« Ce système est une machine à rétrécir la base militante »
Par Patrick Guilloton, Sud Ouest, 18/09/2011
Enseignant en sciences politiques à Reims et à Lille 2, chercheur, il vient de publier un ouvrage décapant sur la primaire socialiste
« Sud Ouest Dimanche ». Alors que la plupart des socialistes ne cessent de s'émerveiller devant la formidable « avancée démocratique » que constitue cette primaire citoyenne, voilà un vilain petit canard - vous, en l'occurrence - qui vient chambouler un ordre bien établi (1). Elle est aussi inquiétante que cela, cette primaire ?
Rémi Lefebvre. Au départ de ma réflexion, il y a une évidence démocratique puisqu'on élargit la base de désignation du candidat, qu'on donne un pouvoir aux sympathisants qu'ils n'avaient pas auparavant. Difficile, donc, de contester le caractère démocratique puisque voter, c'est la quintessence de la démocratie.
Reste que je demeure persuadé que cette primaire affaiblit considérablement les partis, renforçant la démocratie d'opinion, basée sur les sondages, la médiatisation, la personnalisation. Le poids du spectaculaire, la dramatisation prennent une place beaucoup trop importante dans ce débat.
Vous expliquez que cette primaire a surtout l'avantage de cacher le véritable état du PS…
Mais c'est un terrible aveu d'impuissance ! La plupart des dirigeants étaient contre cette primaire. Harlem Désir, aujourd'hui premier secrétaire, y était farouchement hostile. François Hollande idem, Martine Aubry aussi, de même que Laurent Fabius… Ma thèse principale, c'est que la primaire est imposée parce que la rénovation a échoué. Le PS n'est pas parvenu à redévelopper le militantisme, à stopper son décrochage par rapport au monde du travail. Il manque d'ancrage social. Et surtout, il ne faut pas oublier que c'est un parti d'élus. Fondamentalement, les élus s'accommodent assez bien du système de la primaire parce qu'elle ne remet pas en cause leur pouvoir à eux. De plus, tant qu'elle ne s'applique pas au niveau local, ça leur va ! Grâce à cette primaire, ces mêmes élus peuvent donner des leçons d'ouverture sans remettre en cause la nature du parti. Autre élément, rappelons-nous que la primaire a été adoptée après le congrès de Reims et ses suspicions de fraude. Faire un vote interne pour désigner le candidat à la présidentielle aurait conduit tous les battus à crier à la triche.
Tous ceux qui ont poussé fort en faveur de cette primaire, les « outsiders » comme vous dites, les Montebourg et Valls, voulant mettre les éléphants dehors, mais aussi Terra Nova et quelques titres de la presse parisienne, se sont beaucoup inspirés de l'exemple de la campagne d'Obama. C'est importable ?
Bien sûr que non. Ce n'est pas du tout la même culture politique. Les différences sont telles qu'on ne peut comparer. Aux États-Unis, la primaire est partagée, elle est dans les deux camps. Là-bas, il n'y a qu'un tour à la présidentielle. Les promoteurs de la primaire ont instrumentalisé l'exemple d'Obama. C'est de l'importation sauvage !
Vous êtes inquiet pour l'avenir des militants socialistes ?
Oui. L'hypothèse que j'émets, c'est que la primaire dévalue le rôle des militants. Nombreux sont ceux qui se sentent floués parce que mis sur le même plan que les sympathisants. On leur enlève une espèce d'identité, de fierté. Je ne crois pas que le militantisme soit dépassé, mais je suis persuadé que cette primaire est une machine à rétrécir la base militante.
Le projet de la primaire, c'est aussi une redéfinition de la base électorale du PS, c'est un moyen de dire, on se détourne des catégories populaires.
Justement, à propos de cette primaire on ne cesse de parler des sondages. Vous n'êtes pas tendre avec ces études d'opinion. Évoquant Strauss-Kahn, vous parlez d'un « candidat imaginaire »…
Mais ça crève les yeux que les sondages fabriquent l'opinion - sans que pour autant je développe la thèse du complot. DSK a été valorisé de façon exceptionnelle. Actuellement, pour cette primaire, les sondages, c'est n'importe quoi. Il y a là un vrai problème déontologique. Donner Hollande favori, c'est une information à la limite de la désinformation. On ne sait pas qui va voter. Il ne devrait pas y avoir de sondages sur la primaire, ils ne sont pas méthodologiquement sérieux. Même faux, ils produisent leur effet puisqu'on ne cesse de nous dire que c'est Hollande le bon candidat. C'est ce qu'on appelle les prophéties autoréalisatrices…
(1) « Les Primaires socialistes, la fin du parti militant », éd. Raisons d'agir, 172 p., 8 €.
Les primaires socialistes. La fin du parti militant
Les primaires socialistes. La fin du parti militant, par Rémi Lefèbvre
Raisons d'Agir, 2011, 172 p., 8 euros.
Igor Martinache, Alternatives Economiques n° 306 - octobre 2011
La tenue dans les jours à venir par le Parti socialiste de primaires " ouvertes " à l'extérieur pour désigner sa ou son candidat-e à l'élection présidentielle est saluée par beaucoup comme une avancée démocratique. C'est cette vision enchantée que l'auteur vient remettre en cause en revenant sur la genèse et les implications de ce scrutin d'un genre nouveau. Il montre ainsi comment, sous l'influence d'un certain nombre d'entrepreneurs politiques – le " think tank " Terra Nova, Libération et le Nouvel observateur et quelques élus excentrés –, loin d'ouvrir le PS sur la société, ces primaires viennent en fait parachever la clôture croissante d'un appareil partisan, sa soumission aux règles du jeu politico-médiatique autrefois dénoncées – à commencer par la personnalisation du jeu politique –, et surtout sa conversion au libéralisme économique. C'est là que se joue l'éloignement du Parti vis-à-vis des classes populaires, l'auteur enjoignant en fin de compte ses responsables à construire de véritables alternatives sur le fond, plutôt qu'à se résigner à suivre les canons (des) dominants en matière d'agenda politique et économique et de communication.
Primaires socialistes, « une course de petits chevaux »
Entretien, par Rémi Douat, Site Regards.fr, 9 septembre 2011
Entretien avec Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques et auteur de Les primaires socialistes, la fin du parti militant.
Regards.fr : Les primaires ouvertes sont présentées par le PS comme une avancée démocratique. Vous êtes très loin de ce constat. Pourquoi ?
Rémi Lefebvre : Désigner son candidat à l’élection présidentielle par un processus mobilisant au-delà de ses adhérents relève en effet de la fausse évidence démocratique. Cela traduit une certaine immaturité sur ce que pourrait être la démocratie participative. Dans l’état, il s’agit d’une prime à la personnalisation et aux logiques d’opinion à court terme. Cela renforce l’effet course de petits chevaux, où les sondages d’opinion et les petites phrases font la pluie et le beau temps. Bonne nouvelle pour les journalistes, qui adorent ça, mais ce n’est pas ça la démocratie ! Enfin, ajouté au quinquennat et à l’inversion du calendrier présidentiel, les primaires entérinent à l’intérieur même du PS une présidentialisation déjà renforcée par Nicolas Sarkozy.
Regards.fr : Les primaires auraient donc tendance à dépolitiser ?
Rémi Lefebvre : Il n’y a pas de débat d’idées et les catégories populaires sont mises de côté, comme le préconise d’ailleurs explicitement Terra nova, le think tank instigateur de ces primaires. Je ne suis pas sûr que le citoyen ordinaire se sente concerné par ce vote. On peut toujours parler de « mobilisation populaire », ce ne sont pas les habitants des quartiers populaires qui vont voter. Il s’agit d’un événementiel démocratique. J’y vois un triste fatalisme du PS, le même qu’il observe face à l’économie de marché. Il devrait se donner a minima comme objectif de tempérer les logiques à l’oeuvre. Le choix qui est fait est de jouer le jeu de l’acceptation, sur le plan économique comme sur la question de la présidentialisation. Avec ces primaires, le PS renonce à l’idéal du parti militant.
Regards.fr : Un parti de militants à tout prix, n’est-ce pas une vision conservatrice de ce que doit être un parti ?
Rémi Lefebvre : L’analyse que j’en fais est plus pragmatique que conservatrice : les sociologues montrent qu’on ne milite que quand on a une gratification, et cette dernière s’incarne bien souvent dans la capacité à décider. Or, les primaires ouvertes dépossèdent de fait les militants socialistes d’une partie de leur pouvoir et rend le fait de militer moins attractif. Le groupe disparaît alors que l’idée même du parti est de construire ensemble. Je suis convaincu que, au fond, les dirigeants socialistes pensent que le militantisme n’a pas d’avenir puisqu’ils mettent en place une machine à réduire la base militante.
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