Imprimez
cette page !
Sommaire du n°9
Abonnements
|
|
|
Enquête
:
|
Entrée
en Bourse du Monde :
les langues se délient
|
|
Dans
ses numéros 7
(décembre 2001) et 8
(février 2002), PLPL s’est étonné du silence qui avait
accueilli l’annonce de l’entrée en Bourse du quotidien Le
Monde. Notre journal s’est interrogé : « Les
dénonciateurs professionnels de la “marchandisation du monde”
n’ont toujours pas réagi à la marchandisation du quotidien Le
Monde, qui s’apprête à entrer en Bourse. Serait-ce qu’ils
préfèrent débattre de “l’ultralibéralisme” dans les pages du
Quotidien vespéral des marchés ? » Le sociologue
Pierre Bourdieu avait lui aussi fulminé devant la couardise
ambiante : « On pensait que ça allait susciter des
réactions critiques ; pas du tout, ça a été le silence
absolu. » (PLPL n °8) PLPL a donc enquêté
en interrogeant ceux qui jusque-là s’étaient tus.
|
|
Première
étape, constitution d’un échantillon réactionnaire témoin avec
le philosophe Alain Finkielkraut
qui glose en permanence et sur tous les sujets dans les colonnes
du Monde et sur France Culture. Mais là…
PLPL : Alain Finkielkraut ? PLPL fait une enquête
sur la réaction d’intellectuels au fait que Le Monde
ait décidé d’entrer Bourse…
Alain Finkielkraut : Oh, je n’ai aucune réaction là-dessus…
[…] Ça ne me concerne pas du tout.
PLPL : Mais comme vous écrivez dedans, parfois…
Alain Finkielkraut : Oui oui, mais bon… Je ne savais
même pas… Je ne peux rien dire là-dessus. […] Je ne savais pas.
Mais je n’ai aucune, aucune, aucune réaction. Il y a des choses
qui sont au-delà de ma compétence.
Espérant
trouver davantage de fermeté chez un intellectuel de gauche,
PLPL a joint François Maspero,
courageux défenseur de l’édition et de la presse indépendante
des années 1970. Bien sûr, Maspero s’est beaucoup rapproché
du QVM (qu’il alimente en textes ou en traductions) et
d’Edwy Plenel (dont il a encensé le dernier ouvrage dans les
colonnes du Monde). Mais les principes sont les principes,
non ?
PLPL : Comment réagissez-vous à l’annonce de l’entrée
en Bourse du Monde ?
François Maspero : Ha, ha, ha !… Heu… Je n’ai rien à
vous répondre. Je n’ai rien à vous répondre. Je ne peux pas
vous répondre, je suis désolé. […] Bon courage quand même.
Philippe Corcuff, chroniqueur
au NEM (Non-Événement du mercredi, ex-Charlie
Hedbo), a quant à lui accepté de répondre. Pour ce responsable
de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), l’entrée en Bourse
du quotidien français qui fait l’opinion doit être saisie dans
sa « complexité » :
— Moi je me posais la question de savoir en quoi c’était problématique
et est-ce que c’était une mauvaise chose ou pas. Bon, pour moi,
a priori c’est plutôt une mauvaise chose le fait de passer en
Bourse. Mais le problème est de savoir si c’est une mesure inéluctable
pour préserver l’indépendance d’un organe écrit. […] Ce qu’a
expliqué Plenel, c’est que toutes les garanties étaient données
pour les différents collectifs qui possèdent Le Monde.
[…] Pour moi, ce n’est pas central.
Enfin, interrogé sur le mutisme des intellectuels, il suggère
spontanément :
— Est-ce que ce serait parce qu’il y a un lien particulier entre
les intellectuels et Le Monde ?…
Comme
Philippe Corcuff, le philosophe Daniel
Bensaïd compte au nombre de ceux qui dénoncent l’emprise
croissante des marchés… tantôt dans les colonnes du Quotidien
vespéral des marchés tantôt dans les émissions de téléachat
animées par Edwy Plenel. Interrogé par PLPL, il condamne
l’entrée en Bourse du QVM avec une détermination qui
rappelle celle dont fit preuve Edwy Plenel pour forcer les salariés
du Monde à voter cette mesure :
— Le formatage, la course à la titraille, le scoop, il y a un
conditionnement du contenu par le statut de valeur d’échange
qu’a un journal. Aujourd’hui, les entrées en Bourse, dont celle
du Monde, prolongent cette tendance-là. […] Tout cela
est à la fois regrettable mais parfaitement logique malheureusement.
Les explications embrouillées du RTA sur l’indépendance renforcée
du QVM n’ont pas berné Bensaïd, qui poursuit :
— L’image du journaliste enquêteur, aventurier et presque artisan
de l’information indépendante, se noie dans une logique d’entreprise.
Il est prévisible que ça va engendrer de nouvelles souffrances
professionnelles.
Enfin, le philosophe s’étonne :
— C’est vrai, je n’ai pas vu grand-chose sur cette question.
Rien en tout cas signé de sa plume.
Rien
non plus de la part de Christophe Aguiton,
militant multicarte (Attac, SUD, AC !, etc.) et néanmoins
proche du Roi du téléachat Edwy Plenel, qui avait jusque-là
observé un silence prudent sur l’entrée en Bourse du Monde.
Mais lorsqu’il se confie à PLPL, son verdict est sans
appel :
— Pour moi, un passage en Bourse ne pourra qu’accentuer les
pressions qui pèseront sur la ligne éditoriale.
Il encourage même PLPL à intensifier son offensive :
— PLPL a comme particularité de prendre comme cible régulière
le journal Le Monde, ce qui est tout à fait légitime.
[…] Pourquoi ne pas lancer un appel, trouver des intellectuels,
aller les voir. […] Si vous faites un texte qui va dans le sens
des quelques arguments que vous m’avez donnés, je le signe évidemment.
Apparemment, les analyses scientifiques développées par PLPL
sur la mise au pas idéologique et économique du Monde
par le petit échotier poltron Ramina, par le plagiaire servile
Alain Minc et par le Roi du téléachat Plenel, ont convaincu
Christophe Aguiton.
Créée
pour « reconquérir les espaces démocratiques perdus
au profit de la sphère financière », l’association
Attac s’était murée dans un silence prudent sur le dossier de
l’entrée en Bourse du principal quotidien français. Vice-présidente
de l’association, Susan George
réagit sur le champ à la question de PLPL :
— Le Monde ? Alors là, je ne compte plus sur Le
Monde pour quoi que ce soit ! J’ai lu PLPL une fois
et je m’y suis abonnée. Je sais comment ils le traitent. Et
je trouve que c’est plutôt bienvenu. L’entrée en Bourse ne me
surprend pas. C’est vraiment dans l’ordre des choses. Ce journal
doit être le quotidien des cadres, des dirigeants, des hauts
fonctionnaires dans les ministères, etc. Il est donc dans la
mouvance libérale. Et qu’il aille jusqu’au bout de cela ne me
surprend pas. C’est lamentable, mais c’est comme ça. […] Je
suis choquée mais pas surprise.
Intellectuels
et militants de gauche continueront-il néanmoins à remplir les
colonnes avilies du Quotidien vespéral des marchés ?
Ramina a juré de « rendre Le Monde indispensable
même à ceux qui le contestent » (PLPL
n° 2/3). Remportera-t-il son pari ?
À
suivre
|
|
|
«
Résistants » au Kosovo, « terroristes » en Palestine
|
|
«Avant
d’émettre le jugement que tout le monde a sur les lèvres, gardons-nous
d’oublier que Sharon est, et reste, le choix d’Arafat. Yasser
Arafat en effet a choisi de refuser la paix. » Qu’elles
aient été réellement rédigées par Jean-Marie Colombani ou recopiées
par lui à partir d’un brouillon d’Alexandre Adler, peu importe :
ces lignes firent la « une » du Monde (03.04.02),
au moment où les troupes de Sharon massacraient les Palestiniens
de Jénine. Ce point de vue militant de Ramina [Colombani] fut
promptement cité par les avocats de Sharon qui manifestèrent
à Paris le 7 avril 2002. Dans le cortège, une pancarte reprenait
entre guillemets la prose du directeur du Monde – « Yasser
Arafat a refusé la paix » –, la faisant suivre du nom de
son auteur. Ramina avait choisi son camp [lire
aussi p. 11]. Aiguillonné par Colombani, Alexandre Adler
(matamore de restaurant plus connu sous le nom de Triple Crème)
hurlait sur France Culture : « Je souhaite qu’Arafat
vive assez pour qu’on puisse lui présenter la note ! »
(6 avril 2002)
Ceux-là
mêmes qui n’avaient cessé d’utiliser des images de victimes
dans les Balkans pour justifier les bombardements occidentaux
au nom des « droits de l’homme » s’inquiétèrent soudain
du « traitement par les médias » de la guerre en Palestine.
« Les télévisions ne montrent jamais les victimes israéliennes.
Non que ce soit un parti pris, mais les juifs n’exhibent pas
leurs morts », indiqua Françoise Giroud, qu’on avait
connue moins pointilleuse lorsqu’elle « exhibait »
des morts albanophones au Kosovo. Et de conclure : « Alors,
la capacité compulsionnelle du public est sollicitée à sens
unique par l’image. » (Le Nouvel Observateur,
04.04.02) Longuement interrogé par Le Figaro Magazine
(06.04.02), Pierre-André Taguieff embraya : « Nos
médias, dans leur ensemble, me paraissent imprégnés par cet
antisionisme radical dans le traitement du conflit au Proche-Orient. »
Anne
Sinclair alla plus loin. Elle, que la moindre victime occidentale
faisait sangloter, montra une fermeté de lionne face aux cadavres
palestiniens : « On ne donne qu’un point de vue,
avec un peuple opprimé et avec un peuple massacreur. J’observe
et constate que, journalistiquement, la balance n’est pas tenue
égale. […] Ce n’est pas du journalisme, c’est une
façon de prendre parti ! » (AFP, 09.04.02) Elle
fut appuyée trois jours plus tard par son mari Dominique Strauss-Kahn,
également porte-parole de Lionel Jospin : « Si
certains le font [accuser les médias de partialité pro-palestinienne],
c’est sans doute qu’ils n’ont pas totalement tort… »
(France Inter, 12.04.02) En 1999, Alain Finkielkraut n’avait
pas manifesté d’indignation particulière face aux attentats
« terroristes » de l’UCK albanaise, destinés à chasser
les Serbes du Kosovo (un résultat largement atteint). Au contraire,
il avait approuvé – comme Colombani, comme Anne Sinclair,
comme Dominique Strauss-Kahn, comme Françoise Giroud… –
l’intervention occidentale aux côtés des albanophones « résistant »
à l’« occupation ». Là, Finkielkraut n’exigea pas
le bombardement de Tel-Aviv par l’OTAN. Il s’interrogea au contraire :
« À quel programme autre que génocidaire un Israélien
peut-il attribuer ces attentats ? Est-ce autre chose qu’une
guerre de purification ethnique ? S’il n’est effacé du
monde des vivants, chaque Juif foulant la terre d’Israël doit
en déguerpir. »
Après
avoir entendu Finkielkraut, lu Taguieff, Colombani, Giroud,
Sinclair, etc., Philippe Val en était désormais certain :
« Aujourd’hui, la totalité de la presse et des médias
français soutient Arafat. » (Charlie Hebdo,
03.04.02)
|
|
|