
Proche-Orient, à lire certains journaux, on croirait presque que
les Palestiniens sont les privilégiés. Et que les victimes sont
ceux qui les tuent à raison de quatre ou cinq par jour. Ainsi, dans
Marianne du 10 décembre 2001, on lisait : «
La guerre des images est meurtrière pour Israël. Pour des raisons
objectives, d’abord : on ne voit pas la bombe qui explose
dans un bus, ni le terroriste suicidaire entraînant les passants
dans la mort. La caméra arrive avec les ambulances. En revanche,
la caméra est présente quand Tsahal réprime une manifestation et
quand les enfants palestiniens courent sous les bombes larguées
par les hélicoptères. À quoi s’ajoute le sens de la mise en scène
acquis par les Palestiniens, passés maîtres en l’art des enterrements
publics [sic] avec expression de la colère et de la douleur. »
Là encore, PLPL préfère ne pas imaginer la réaction qui eût
accueilli un texte de ce genre où les parents israéliens de victimes
d’attentats suicide auraient été présentés comme une clique de simulateurs.
Et leur « mise en scène » attribuée à une prédisposition
nationale ou religieuse à la fourberie.
Le
racisme anti-arabe n’explique pas tout. Les seules victimes qui
comptent sont celles qui chantent et dansent la musique raminagrobique
du « Nous sommes tous américains ». Le 4 mars 2000, consacrant
un reportage de TF1 à d’autres adversaires supposés de l’Occident,
le journaliste Patrick Bourrat commentait ainsi la douleur d’un
Serbe chassé du Kosovo par la contre-épuration ethnique albanaise : « Dès
qu’il y a une caméra, ce maçon, comme tous les Serbes, ne peut s’empêcher
de se poser en victime. »
Denis
Jeambar a dénoncé un « silence coupable ». S’agissait-il
enfin de cette tolérance des médias pour les crimes de l’armée israélienne
désormais annoncés comme de simples accidents de la route ?
Nullement. Le patron de L’Express et directeur du pôle médias
de Vivendi s’est indigné de « la compassion presque exclusive
que nos dirigeants et la presse manifestent pour les Palestiniens
[…] cette omerta française qui couvre les exactions antisémites
3 ». Courageusement,
L’Express rompait l’« omerta » en consacrant un
dossier aux « Chiffres noirs de l’antisémitisme », titré
« Les actions contre les juifs augmentent en France ».
Tout aussi vaillamment, Le Monde, Libération, Le
Nouvel Observateur, La Peste France Inter ont embrayé sur ce
thème. Seul problème, surtout pour des publications qui habituellement
se repaissent des chiffres de la police, les statistiques du ministère
de l’Intérieur indiquent que le nombre d’agressions antisémites
a reculé en France en 2001 4.
Mais
peu importe. Les médias ont décidé de se faire les haut-parleurs
des cris de fou des autorités israéliennes et des intellectuels
à leur solde. Il faut donc hurler à l’antisémitisme en France pour
effrayer les juifs de France et les inciter à partir coloniser des
territoires palestiniens. Un ministre de Sharon s’est exprimé comme
si Paris et Marseille étaient dévastés par des pogroms ; le
vieil ami de Ronald Reagan, Élie Wiesel, déclarant même que le ciel
de l’Hexagone était « noirci par la fumée des synagogues
en flammes ».
Mais
pour que la manipulation et le mensonge soient complets, on y a
ajouté un dernier élément : désormais, les militants internationalistes
qui se montrent solidaires des Palestiniens se voient qualifiés
d’antisémites ou de « judéophobes ». Ainsi, tous les critiques
d’Israël sont intimidés et réduits au silence. C’est le chevènementiste
Pierre-André Taguieff qui s’est chargé de cette besogne d’intimidation
en expliquant sur Europe 1 : « Un certain
nombre de militants qu’on trouve dans ATTAC, un certain nombre de
rédacteurs du Monde diplomatique procèdent à une diabolisation
permanente d’Israël et suggèrent, au fond, par certains éditoriaux,
certaines prises de position publiques, que tout irait bien dans
le monde si Israël n’existait pas et, plus généralement d’ailleurs
pour certains, si les juifs n’existaient pas. » Puis, il
expliqua que « des militants de l’antimondialisation tel
José Bové ont contribué à rendre acceptables puis respectables les
clichés et les slogans judéophobes en cours 5 ».
Le
Non-événement du mercredi [NEM ou Charlie Hebdo]
et le QVM ont fait la promo de l’ouvrage 6.
Philippe Val l’a jugé « indispensable : travail
de recherche sérieux, comme toujours avec Taguieff […], ce
livre est petit par la taille mais grand par le contenu ».
De son côté, le QVM s’en est surtout pris aux « jeunes
de banlieue, beurs et africains » et à leurs « ressentiments
de vies en charpie ».
Les
jeunes beurs et les militants anti-mondialisation : la
critique médiatique a enfin trouvé des cibles plus courageuses que
ces pauvres soldats israéliens obligés de torturer et de tuer les
sauvageons de Palestine.
1.
Le Monde, 08.01.02. Il s’agit d’un article et non d’un point
de vue extérieur.
2.
L’accueil du dernier dossier de PLPL a été triomphal. Mais
les stocks n’étant pas encore épuisés, il est encore possible de
commander dix exemplaires de ce numéro (10 euros pour les abonnés)
et de les diffuser. Les abonnés de PLPL sont encore beaucoup
trop peu nombreux à prendre en charge la diffusion de leur journal.
3.
L’Express, 06.12.01.
4.
Entre 2000 et 2001 (calcul sur 11 des 12 mois), le nombre d’actes
antisémites serait passé de 119 à 26, les menaces antisémites de
624 à 155.
5.
Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, Mille et
Une Nuits, 2001, p. 188-189.
6.
Respectivement NEM, 23.01.02 et QVM, 25.01.02.
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Quand
Taguieff lit les âmes
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Pour
jauger le délire qui envoûte le cerveau de Pierre-André Taguieff,
il suffit de lire son dernier livre 1.
L’auteur fait preuve de ses qualités de chercheur (au CNRS)
avec une phrase qui doit avoir étonné Ramina Jean-Marie Colombani,
directeur du Monde, BHL, Jospin, etc., pour qui « nous
sommes tous américains ». Cette phrase ? « L’anti-américanisme
radical constitue l’orthodoxie politique transnationale qui
domine le monde de l’après 1989 »…
Taguieff
enchaîne en lisant dans les âmes pour mieux brûler les hérétiques : « Dans
l’espace démocratique des sociétés pluralistes, depuis 1945,
nul ne se dit “antisémite” ni “antijuif”. Mais un nombre croissant
d’individus se déclarent “antisionistes”. L’analyse des contextes
d’énonciation et la reconstitution des intentions ordinairement
voilées conduisent à l’hypothèse que la cible de
ces discours dits “antisionistes” est de moins en moins le
“sionisme” ou les “sionistes”, et de plus en plus les Juifs. »
Vive l’Inquisition et les procès de Moscou ! Plus loin,
Taguieff évoque « les supposées “victimes” (Palestiniens,
Arabes, musulmans) de “l’impérialisme sioniste” »,
et défend Ariel Sharon contre « deux décennies de
propagande palestinienne et pro-palestinienne » qui
lui imputent la responsabilité d’un « fait mal établi
et volontairement mésinterprété », le massacre de
Sabra et Chatila. PLPL ne formulera pas « l’hypothèse »
que l’essayiste-pamphlétaire du CNRS avait pour « intentions
voilées » de couvrir par une diversion la sauvagerie
répressive de l’armée israélienne.
Mais
un livre aussi brillant ne pouvait se conclure sans un autre
amalgame, destiné celui-ci à racoler dans les eaux saumâtres
de l’ordre moral : « Les élites culturelles et
politiques […] suivent sans sourciller les groupes
néo-gauchistes qui dénoncent bruyamment l’homophobie, mais
elles se taisent, à quelques exceptions près, sur la multiplication
des indices d’une nouvelle vague judéophobe. » Ceux
qui dénoncent l’homophobie seraient-ils des nazis ?
1.
Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, Mille
et une nuits, 2001.
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