Les primaires socialistes

 

Les fausses évidences démocratiques de la primaire

Par RÉMI LEFEBVRE Professeur de sciences politiques à l’université Lille-II. Libération, 30/09/2011

La légitimité démocratique de la primaire s’impose avec l’évidence du bon sens. «Révolution démocratique», elle permettrait de trancher la question du «leadership» socialiste, d’élargir la base de légitimité du futur candidat, de créer une dynamique préélectorale mais surtout de donner un nouveau droit aux électeurs et au peuple de gauche. Parce qu’elle est fondée sur une technologie sociale, le vote, associé à la démocratie (qu’y a-t-il de plus démocratique que le vote ?), la primaire est présentée comme une forme de «démocratisation» du système politique. Il est «démocratique» de donner le pouvoir aux électeurs et de retirer cette prérogative aux seuls militants et de fluidifier la représentation politique en court-circuitant l’organisation partisane, «lourde» et peu représentative. Le processus de désignation quitte les coulisses de l’«appareil» partisan (la sélection confinée du candidat) pour s’opérer au grand jour. Le rôle des citoyens se borne, en démocratie représentative, à celui de départager des élites en présence, présélectionnées par les partis politiques. La primaire fait intervenir les électeurs dans un processus où ils n’avaient pas leur place jusque-là.

Il convient de prendre quelque distance avec ces fausses évidences démocratiques. Si elle peut ponctuellement politiser l’espace public, la primaire contribue à accentuer certaines tendances structurelles de la vie politique qui ne vont pas forcément dans le bon sens «démocratique». De quelle «démocratie» la primaire est-elle en réalité le nom ?

Une personnalisation accrue de la vie politique.

La primaire ne réintroduit que partiellement les sympathisants dans le processus de désignation du candidat dans la mesure où ils sont amenés à trancher une offre de candidatures toujours structurée par les rapports de forces internes et soumise à des filtres. Les logiques d’«appareil», de plus en plus façonnées par les sondages d’opinion, ne disparaissent donc pas. Dans le contexte d’une démocratie où prime la personnalisation, la primaire constitue plus une confrontation d’individualités, arbitrée par les enquêtes d’opinion, qu’une délibération contradictoire entre visions du monde et projets alternatifs. Ce phénomène est renforcé par la faible procéduralisation des débats, les ambiguïtés du rapport au projet voté par le parti et le choix des dirigeants socialistes de ne pas multiplier les confrontations publiques entre candidats voire de les escamoter. En personnalisant le débat politique et en allongeant le temps présidentiel, la primaire donne prise et matière à la «stratégisation» et à «l’anecdotisation» du jeu politique par les journalistes. Elle renforce l’importance des ressources d’opinion et entérine le déplacement du débat politique vers les médias. La vie politique devient un peu plus encore une course de chevaux.

Une présidentialisation accrue du système politique.

La primaire renforce la centralité de l’élection présidentielle. Plus que jamais, le trophée présidentiel est le graal des dirigeants socialistes. Cette nouvelle procédure est justifiée comme une forme d’adaptation aux règles du jeu institutionnel. Le «fait présidentiel», jugé intangible, est ainsi avalisé par les socialistes comme l’horizon indépassable de la démocratie. En se pliant plus encore à la «logique» des institutions de la Ve République, le PS rend improbable leur maîtrise et leur politisation. En alignant le fonctionnement interne sur les règles du jeu institutionnel, le PS s’interdit de tempérer la logique présidentialiste qui est comme redoublée. Comment remettre en cause la centralité d’un pouvoir que l’on a pleinement intériorisé dans son fonctionnement organisationnel ?

L’affaiblissement des partis politiques.

La démocratie ne saurait être réduite au vote. Les partis politiques la structurent. La rhétorique démocratique de la primaire prospère sur leur discrédit et leur supposé «archaïsme». En l’adoptant, les socialistes tournent le dos à une conception historique du parti comme lieu d’élaboration collective et d’éducation. Elle affaiblit la fonction programmatique des partis et contribue à dévaluer le militantisme. A quoi bon militer dans un parti si chaque candidat développe son propre projet et si les adhérents sont dépossédés de cette prérogative politique et de cette gratification symbolique qu’est le pouvoir d’investiture ? Au motif de contourner les blocages du jeu intrapartisan, les socialistes affaiblissent la légitimité militante. L’élargissement conjoncturel de la base électorale pourrait se faire au prix de l’évaporation structurelle de la base militante, déjà étroite.

La primaire avalise ainsi la conception d’un parti reflet de l’opinion, ancrée de longue date aux Etats-Unis et qui fait largement le deuil de l’horizon de transformation de la société. Ils renoncent à s’appuyer sur une organisation militante alors même que les catégories populaires font défaut à la gauche, s’abstiennent massivement et que la domination du libéralisme impose la nécessité de la bataille idéologique. La primaire est une mauvaise réponse à un réel enjeu : l’affaiblissement de la légitimité et de l’ancrage social des partis et du Parti socialiste en particulier. En se révélant incapables de «rénover» leur parti, les socialistes ont donné crédit à l’idée qu’il était dépassé.

La temporalité de la primaire est celle d’un rassemblement ponctuel autour d’un candidat. Ce modèle politique s’oppose à une vision du parti comme construction d’un point de vue collectif, adossée à une vision du monde, visant à inscrire les valeurs de gauche durablement dans la société. A une rhétorique partisane de la mobilisation et de la conviction se substitue une esthétique de la séduction où domine la mise en avant du style personnel. L’évolution n’est certes pas nouvelle mais la primaire, nouveau feuilleton «démocratique», ne fait que la renforcer.

Dernier ouvrage paru : «Les Primaires socialistes. La fin du parti militant», éditions Raisons d’agir, 172 pages, 8 euros.