Ouvriers malgré tout
Martin Thibault
Le déni de la présence des ouvriers dans l'entreprise est symptomatique de leur position dans la société française contemporaine. Leur mort annoncée ne doit pas cacher la pérennité de cette condition (près de 6 millions d'ouvriers sur 26 millions d'actifs, soit un peu moins d'un actif sur 4). Invisibles, délaissés politiquement, ils ne semblent plus capables de faire entendre leur voix.
Un ouvrier sur quatre a aujourd'hui entre 15 et 29 ans et si les travaux sur les générations ouvrières antérieures ont été nombreux, la jeunesse ouvrière semble d'autant plus invisible aujourd'hui qu'elle est peu explorée. Laissée pour compte au profit d'autres groupes sociaux, aspirée vers le haut par une scolarisation prolongée, la jeunesse ouvrière a grandi dans un contexte fort différent de la génération précédente.
Le livre a pour objet de comprendre comment de jeunes ouvriers parviennent à s'accommoder d'une condition que non seulement ils n’ont pas choisi au départ mais qu’ils n’ont de cesse de refuser, de dénier faute de pouvoir y échapper.
Le travail de Martin Thibault sur la jeunesse ouvrière d’aujourd’hui se fonde sur une enquête ethnographique. L’auteur a suivi, pendant huit ans, le parcours de plusieurs jeunes ouvriers de maintenance de divers ateliers de la RATP. Ce ne sont pas des ouvriers d’usine du secteur privé travaillant dans l’industrie mais des ouvriers du secteur public travaillant dans le tertiaire. De ce fait, l’ouvrage aborde la question des relations de distance et de proximité entre les mondes ouvriers du public et du privé, dans un contexte de réorganisation et de conformisme managérial qui les rapprochent à bien des titres.
L’enquête révèle le décalage entre les attentes et la réalité du monde du travail que rencontrent les jeunes recrutés à la RATP, tant dans la nature des tâches qu’ils ont à effectuer, que dans la dureté des relations hiérarchiques, dans la quasi absence de perspective de carrière et le sentiment d’arbitraire que suscite les modalités d’attribution des promotions.
Elle fait apparaître aussi l’incompréhension qui peut exister entre les générations : perçus comme des individualistes voire des « jaunes » par les anciens plus politiques et syndiqués, les jeunes ouvriers sont soumis à des contraintes, liées aux nouveaux modes d’organisation du travail et à leur rapport au travail ; ce que les anciens ne comprennent pas. Ces contraintes rendent l’existence de collectifs bien plus difficile et accroît le mal être professionnel de la plupart d’entre eux. Leur seule issue est souvent de s’inventer une seconde vie, en dehors du travail, dans des activités de loisir ou en poursuivant des études.
Grâce à sa cette enquête approfondie et aux liens qu’il a pu tisser au cours de celle-ci l’auteur démontre que des formes nouvelles d’investissement mais aussi de luttes dans le travail, voire de politisation, émergent.
Martin Thibault est chercheur en sciences sociales. |