Les primaires socialistes

 

"Les Primaires socialistes. La fin du parti militant", de Rémi Lefebvre :
la primaire en question.

Thomas Wieder, Le Monde, 09/09/2011

À un mois de la primaire qui doit désigner le candidat commun du Parti socialiste et du Parti radical de gauche à la présidentielle de 2012, voici un livre roboratif. Professeur de science politique à l'université Lille-II, coauteur avec Frédéric Sawicki d'une passionnante étude sur le PS du début des années 2000 (La Société des socialistes, éd. du Croquant, 2006), Rémi Lefebvre y défend une thèse qui rompt avec le discours dominant. Quand les promoteurs de la primaire ne veulent y voir qu'une "avancée démocratique", lui préfère la considérer comme un symptôme. Approuvé en octobre 2009 par les adhérents du PS (68 % de "oui"), le principe d'une primaire ouverte à l'ensemble des sympathisants et non aux seuls militants n'est en effet, selon lui, qu'une "solution procédurale à la crise que traverse le parti après sa troisième défaite consécutive à l'élection présidentielle (en 2007) et le congrès de Reims (en 2008)".

Selon M. Lefebvre, la primaire est donc d'abord cela : la solution trouvée par le parti pour rompre avec une évolution préoccupante, caractérisée par une "excessive professionnalisation des cadres du parti", un "assèchement de l'action militante", un "poids excessif des élus et des cumulants", un "décrochage par rapport au monde du travail", un "effritement des rapports avec le monde syndical et associatif" et une "illisibilité de la ligne politique". Pour l'auteur, les socialistes se sont donné, à travers la primaire, une image d'ouverture qui n'est que "l'envers de la clôture du parti".

Voilà pour le symptôme. Reste que la décision prise par le PS de permettre à tous les sympathisants de gauche de désigner son candidat à la présidentielle n'est pas seulement la "réponse institutionnelle que les socialistes, de plus en plus repliés sur leurs jeux et leurs enjeux propres, ont apportée à l'échec de la "rénovation" du parti et à son manque d'ancrage social". C'est aussi, pour l'auteur, un tournant majeur dans l'histoire du parti, et ce pour deux raisons.

La première est liée à la "redéfinition" du militantisme qu'implique cette procédure. En se voyant dépossédé d'une prérogative qui était jusque-là son apanage, "le militant se voit assigner un rôle électoral", consistant pour lui à organiser le scrutin et à faire campagne pour son candidat favori.

La deuxième raison tient au fait que la primaire remet en cause la "fonction idéologique et programmatique". Certes, celle-ci n'a pas disparu et le parti, pour 2012, s'est doté d'un projet. Certes, l'existence d'un programme partisan n'a jamais empêché le candidat de faire connaître ses propres priorités - comme l'a fait François Mitterrand, en 1981, à travers ses "110 propositions". Mais, remarque l'auteur, "le candidat investi par une base électorale élargie bien au-delà du cercle militant sera, s'il est victorieux à l'élection présidentielle, affranchi à l'égard de son parti et donc d'autant plus enclin à s'émanciper de la loyauté partisane dans l'exercice du pouvoir".

Tout autant que la désignation d'un candidat à la présidentielle, c'est cela, au fond, qui se joue dans les urnes les 9 et 16 octobre : une redéfinition en profondeur de ce qu'est le PS, de ce à quoi il sert, et du rôle que jouent ses militants.

LES PRIMAIRES SOCIALISTES. LA FIN DU PARTI MILITANT de Rémi Lefebvre. Raisons d'agir, 172 pages, 8 €.


« Une réponse à la crise du politique » et « un aveu d'impuissance »

Olivier Berger, La Voix du Nord, 15/09/2011

Le premier débat des primaires citoyennes (appellation contrôlée) se déroule ce soir à 20 h 35 sur France 2. Rémi Lefebvre, professeur de science politique à Lille II et auteur d'un livre critique sur le sujet (1), les suivra avec attention...

- Les primaires citoyennes sont-elles une évolution logique de la pratique démocratique ?

« C'est une expérience intéressante qui donne du pouvoir, le choix d'un candidat, à une nouvelle catégorie de citoyens, les sympathisants. Il s'agit d'une réponse à la crise du politique et de la représentation. Cela donnera une légitimité au candidat et peut installer une pré-dynamique électorale avec une masse de force. Cela dit, c'est une prise de risque politique majeure. On a l'impression que les primaires étaient la seule réponse possible pour un parti d'élus qui n'a pas su et pas voulu se rénover après le traumatisant congrès de Reims (2008). Il s'agit d'un aveu d'impuissance. On demande aux autres de régler ses problèmes à sa place. »

- Pour vous, ce vote dévalue le militantisme...

« Le PS peut-il faire l'économie des militants en concentrant sa campagne sur les médias et Internet ? Quid de la reconquête des catégories populaires ? Les primaires vont s'adresser à un public politisé, syndiqué ou associatif. Face à une droitisation de la société, l'engagement militant devient ponctuel alors que la gauche devrait plutôt mener un travail de fond. »

- N'est-ce pas la seule solution pour calmer la lutte des égos ?

« Ça renforce la course de chevaux, la personnalisation de la vie politique, les divisions qui intéressent les journalistes. Ça devrait être la bataille des idées, de l'idéologie même. En cette période de crise financière, le PS devrait mettre en question certaines valeurs, aller contre ce discours de la fatalité. La primaire pollue ce travail de fond. »

- Que peut-on attendre du premier débat ce soir ?

« Pour l'instant, le parti maîtrise son processus. On commence à voir des différenciations entre les candidats. On a une sorte de palette : Montebourg un peu en Mélenchon du PS, Aubry plus volontariste que Hollande incarnant la rigueur de gauche et Valls jouant une espèce de Sarkozysme de gauche. Et puis, il y a Royal. Inclassable mais qui pourra compter sur un socle d'irréductibles... La période réclame en tout cas un très grand courage politique. »

(1) « Les Primaires socialistes -La Fin du parti militant » (Raisons d'agir éditions, 172 pages, 8 €).